L’enseignement en immersion est contraire à la loi, la langue française doit être enseignée à stricte parité horaire avec la langue régionale. C’est ce que demande une “note” adressée au ministre Jean-Michel Blanquer et élaborée par deux inspecteurs généraux de l’Éducation nationale.
Un des objectifs majeurs de cette “note” est de “poser les éléments d’une analyse globale qui concernera tous les réseaux immersifs et de formuler des préconisations valables pour tous”. Ikastolas, Calendretas occitanes et Bressolas catalanes, vous êtes concernées. Qui sont les auteurs de cette “note” ou plutôt de ce rapport ? Il est signé par Yves Bernabé, inspecteur général de l’Education nationale et Sonia Dubourg-Lavroff, inspectrice générale de l’administration de l’Education nationale et de la recherche. Il a été adressé à leur patron, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale qui en avait passé commande. Selon la conseillère régionale LREM Stéphanie Stoll, les deux députés LERM Yannick Kerlogot et Christophe Euzet, chargés de donner un avis suite à la décision du Conseil constitutionnel contre la loi Molac, ont eu connaissance de cette “note”. Apparemment, elle les a inspirés.
Écrit il y a deux ans, le rapport révélé aujourd’hui, a dès le départ, servi de base et d’argumentaire à l’offensive lancée par le ministre pour contrer la loi Molac récemment votée. La première partie du rapport rassurera les partisans de l’immersion, les enseignants et les élèves de la filière Diwan : “Les rencontres organisées pour cette mission contredisent une image d’Epinal, celle d’un groupe de militants repliés sur eux-mêmes”. Il détaille de manière très précise et fort bien documentée l’historique de Diwan et les atouts du réseau par immersion. Tout y passe, les évaluations de niveau qui mettent Diwan largement en tête par rapport aux classes bilingues et monolingues en français lors de l’entrée en sixième, les résultats au BEPC ou au Bac. Il vante aussi les compétences des élèves Diwan en breton et en français —qui devancent “de loin” celles des autres réseaux, précise le rapport. L’ouverture d’esprit des élèves, l’implication des enseignants, des parents, les effectifs réduits favorisant la réussite, le sentiment de responsabilité de tous, tout y passe.
“Juridiquement contraire à la loi”
Diwan a tout bon, toutefois il y a un hic nous dit le rapport : “Le réseau Diwan ne respecte pas les cadres réglementaires de l’Education nationale : il remplit des missions de service public d’éducation, mais il est juridiquement en position contraire à la loi”. Et aux objectifs du ministère sur le bilinguisme. Le rapport précise pour les cancres que, selon la Constitution, “la langue de la République est le français” et que “des décisions de justice posent que la moitié des enseignements au minimum doit être assurée en français, que la vie scolaire doit se dérouler en langue française”. Or, “à Diwan, le bilinguisme est posé comme une finalité, mais n’est pas installé en tant que tel dans les enseignements”, regrette le rapport. Pratiquer l’immersion précoce pour parvenir au bilinguisme, pour les fondateurs de Diwan et de nombreux réseaux similaires dans le monde, est une approche pragmatique et efficace. Pour les rapporteurs, c’est “une contradiction” qui créé une “confusion”. Le rapport va jusqu’à rappeler ceci : le “monolinguisme régional”, que les plus ardents militants ne verront jamais que dans leurs rêves les plus fous, “est interdit”.
