La Kanaky en lutte pour sa souveraineté économique

L’usine de Nickel de Vale sur le site de Goro ou “usine du Sud” a été cédée à un exploitant privé en 1993.
L’usine de Nickel de Vale sur le site de Goro ou “usine du Sud” a été cédée à un exploitant privé en 1993.


Le complexe d’exploitation du nickel, au sud de l’Archipel, est au centre d’un âpre combat politique et idéologique, sur fond de réappropriation des richesses naturelles. Les indépendantistes kanaks, qui se heurtent à la droite et à l’extrême droite française, trouvent un allié de poids sur ce dossier avec le soutien du premier parti de Calédonie. La bataille pour le troisième référendum a commencé.

“La Nouvelle-Calédonie est au bord d’un chaos politique, économique et social” s’alarmait le centriste Jean-Christophe Lagarde à l’Assemblée Nationale, le 8 décembre dernier, et la situation s’est encore dégradée dans les jours suivants. C’est l’usine hydro-métallurgique adossée au site minier de Goro, dans la Province Sud à majorité loyaliste, qui cristallise les tensions dans une société déjà crispée par le deuxième référendum d’autodétermination qui s’est tenu le 4 octobre dernier. Propriété de la multinationale brésilienne Vale, le complexe d’exploitation du nickel de Goro fait vivre environ 3.000 familles et une fermeture du site aurait donc un impact majeur sur l’archipel ; à titre de comparaison, le non à l’indépendance l’a emporté de moins de 10.000 voix au dernier référendum. Au vu des enjeux, on aurait pu s’attendre à un consensus transpartisan sur ce dossier, mais c’est tout le contraire qui s’est passé : alors que la droite loyaliste et l’État soutiennent la revente de l’usine à un consortium bâti autour de la multinationale suisse Trafigura, le camp indépendantiste s’y oppose radicalement.

Essayons donc de démêler un peu les motivations des deux parties. Le nickel constitue la première richesse de l’archipel et fournit environ un quart de ses revenus et 6000 emplois directs. Sa gestion n’est donc pas neutre car elle conditionne la viabilité de tout projet politique pour le territoire. Que l’on se souvienne par exemple du “préalable minier” en 1998. Avant de signer les accords de Nouméa qui prévoyaient entre autres un report du référendum initialement prévu en 1998, le FLNKS avait exigé et obtenu une intervention de l’État pour que l’exploitation de nickel du site du Koniambo, “l’usine du Nord”, soit cédée à la Sofinor, le groupe public qui gère les intérêts de la Province Nord; cette province étant gouvernée par les indépendantistes, ces derniers ont ainsi acquis une influence économique qu’ils n’avaient jamais eue auparavant.

Pacte de développement

L’usine de Vale sur le site de Goro, ou “usine du Sud” ne s’est pas développée selon les mêmes modalités. Propriété d’un organisme public, le site a été cédé en 1993 à l’entreprise INCO Ltd avec l’aval de la Province Sud, avant d’être racheté en 2006 par la multinationale brésilienne Vale. Suite à de nombreuses mobilisations, un Pacte de développement durable du Grand Sud a été signé en 2008 entre Vale et plusieurs instances coutumières kanaks. Impactée par plusieurs accidents majeurs survenus sur le site, et par son implication dans le scandale de la rupture du barrage minier de Brumadinho au Brésil (270 morts), Vale annonça en novembre 2019 sa décision de quitter la Nouvelle-Calédonie et la remise à plat du Pacte de Développement durable. En réaction, l’Instance Coutumière Autochtone de Négociation (ICAN) est créée et un collectif “Usine du Sud=Usine du Pays” s’est formé en août 2020. L’objectif affiché de ces deux organismes est “la maîtrise et le contrôle du patrimoine minier et industriel de l’usine du Sud en tant qu’outils du pays”. Un objectif auquel l’offre bâtie autour de Trafigura —“un pillage des ressources du pays par les multinationales” selon le FLNKS— est loin de répondre. Le collectif défend en revanche un autre projet basé sur une alliance entre la Sofinor et l’entreprise coréenne Korean Zing. Malheureusement pour eux, Vale a annoncé début novembre rentrer en négociations exclusives avec Trafigura avec une échéance fixée au 4 décembre, une annonce très mal perçue par l’ICAN et le collectif “Usine du Sud” qui ont multiplié les manifestations, barrages routiers, blocages de mines, etc. À l’initiative de Sébastien Lecornu, ministre des Outremer, une table ronde a été organisée et a débouché sur un compromis, le 3 décembre, pour demander un report de la signature de l’accord entre Trafigura et Vale. Les indépendantistes ont alors suspendu leurs mobilisations… pour les reprendre de plus belle le 5 décembre suite à l’annonce par Vale qu’elle n’acceptait de repousser la signature que de quelques jours.

