Bizi ! a publié son Rapport 2021 sur l’état de la métamorphose écologique au Pays Basque. Ce rapport est le fruit du travail du groupe Trantsizioa de Bizi! et de son comité Hitza Hitz qui a fait le pari d’une mobilisation citoyenne pour aiguiller plus rapidement l’action des élu·es locaux (communaux et communautaires) vers une voie soutenable pour le territoire et ses habitant·es. Sabrina Barragué et Ximun Lastiri, tous deux “Sentinelles Ecologiques” du comité Hitza Hitz répondent aux questions de Gogoeta sur l’historique de leur démarche, les résultats obtenus et les priorités pour l’année 2022.
Les groupes thématiques de Bizi! agissent pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre dans des domaines comme la mobilité, le numérique, l’habitat, etc. Quelle est la singularité du groupe “Alternatives Territoriales /Trantsizioa” ?
Sabrina Barragué : C’est un groupe transversal qui ambitionne d’agir pour réorienter les politiques publiques locales vers un horizon territorial soutenable et solidaire. Dès 2013, Bizi! fait le diagnostic que l’action des collectivités territoriales constitue un levier stratégique et efficace pour activer les changements profonds qu’appelle l’urgence écologique d’après les scientifiques du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). En effet, selon l’ADEME, les collectivités locales sont responsables directement et indirectement —via les conséquences de leurs décisions et règles d’aménagement— de 50 % des émissions de gaz à effet de serre ! De plus, même si des transformations importantes sont nécessaires à toutes les échelles, l’échelon local —en particulier les communes— est une voie plus accessible aux citoyen·nes mobilisé·es et organisé·es que les autres niveaux institutionnels : on croise et on peut parler aux élu·es municipaux. Le groupe porte donc une vision plus ambitieuse de la démocratie et plus active de la citoyenneté qu’une approche classique qui les réduit au moment des élections.
Quels ont été les premiers pas concrets du groupe Trantsizioa depuis sa naissance il y a bientôt 10 ans ?
Ximun Lastiri : Bizi! a proposé aux listes candidates lors de la campagne des municipales en 2014, de s’engager pour une transition énergétique du territoire. Ainsi, ce sont 30 communes, représentant 75% de la population du Pays Basque Nord, qui ont signé un Pacte de transition énergétique. Lors de ce mandat, le choix était laissé à chaque commune de s’engager librement sur une liste de 53 actions réparties en 13 thématiques de la Boîte à Outils Climat (diffusée à grande échelle lors d’Alternatiba 2013) et dans un Pacte de transition qui regroupait 11 actions emblématiques. En moyenne, les communes se sont engagées sur environ 13 actions. Le comité de suivi des engagements de Bizi!, appelé Hitza Hitz, a donc tout au long du mandat suivi les équipes municipales en leur envoyant des fiches d’engagements afin de pouvoir évaluer l’état d’avancement de ces actions. Ce sont au total deux rapports intermédiaires en 2016 et 2018, et un rapport bilan en 2020 qui ont permis de mesurer l’aboutissement des engagements pris et la valeur de la parole donnée.
Qu’est-ce qui a changé en 2020 ?
Sabrina Barragué : Même si des mesures ont été mises en oeuvre, les résultats du précédent mandat se sont avérés largement insuffisants pour faire face à la gravité de la situation : la transition écologique n’a pas eu lieu au Pays Basque nord. En six ans, les communes n’ont en moyenne réalisé que 43% des actions sur lesquelles elles s’étaient engagées. Cela représente seulement 10% de l’ensemble des actions proposées ! Cette transition et ses petits pas n’étant plus à la hauteur de l’urgence climatique portée par les scientifiques du GIEC, Bizi! a proposé un Pacte de métamorphose écologique du territoire lors des municipales en 2020. Ce Pacte comprend des actions réparties dans sept thématiques structurantes : les alternatives à la voiture solo, la maîtrise de l’énergie dans les bâtiments, un territoire 100% énergies renouvelables, une agriculture et une alimentation bio et locale, le développement de l’économie locale avec l’Eusko, une réduction des déchets et la mise en oeuvre du Plan Climat. Les élu·e·s signant ce Pacte ont pris l’engagement de réaliser l’ensemble des actions aux niveaux communal et communautaire.
