Pere Aragonès leader d’ERC a en charge de constituer le futur gouvernement catalan, fruit de l’alliance entre les trois partis indépendantistes. Il souhaite y associer En Comù Podem, version catalane de Podemos. Puis il entrera dans le dur: obtenir une négociation sérieuse avec Madrid.
Les partis indépendantistes progressent en nombre d’élus et légèrement en voix, dans une élection marquée par une très forte abstention et organisée dans des conditions inédites. Le résultat est d’autant plus remarquable que ce scrutin fait suite à trois années de répression politique, judiciaire, policière, économique et diplomatique féroces. Le chef du gouvernement Pedro Sanchez a perdu son pari de voir l’indépendantisme, baisser la garde, retomber tel un soufflé. En envoyant son ministre de la Santé prendre la tête de la croisade, il a seulement pu récupérer le poids traditionnel des socialistes dans un de ses fiefs.
Les indépendantistes se sont radicalisés de deux façons : la gauche radicale pure et dure CUP fait un bond en avant et les autonomistes PDeCat ne parviennent pas à décoller. Hier représentés par Unió dans CiU, leur score actuel donne en Pays Basque des sueurs froides au PNV et fait rêver EH Bildu. Cette évolution est la traduction politique de ce qu’est le mouvement catalan, avec ses forces et ses faiblesses : un très fort mouvement social qui entraîne et souvent déborde un mouvement politique. Celui-ci arrive au pouvoir, mais peine à trouver une solution à la question de fond, celle-ci passe par une négociation avec Madrid. Le plus dur est à venir.
Vox nouveau visage de la droite
La droite espagnole sort affaiblie de ce scrutin. Le PP devient résiduel, il traverse en Espagne une des plus graves crises de son histoire, avec des affaires de corruption qui ne cessent de le miner. Mais surtout Ciudadanos s’effondre en Catalogne où ce parti est né d’abord pour contrer le souverainisme. Le courant réactionnaire et nationaliste espagnol montre alors son vrai visage, celui de l’extrême droite Vox qui fait son entrée en fanfare au parlement. Il y fera beaucoup de bruit, mais ne pèsera pas vraiment, d’autant qu’il dispose de peu d‘élus locaux et de cadres expérimentés. Pour l’instant, sa pérennité n’est guère assurée.
En Comù Podem (Podemos) maintient son score. En position charnière, il jouera un rôle d’autant plus important que Podemos fait partie du gouvernement de gauche espagnol et peut ainsi faire évoluer les choses dans le sens d’une résolution politique du conflit. Pere Aragonès s’attache à constituer un gouvernement catalan solide. Ce ne sera pas une sinécure, surtout avec CUP traversé de courants contradictoires dont certains refusent de mettre leurs mains dans le cambouis, ils préfèrent se retirer sur l’Aventin et donner des leçons de purisme, au final assez stériles. ERC et Junts per Cat (JxC) divergent sur le calendrier : le premier envisage une bataille de longue durée, le second est pressé d’aboutir. Le temps joue contre son leader en exil, Carles Puigdemont. L’Espagne est à la manoeuvre, le Parlement européen s’apprêterait début mars à lever son immunité parlementaire.
Le temps presse
Le futur gouvernement catalan devra… gouverner. Ce qui n’a guère été le cas ces dernières années en raison des nombreux blocages de Madrid et de la pandémie. Obtenir la sortie de prison et le retour d’exil de nombreux dirigeants, redresser la situation économique, rééquilibrer les ressources fiscales, feront partie de ses grands chantiers. Mais surtout Pere Aragonés devra obtenir une négociation politique sérieuse avec le pouvoir espagnol. La stratégie “unilatéraliste” avec nouveau référendum et nouvelle déclaration d’indépendance a été essentielle pour poser clairement le débat, mais elle a aussi montré ses limites. Cette arme ne peut être réutilisée à l’infini. Comme dans toute guerre, vient le moment de la négociation. Or Madrid n’en veut absolument pas et préfère le maintien du statu quo. Bancal, conflictuel, insatisfaisant ? Peu importe, l’essentiel est de verrouiller l’immobilisme, de circonscrire le conflit, peut-être en lâchant quelques miettes. Et surtout sans aucune (r)évolution institutionnelle(1) . Toutes proportions gardées, comme à l’Israélienne à l’égard des Palestiniens.
Comme dans toute guerre,
vient le moment de la négociation.
Or Madrid n’en veut pas et préfère le statu quo.
Bancal, conflictuel, insatisfaisant?
L’essentiel est de verrouiller
en lâchant peut-être quelques miettes.
Dans cette affaire, le Covid 19 et la crise qui en découle servent les intérêts de Pedro Sanchez. Le débat politique est submergé, annihilé par la pandémie. Tout le reste semble secondaire. Cela permet au gouvernement espagnol de gagner du temps, mois après mois. De repousser les échéances d’une négociation politique avec les Catalans dont il a pourtant impérativement besoin pour demeurer à la tête de l’Espagne. Il s’agit de durer encore deux ans, le temps d’arriver aux prochaines élections législatives. Et là, avec un peu de chance, l’appui des souverainistes catalans et basques lui sera beaucoup moins nécessaire pour être reconduit. Pedro Sanchez va donc jouer au maximum la carte des manœuvres dilatoires et de l’enlisement. Il fera de la question catalane un conflit gelé, en somme du provisoire qui dure.
Les souverainistes catalans savent cela, comme ils savent bien que ce n’est pas avec la droite espagnole amoureuse de la matraque que les choses avanceront davantage. La fragilité du gouvernement espagnol n’aura qu’un temps. Donc le temps presse, leur principal défi est de sortir d’un blocage qui, tôt ou tard, finira en impasse.
(1) Il en est de même actuellement en Corse, avec le refus du gouvernement Macron de négocier quoi que ce soit avec la majorité nationaliste corse, mais au contraire de la torpiller par l’entremise du préfet.
Résultats des élections au Parlement catalan du 14 février (135 députés, majorité absolue 68 élus)