Sanctionner les meilleurs
Parce qu’une école sous contrat doit respecter la loi, nous dit-on. Pas de panique, poursuit le rapport, l’expérience Diwan n’est pas menacée. C’est tout simple, il suffit de transformer ce qu’on met derrière le mot immersion. Si les écoles Diwan proposent le français et le breton à parité horaire, il faut commencer le français plus tôt et y aller molo sur le breton dans la cour ou à la cantine. Comme dans les écoles publiques bilingues… dont le rapport nous montre qu’elles sont loin d’obtenir les résultats de Diwan. Sauf, nous rappelle Gwenolé Larvol, doctorant en études celtiques sur les questions de pédagogie, “dans les classes bilingues où les enseignants prennent la liberté d’ajuster le temps d’exposition à l’une ou l’autre langue selon les besoins”. C’est-à-dire favoriser la langue la moins parlée dans l’environnement familial et quotidien, le breton. Lorsque les écoles bilingues tendent vers la méthode immersive, ça marche beaucoup mieux, même dans l’Éducation nationale. Mais la loi, semble-t-il, se moque de l’efficacité, elle demande le “respect”.
Déconfiner Diwan
Abandonnant le terrain juridique, la note reproche aux partisans de l’immersion de “se référer à une autre société, laquelle n’existe en réalité pas ou plus”. “L’école devient un microcosme qui remplace la société perdue qui est un symbole (…) Il y a une revendication culturelle qui active la nostalgie et les initiatives”. Et plus loin, “En fait, la société que les militants souhaitent, mais dont ils ont conscience qu’elle a disparu, ou qu’elle a changé, survit dans l’action et l’aura de Diwan”.
Plus besoin d’avancer masqués : en quelques phrases, les auteurs révèlent la dimension profondément idéologique de leur opposition, et de celle de l’État jacobin. On peut d’ailleurs se demander qui sont les plus fous : ceux qui sont parvenus à maintenir en vie des langues millénaires, transmises de génération en génération, en les adaptant aux nombreuses sociétés qui les ont utilisées, ou ceux qui rêvent d’une société monolingue, n’ayant, quant à elle, jamais existé dans les territoires concernés. Dans ses conclusions, le rapport explique que Diwan ne saurait demeurer dans une stratégie de “confinement”, consistant à mener son projet avec réussite, grâce au soutien financier de l’État et des dérogations à répétition.
Diwan doit rentrer dans le rang et discuter pédagogie avec l’État. Parmi les propositions, on ne peut plus sibyllines : “que l’enseignement bilingue se rapproche de Diwan” pour aller vers “une intégration plus significative des pratiques immersives dans le bilingue public et en retour une prise en compte plus visible, moins implicite, à Diwan, de la coexistence des deux langues”.
Le rapport laisse transparaître une pointe de regret : “On ne peut imaginer la fin de tous les soutiens de l’Etat à Diwan ; ni penser sereinement à une conformation immédiate de ce réseau aux exigences de la loi. Mais on ne peut plus continuer d’ignorer la loi ou de la contourner”.
Rappels à la loi
Et le ton se fait plus menaçant au fur et à mesure que l’objectif du rapport s’affirme : “Il convient de s’engager dans une évolution nette de l’existant. (…) Il est possible de faire évoluer sensiblement les pratiques, en aidant Diwan à modifier sur le fond ses choix pédagogiques”. Le texte s’achève sur les moyens à mettre en oeuvre pour atteindre ces objectifs, à commencer par des rappels à la loi : “L’immersion totale n’est pas autorisée par la loi”. Tout en considérant “qu’elle existe cependant et qu’il n’est pas proposé de l’interdire ici brutalement”. Il s’agit plutôt de définir précisément ce que l’État entend par enseignement bilingue pour amener Diwan à s’y conformer. Le rapport précise notamment que “le nombre d’heures assurées en breton ne devrait à terme pas dépasser douze heures” par semaine. Il souligne que, selon un arrêt du Conseil d’État, “la stricte parité horaire est la limite extrême de ce qui peut être fait dans le service public”, et que le cadre légal s’applique “à toutes les écoles sous contrat”. Ce même arrêt rappelle “la nécessité de la primauté du français qui doit en tout état de cause demeurer la langue exclusive de l’établissement”.