Comment s’est organisé le travail d’élaboration et de socialisation du Pacte de Métamorphose Écologique ?
Ximun Lastiri : Le Pacte a été réalisé en lien avec les acteurs du territoire impliqués dans les différents champs qu’il couvre. Afin de populariser la démarche à la fois auprès des candidat·es et des citoyen.nes, des militant·es ont marché pendant six jours, bravant la pluie et la grêle à travers le Pays Basque Nord, de Mauléon à Bayonne. Ces jours de marche ont été ponctués de conférences autour des diverses thématiques du Pacte pour se terminer par une marche populaire à Bayonne appelant les candidat·es à s’engager pour la métamorphose écologique.
Quel est l’état des lieux depuis le 2e tour des élections municipales de 2020 ?
Sabrina Barragué : Au sortir des élections, 46 listes signataires du Pacte ont été élues. Les communes signataires (*) sont urbaines, périurbaines ou rurales, de toutes tailles et tendances politiques, situées dans les trois provinces et les neufs pôles territoriaux. Mais le comité de suivi Hitza Hitz suit aussi les actions entreprises par les 10 communes non-signataires de plus de 2.000 habitants (trois villes : Anglet, Boucau et Saint-Jean-de-Luz et sept bourgs : Ahetze, Arbonne, Arcangues, Bassussarry, Briscous, Larressore et Urt), car la métamorphose du Pays Basque Nord ne se fera pas sans elles ! Le comité Hitza Hitz de Bizi! mène donc une veille citoyenne sur 56 communes, totalisant près de 87% de la population de la Communauté d’Agglomération, cette dernière étant également engagée dans la démarche à travers ses élu·e·s communautaires signataires. Parmi les 232 élu·es siégeant dans l’instance du Conseil communautaire, 96 sont signataires du Pacte de Métamorphose écologique (soit 41%) et ce pourcentage monte à 60% pour les membres du Conseil exécutif. Il est d’ailleurs toujours possible, pour les communes qui le souhaitent, de rejoindre officiellement cette dynamique territoriale en signant le Pacte en cours de mandat. Un geste qui aurait d’autant plus de force qu’il a lieu hors contexte électoral.
Comment s’est mis en place le suivi de la Métamorphose écologique du territoire pour le mandat 2020-2026 ?
Ximun Lastiri : Face à la nécessité d’agir vite et fort pour éviter un monde frappé par toujours plus de catastrophes, le comité Hitza Hitz de Bizi! a fait le pari d’une mobilisation citoyenne pour aiguiller plus rapidement l’action des élu·es locaux vers une voie soutenable pour le territoire et ses habitant·es. Il coordonne les citoyen·nes volontaires pour s’impliquer dans leur commune et sur le territoire en tant que sentinelles écologiques. En écologie scientifique, les sentinelles écologiques sont des espèces dont la sensibilité sert d’indicateur précoce des changements de leur écosystème. Comme le hérisson, les sentinelles d’Hitza Hitz peuvent contribuer à leur écosystème communal : soit en mettant en lumière les actions exemplaires des communes volontaristes, soit en alertant des projets climaticides qui mettent en danger leur habitat. Elles se mobilisent pour que les actes coïncident avec les paroles. Parmi la quarantaine de sentinelles actuellement impliquées, certaines ont déjà rencontré les équipes municipales. Les sentinelles écologiques ont publié deux numéros de leur gazette Hitza Hitz ? L’écho de la métamorphose, en versions papier et numérique, pour sensibiliser et informer élu·es et citoyen·nes sur l’état de cette métamorphose. Elles ont aussi mené une action de désobéissance civile à Mauléon en rétablissant une voie cyclable que le maire — violant ses engagements— avait supprimée. Le comité Hitza Hitz a aussi proposé aux élu·es volontaires un programme de formations, pour mettre en oeuvre efficacement les mesures du Pacte. Ce projet a dû être reporté suite aux mesures sanitaires prises en 2020. Un nouveau programme est actuellement en cours de préparation.