“Accord ferme”

Coup de tonnerre deux jours plus tard : Korean Zinc, le partenaire industriel de la Sofinor se retire du projet, enterrant de facto l’offre défendue par les indépendantistes. Vale s’empressa alors d’annoncer, le 9 décembre, un “accord ferme” avec le consortium emmené par Trafigura, provoquant en retour la fureur de l’ICAN et du collectif “Usine du Sud” qui sonnèrent la mobilisation. Le 10 décembre, les installations de Vale furent prises d’assaut et contraintes à l’arrêt par les protestataires. La droite loyaliste qui gouverne la Province Sud et soutient, comme l’État français, le projet de Trafigura, a saisi cette opportunité pour donner un tour plus explicitement politique à ces désaccords. La coalition “Les Loyalistes” qui regroupe notamment les Républicains et le Rassemblement National, a organisé le 12 décembre une manifestation inédite pour dénoncer “les actes que l’on peut qualifier de terroristes” menés par les indépendantistes. Les nombreuses manifestants (23.000 selon la police et 30.000 selon les organisateurs) semblaient néanmoins moins préoccupés par le fait de sauver les emplois de l’usine que par la montée en puissance des indépendantistes qui, après leur progression lors du deuxième référendum, affichent leur volonté d’exercer un contrôle sur l’usine du Sud, via la Sofinor. Les slogans étaient d’ailleurs assez explicites : “Province Sud, on tient bon”, “Ici, c’est chez nous”, “Kanaky ne prendra pas le Sud”… Quant à l’usine de Vale, et bien, mieux vaut la céder à une multinationale suisse qu’à ces Kanaks qui se croient chez eux ! La problématique est assez clairement posée car de leur côté, les indépendantistes ne font pas mystère de leurs intentions. “Si le oui l’emporte, comment je finance mon indépendance?” s’interrogeait le dirigeant indépendantiste Daniel Goa, “il faut se donner les moyens pour le oui et, ces moyens-là, c’est d’abord notre richesse d’ici”.

Les indépendantistes ne font pas mystère de leurs intentions.
Si le oui l’emporte, comment je finance mon indépendance ?
s’interrogeait le dirigeant indépendantiste Daniel Goa :
“il faut se donner les moyens pour le oui et, ces moyens-là, c’est d’abord notre richesse d’ici”.

En réponse à Macron qui affirmait au lendemain du deuxième référendum vouloir regarder “en face notre histoire en Nouvelle-Calédonie, qui est une histoire coloniale. Et nous cherchons à la dépasser, pour ne pas qu’elle nous enferme”, Paul Néaoutyine, président (indépendantiste) de la Province Nord rétorque vouloir précisément “sortir de la logique coloniale” et qu’il faut pour cela chercher “la souveraineté économique en matière de gouvernance des intérêts publics et politiques de la Nouvelle-Calédonie face aux multinationales et autres intérêts étrangers”. Le retrait du partenaire coréen de l’offre de la Sofinor est donc un coup dur pour les indépendantistes et s’ils ont si vivement réagi à l’annonce d’un “accord ferme” entre Vale et Trafigura trois jours après l’annonce du retrait de Korean Zing, c’est parce que cette annonce précipitée ne laissait pas le temps à la Sofinor de chercher un nouveau partenaire alors qu’elle en avait manifesté l’intention. L’ICAN ne manque d’ailleurs pas d’accuser le gouvernement : “on se doutait de ce qui arrive car la France a fait jouer son réseau diplomatique et le gouvernement coréen a fait pression sur Korea Zinc pour qu’il se retire”. Et lorsque l’État, par la voix du ministre Sébastien Lecornu, dénonce des “accusations indignes” et cherche à minimiser ses responsabilités en rappelant qu’il n’est “ni actionnaire ni acheteur de Vale NC”, ce sont les deux députés de la Nouvelle-Calédonie, membres de Calédonie Ensemble (centriste, affilié à l’UDI) qui lui rétorquent que “l’État a la capacité de [bloquer le contrat] entre Vale et Trafigura puisque les financements qu’il apporte conditionnent la vente”.

Rapprochement intéressant

Cette intervention au parlement n’est pas anecdotique car on assiste sur le dossier du nickel et même peut-être plus largement à un rapprochement intéressant entre certains secteurs de Calédonie Ensemble (le premier parti en nombre de voix de l’archipel) et du FLNKS. Ainsi le député Philippe Gomès se revendique d’un “nationalisme calédonien” que certains au FLNKS estiment compatible avec le “nationalisme kanak” ; on réfléchit aussi à un “État fédéré” qui verrait la Kanaky rester constitutionnellement au sein de l’État français, mais dotée de sa propre constitution. Début décembre, les deux organisations s’étaient déjà associées, au grand dam des Loyalistes, pour écrire une lettre à Macron en lui demandant “que l’État pilote au plus haut niveau le projet de reprise de l’usine du Sud” ; elles demandent maintenant toutes deux une prise de contrôle transitoire de l’usine par l’État français. Cet appel à l’État, évidemment, ne coule pas de source pour le FLNKS qui déclare pourtant l’assumer pleinement en même temps qu’il se démarque des dégradations de l’usine survenues le 21 décembre : “comment voulez-vous que l’on porte notre modèle économique si tout est brûlé demain ? Ce n’est pas ça notre combat”. La priorité est aujourd’hui de s’assurer, pour reprendre les termes de Néaoutyine, d’un “contrôle majoritaire par les intérêts publics calédoniens dans les sociétés métallurgiques”. Dans ce combat pour la souveraineté économique de la Kanaky, Calédonie Ensemble semble pencher du côté des indépendantistes.

On peut y voir une opportunité pour ces derniers de construire une majorité politique pour le troisième et dernier référendum prévu par les accords de Nouméa, qui devrait se tenir en 2022 et pourrait donc bien s’immiscer dans la campagne présidentielle.

 

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