Élections en Palestine (ou pas)

Mahmoud Abbas a prolongé son mandat de 12 ans.
Mahmoud Abbas a prolongé son mandat de 12 ans.

En Palestine, la tenue d’élections ne semble autorisée que lorsque leur résultat prévisible peut satisfaire aux souhaits d’Israël, des USA, de l’Egypte ou d’autres Etats. Retour sur cette curieuse conception de la démocratie.

Pour une fois, l’Autorité Palestinienne qui administre la Cisjordanie et le Hamas au pouvoir à Gaza semblaient d’accord : il était temps d’organiser des élections en Palestine !

J’avais dans ma précédente chronique expliqué les dessous de l’annonce, en janvier dernier, de nouvelles élections législatives et présidentielles. Pour résumer, Mahmoud Abbas, président de l’AP depuis 2005, et le Hamas qui règne sans partage sur Gaza depuis 2007 ont vu dans ces élections le moyen de regagner un peu de légitimité et de conserver le pouvoir dans leur fief respectif. Le Fatah (le parti de Mahmoud Abbas) et le Hamas ont même envisagé de faire liste commune afin de s’assurer de la victoire et de se partager le gâteau.

Mais quelques grains de sable sont venus enrayer la belle machine électorale construite par les deux organisations…

C’est au sein du Fatah que ça tangue le plus fort. Nasser Al-Qudwa, neveu de Yasser Arafat et membre influent du parti, a dégainé le premier en critiquant le projet de liste commune avec le Hamas, qualifiant cette dernière “d’opportuniste” et “d’égoïste”. Il aurait même pu ajouter qu’elle était politiquement absurde puisque selon un sondage, elle n’aurait recueilli que 44% des voix alors qu’en se présentant séparément, le Hamas et le Fatah étaient crédités de plus de 70%. Quelques jours après avoir annoncé qu’il présenterait une liste alternative, Al-Qudwa était expulsé du Fatah et les tensions internes de l’organisation s’étalaient au grand jour. Comme si cela ne suffisait pas, un autre leader du Fatah, le très populaire Marwan Barghouti, emprisonné depuis 2002 en Israël, a également critiqué la liste impulsée par Abbas et manifesté son intention de se présenter aux élections présidentielles. Un crime de lèse-majesté inadmissible pour Abbas qui, à 86 ans, n’a pas l’intention de céder sa place. Les sondages le donnent pourtant perdant devant Ismaël Haniyeh du Hamas alors que Barghouti l’emporterait largement. Cette obstination pathétique pourrait lui coûter cher puisque Barghouti a finalement choisi de soutenir la liste Liberté menée par Al-Qudwa.

Listes concurrentes

Autre pavé dans la mare, la liste “Futur”, soutenue par Mohamed Dahlan, l’ancien homme fort du Fatah à Gaza, qui avait dû fuir l’enclave en 2007 après une tentative de coup d’État contre l’organisation islamiste nouvellement élue. Réfugié en Cisjordanie, il se brouilla avec Abbas et fut contraint de se réfugier aux Émirats Arabes Unis après avoir été accusé par le Fatah d’avoir empoisonné Arafat. Condamné pour corruption par une cour palestinienne, Dahlan ne peut se présenter lui-même, mais il a de forts soutiens dans le Golfe et garde de l’influence à Gaza où de nombreux partisans du Fatah lui demeurent fidèles. Sa voix porte, et elle n’est pas tendre avec Abbas : “tout ce qui préoccupe Abbas, c’est de rester au pouvoir, de tourmenter ses opposants et de faire taire toute voix contraire”. Le Fatah devra donc composer avec deux importantes listes concurrentes, ce qui n’était pas prévu puisque le comité central du parti affirmait encore le 8 mars dernier qu’il présenterait une liste unique…

De son côté, le Hamas n’a pas ce problème et aucune liste influente ne devrait empiéter sur ses plates-bandes. Pour autant, on perçoit certains tiraillements ; sa liste était initialement baptisée “Changement et réforme”, ce qui témoignait d’une volonté de mettre l’accent sur les questions sociales, mais se prénommera finalement et très classiquement “Jérusalem est notre objectif”.

De manière générale, le Hamas est tiraillé entre la nécessité de satisfaire ses militants historiques et celle d’afficher une image plus policée afin que son éventuel succès électoral ne soit pas rendu inopérant par des sanctions économiques imposées par le Quartet (ONU, États-Unis, Union Européenne, Russie) comme en 2006.