Pourquoi s’impliquer dans l’équipe des Sentinelles écologiques ?
Sabrina Barragué : Les évolutions de comportements individuels sont incontournables mais seront insuffisantes à elles seules. En effet, une étude montre que si tous les habitant ·es hexagonaux adoptaient des modes de vie écologiques cela ne permettrait de réduire l’empreinte carbone que de 40% alors qu’il nous faut la réduire de 80% à l’horizon 2050 pour atteindre la neutralité carbone et éviter l’emballement climatique. En effet, une bonne partie des émissions ne dépendent pas de nous mais des entreprises et des pouvoirs publics. Or, mon impact potentiel ne se limite pas à ma dimension économique de consommateur. Je peux agir en tant que citoyen·ne pour aiguillonner les décisions de ma commune dans la bonne direction. A fortiori, si je m’implique en tant que sentinelle écologique dans un groupe organisé et déterminé tel que le comité Hitza Hitz de Bizi! Pour illustrer l’action individuelle face à l’urgence écologique, la fable du colibri qui, malgré l’inaction des autres animaux, “fait sa part” en essayant de lutter contre l’incendie en cours, goutte par goutte, est souvent mobilisée. L’image est poétiquement forte, mais l’histoire ne dit pas si le feu est finalement éteint… Pour filer la métaphore animalière, agir en sentinelle écologique dans sa commune et sur son territoire, c’est passer du colibri au pélican, rejoindre une bande de pélicans, qui sont peut-être moins mignons mais ont plus de chances de limiter les ravages en cours. De plus, il est essentiel de montrer aux élu·es que l’attente de métamorphose écologique territoriale n’est pas portée que par Bizi! mais aussi par leurs concitoyen·nes.
Quel est le bilan après la première année de mandat ?
Ximun Lastiri : Le comité Hitza Hitz ambitionne de publier un rapport tous les ans pour évaluer l’état de la métamorphose écologique en Iparralde. Pour le rapport 2021, intitulé Sortir du ‘réalisme’ de l’inaction, suite aux nombreuses sollicitations des sentinelles (courriels, téléphone et rencontres en mairie), 34 communes ont répondu sur les 56 suivies, soit 61% des communes suivies et 72% des communes signataires. Et les villes n’ont pas transmis l’intégralité des données demandées. Cela est d’autant plus étonnant que la plupart de ces informations sont des données d’intérêt général qui, d’après la loi pour une République numérique de 2016, devraient déjà être publiées en ligne pour les collectivités de plus de 3500 habitant·es. Pour les 32 communes ayant répondu dans les délais, le score moyen de métamorphose atteint seulement 0,5 sur 4. Si l’on intègre l’ensemble des 56 communes suivies, le score moyen de métamorphose surnage à 0,3 : la métamorphose du Pays Basque n’est pas encore dans l’oeuf ! Et de fait, si l’on se penche sur les résultats par commune, les scores s’échelonnent de -0,1 pour Anglet et Biarritz à 1,1 pour Bayonne et Itxassou, seules à parvenir pleinement au premier stade de la métamorphose en moyenne. La grande majorité des communes (40) sont au stade de l’inaction.
Sabrina Barragué : Pour populariser la démarche, Bizi! a aussi distingué les communes les plus “méritantes” (ou pas) pour leur engagement dans la course climatique contre la montre en leur remettant des Métam’Or trophées :
• La commune lauréate du Papillon d’Or 2021, la plus engagée dans la métamorphose écologique, est Itxassou : pour l’encourager à traduire effectivement ses ambitions dans les zonages et le règlement de son PLU et comme exemple à suivre pour les communes qui souhaitent véritablement contribuer à la souveraineté alimentaire du territoire.
• La commune lauréate de l’Autruche d’Or 2021, qui a mis le plus la tête dans le sable face à l’urgence écologique, est Saint-Jean-de-Luz: pour distinguer M. Jean-François Irigoyen, maire de St-Jean de-Luz, pour son investissement en tant que Président du Syndicat des Mobilités, dont la mission principale est de “bâtir une offre de mobilité moderne et performante comme alternative au “tout voiture”
• La commune lauréate de la Carpe d’or 2021, qui est restée la plus muette sur ses actions, est Biarritz : c’est la seule des villes signataires du Pacte de métamorphose écologique à avoir opposé un silence radio le plus total aux différentes tentatives du comité Hitza Hitz d’entrer en contact tout au long de cette première année de mandat.