Modifier les conditions d’ouverture
Les deux inspecteurs généraux considèrent de manière un peu péremptoire, eu égard à son statut associatif, que Diwan “rejoindra la règle commune”. Parmi les moyens de pression envisagés: modifier “sensiblement les conditions d’ouverture d’une nouvelle école bilingue immersive”. Pas de nouveau chèque sans conditions. De plus, “toutes les conventions signées par les académies avec les offices et les régions doivent être passées au crible du contrôle de la légalité et les élus et préfets largement et précisément informés”. En outre, “L’État devrait, à l’avenir, ne signer de contrats que pour l’ouverture d’écoles et d’établissements qui intègrent dans leur processus d’enseignement la mise en regard des deux langues, et dans lesquels le français et le breton sont utilisés comme langues d’apprentissage”.
De quoi inquiéter les responsables du collège Diwan de Saint-Herblain qui attendent toujours la signature du contrat d’association de leur établissement. Comme il se doit, les auteurs du rapport ont prévu de répondre à certaines revendications susceptibles d’infléchir la position de Diwan, notamment le passage de deux épreuves du brevet en breton et ajouter l’histoire-géographie au Bac. Tout cela n’est qu’une “note”, libre au ministre d’en tenir compte ou pas, répondront dans une volonté d’apaisement, les plus optimistes.
Il n’empêche que l’opiniâtreté avec laquelle le ministère s’est opposé à la loi Molac, malgré son adoption massive par les parlementaires, la censure partielle, précisément sur l’immersion, de la part du Conseil constitutionnel ou encore les charges symboliques et récurrentes contre les langues régionales, à l’instar des signes comme le tilde du petit Fañch, sont source d’inquiétude en Bretagne.
Diwan doit rentrer dans le rang
et discuter pédagogie avec l’État.
Parmi les propositions, on ne peut plus sibyllines :
“Que l’enseignement bilingue se rapproche de Diwan”
Pour l’enseignement en immersion qui en a vu d’autres, le plus dur sera-t-il à venir ? L’abbé Grégoire et Bertrand Barère de Vieuzac ont des descendants. Ils ont fait des petits et leur maladie jacobine franco-française est sexuellement transmissible. Au milieu des années 70, la paloise Marie-Louise Prigent, inspectrice de l’Education nationale dans les écoles maternelles, clamait à qui voulait l’entendre que de “mauvaises fées se sont penchées sur le berceau des enfants scolarisés par les ikastola”. La “réparation historique” que prônait en 1982 le rapport Giordan “Démocratie culturelle et droit à la différence”, remis au ministre Jack Lang, est tombée au fond des oubliettes de la République française. La politique séculaire “d’éradication des patois” doit se poursuivre. Nous n’aurons pas droit à la “liberté” d’enseigner, encore moins à un grand élan de “fraternité” pourtant ressassée sur le fronton des écoles depuis Jules Ferry. Comme à l’armée ou au lycée Napoléon, pas une tête ne doit dépasser.
L’avenir de l’euskara en Iparralde doit-il dépendre des diktats de quelques magistrats qui pantouflent au Conseil constitutionnel et jugent “au nom du peuple français” ? De deux hauts fonctionnaires et leur “note” ou du ministre de l’éducation nationale ? Et si les rôles étaient inversés, comment réagiraient les Français si la langue de leurs ancêtres devenue minoritaire, en péril de mort sur leur propre territoire, était traitée de la sorte par les Basques ou les Italiens majoritaires? Se révolteraient-ils contre la violence institutionnelle organisée au nom d’une Constitution par les Basques ou les Italiens ? Iraient-ils jusqu’à pratiquer la lutte armée, soudain devenue à leurs yeux résistance légitime? Nous ne le saurons jamais. En serons-nous toujours réduits à subir sans réagir l’arrogance des puissants ? Comme les trois Indiens stupéfaits par les inégalités entre les habitants et que rencontra Montaigne en 1562 à Rouen, sans “qu’ils ne prissent les autres à la gorge ou missent le feu à leurs maisons” ?