Cette démarche d’ouverture est cependant fortement contrainte par la pression qu’exerce Israël sur les candidats du Hamas : plusieurs personnalités chrétiennes initialement pressenties se sont finalement retirées, et neuf candidats du Hamas ont déjà été emprisonnés, alors que les listes viennent juste d’être déposées.

Recompositions en vue

Quoi qu’il en soit, le Quartet n’acceptera pas que le Hamas contrôle seul l’Autorité Palestinienne ; il consentira tout au plus à ce que l’organisation islamiste participe au gouvernement. C’est pour cela que le Hamas envisageait initialement une coalition post-électorale avec le Fatah, mais la présence des deux importantes listes dissidentes lui ouvre de nouvelles perspectives, et notamment celle de reprendre place en Cisjordanie. À première vue, ces deux listes dissidentes n’ont pas grand-chose en commun avec le Hamas. Al-Qudwa a ainsi récemment déclaré “contester l’Islam politique en général, ou l’islamisme politique” et affirmé vouloir “reconquérir Gaza politiquement et géographiquement”, ce qui n’a pas été du goût du Hamas qui a dénoncé “un péché politique national, totalement aligné avec les déclarations et positions sionistes et américaines”. Quant à Dahlan, on se souvient qu’il avait, en 2006, manifesté son intention de “tabasser et d’humilier les partisans du Fatah tentés de rejoindre un gouvernement dirigé par le Hamas”, “une bande de meurtriers et de voleurs” qui l’accusait de son côté d’avoir essayé d’assassiner Ismaël Haniyeh, l’actuel chef du bureau politique du Hamas.

Mais le Hamas a besoin d’un partenaire de gouvernement (et l’idée d’affaiblir Abbas ne lui déplait pas non plus), et les deux listes dissidentes du Fatah cherchent pied-à-terre à Gaza, tant leurs relations avec Abbas et ses proches sont devenues exécrables. Alors, dans ce contexte, tout le monde se montre conciliant. Les propos d’Al-Qudwa auraient été “mal compris et exagérés” : en fait, “le Hamas et tous les mouvements de résistance doivent avoir un rôle participatif sur les questions politiques, gouverner les institutions de l’État et travailler sous les auspices du Parlement palestinien.” Quant à Dahlan, et bien, il ne faut pas non plus sur-interpréter les propos qu’il a pu tenir : “nous ne sommes pas des alliés du Hamas, mais au moins, nous ne sommes pas en conflit avec eux”. De son côté, le Hamas a bien compris qu’il avait tout intérêt à accueillir à Gaza les dissidents du Fatah, tant pour préparer les négociations post-électorales que pour signifier à la communauté internationale que les libertés sont davantage respectées à Gaza qu’en Cisjordanie.

Déconvenues électorales

Mahmoud Abbas, qui a prolongé son mandat de douze ans au-delà de son terme légal, semble découvrir qu’un dirigeant dont la démission est souhaitée par les deux tiers de la population (selon un sondage de décembre) s’expose à des déconvenues électorales, et il commence à regretter de les avoir convoquées.

Il n’est d’ailleurs pas le seul. En Israël on n’apprécie guère de voir la Palestine revenir sur l’agenda politique international et l’on évoque ouvertement “une erreur majeure de tenir ces élections à cause du risque élevé de voir le Hamas les remporter”. La Jordanie et l’Égypte ne sont pas loin de penser la même chose, et on sent également l’administration Biden un peu gênée aux entournures…

En Israël on n’apprécie guère
de voir la Palestine revenir
sur l’agenda politique international
et l’on évoque ouvertement
“une erreur majeure de tenir ces élections
à cause du risque élevé
de voir le Hamas les remporter”.

Les rumeurs d’une annulation des élections se multiplient d’autant plus qu’Israël pourrait offrir à Abbas un bon prétexte en empêchant la tenue du scrutin à Jérusalem où résident près de 350.000 Palestiniens – en vertu des accords d’Oslo, ces derniers avaient pourtant pu voter en 1996 et 2006.

Pas dupes, les habitants de Jérusalem multiplient les initiatives pour que le processus électoral aille à son terme et appellent à faire pression sur Israël.

À entendre le porte-parole du département d’État américain, selon qui la tenue des élections “est au bout du compte une question que les Palestiniens doivent décider eux-mêmes”, cela ne sera pas chose aisée.

Mais les tensions internes du Fatah ont ceci de bénéfique que si Abbas tire un trait sur les élections, il s’exposera à une fronde sans précédent.

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