Que comptez-vous mettre en place en 2022 pour faire progresser la Métamorphose Écologique en Pays Basque ?
Ximun Lastiri : L’avancement dans la métamorphose écologique va dépendre de la dynamique citoyenne et territoriale que nous arriverons à impulser et du nombre de citoyen·nes qui nous donneront un coup de main. Un des axes majeurs que nous avons identifié susceptible de mobiliser les élu·es est la diffusion la plus large possible des résultats communaux du premier rapport. Il est primordial qu’un maximum de la population soit informé du retard actuel de la plupart des communes et du territoire : nous sommes encore au stade zéro de la métamorphose écologique. Outre la diffusion en ligne et sur les réseaux sociaux que chacun·e peut relayer, Bizi! a élaboré des synthèses, des affiches et des flyers où ces résultats sont accessibles via un QR code ou une URL. Nous avons commencé et allons poursuivre cette dissémination à travers les communes et dans les lieux les plus divers du Pays Basque Nord. Nous allons également solliciter les élu·es et services de la CAPB qui n’ont pas répondu au premier rapport alors que les élu·es se sont également engagé·es en signant le Pacte de métamorphose en tant que conseiller·es communautaires et que l’agglo dispose de très nombreux leviers d’action entre ses mains. Des sentinelles vont aussi arpenter des pistes pour développer la culture démocratique des collectivités : s’assurer du respect des exigences légales, encore assez souvent ignorées, mais aussi promouvoir le développement de bonnes pratiques à même d’associer plus largement la population. En effet, la métamorphose écologique ne pourra avoir lieu qu’avec une participation bien plus forte de la société civile. D’ici la publication du rapport 2022 et de la deuxième cérémonie des Métam’Or trophées en novembre, les sentinelles continueront de publier des gazettes pour informer et sensibiliser élu·es et citoyen·nes. Enfin, nous allons aussi mettre en place des activités, dont un financement participatif, pour financer les frais impliqués par cette mobilisation qui dépassent les moyens que peut assurer une association comme Bizi!
Que faire si on souhaite passer à l’action avec les Sentinelles pour changer la donne dès 2022 ?
Sabrina Barragué : Les sentinelles écologiques se rencontrent tous les deuxièmes lundis du mois entre 18h30 et 20h30 au 20 rue des Cordeliers à Bayonne. La prochaine rencontre est le lundi 14 mars. Il y en a pour tous les profils et toutes les compétences : tou·te·s les citoyen·nes ont la légitimité d’agir et d’interpeller leurs élu·es sur leurs actions ou inactions pour préserver un territoire habitable pour les enfants d’aujourd’hui. Pour rejoindre les sentinelles écologiques et participer à la métamorphose du territoire, nous contacter par mail à [email protected] pour plus d’informations. Ensemble, mobilisons-nous pour enfin activer la métamorphose écologique du territoire. Yes, we pélican !
(*) Aïcirits-Camou-Suhast, Aldudes (les), Anhaux, Ascain, Ascarat, Ayherre, Banca, Bayonne, Béhasque-Lapiste, Biarritz, Bidart, Biriatou, Cambo-les-Bains, Caro, Ciboure, Espelette, Esterençuby, Gabat, Gamarthe, Hasparren, Hendaye, Irouleguy, Itxassou, Jatxou, Laguinge-Restoue, Lahonce, Macaye, Mauléon-Licharre, Mouguerre, Musculdy, Ostabat-Asme, Pagolle, Saint-Etienne-de-Baïgorry, Saint-Jean-le-Vieux, Saint-Jean-Pied-de-Port, Saint-Martin-d’Arrossa, Saint-Michel, Saint-Palais, Saint-Pée-sur-Nivelle, Saint-Pierre-d’Irube, Sare, Urcuit, Urepel, Urrugne, Ustaritz, Villefranque.