Dédicace d’un travail universitaire écrit à la fin des années 70(*)
Avec ses vallées aux ondulations infinies et ses montagnes enchâssés de nuages mouvants, avec son vent du Sud qui rend les journées d’automne crépusculaires, avec ses maisons blanches et rouges aux linteaux royaux, avec ses ikastolas où les enfants rient en basque, avec ses vieux qui regardent se courber les années, avec ses bertsularis qui chantent la vie et la mort, le Pays Basque est attachant d’une manière poignante. Dans la marée qui submerge et uniformise tout, il conserve une apparence de défi, défi de son histoire, défi de sa langue, défi de sa personnalité qu’il n’a jamais voulu abandonner.
Dans ces mêmes vallées, le Pays Basque souffre, en y étant mal préparé, une mutation profonde. Les pressions économiques conjuguées à une colonisation culturelle, font table rase de sa nationalité. Elles produisent aussi une auto-colonisation, véritable auto-mutilation. La conviction de ceux —si nombreux— qui anéantissent leur propre culture fait peine à voir. Elle transforme des pierres sacralisées par l’amour, la peine, la mémoire de ceux qui ont vécu autour du défunt, en pierres pour paver les chemins ou faire des marches d’escalier. C’est la pierre redevenue pierre, symbole de la désagrégation d’un univers.
Toutes ces pierres sculptées, abandonnées, cassées, vendues, volées, oubliées, témoignent d’une rupture du monde traditionnel. Reléguées par les hideux caveaux conserveries de la mort, il leur reste une toute petite place tolérée. Sans nom, sans date, de dimensions modestes, elles témoignent de l’humilité de femmes et d’hommes vivant avec peine, entre la maison qui les a vu naître et la tombe où ils redeviendront terre.
Lorsqu’il fallut un jour déterrer une stèle dont la seule partie supérieure était visible, apparurent alors, se détachant nettement sur la pierre grisâtre, une paire de ciseaux et un nom “CATHARINE DEMATE”, de la maison Emateya, couturière, morte le 3 janvier 1739, à trente et un ans. Sur son acte de décès, on pouvait lire que les témoins “n’ont pas signé pour ne savoir”.
A Catharine, morte au fond de la vallée de Lantabat, à Ascombeguy par une froide journée d’hiver, qui ne savait pas la langue française, qui ne savait pas même écrire dans sa langue, je voudrais dédier ce travail.
(*) Isabel Thevenon, Contribution à l’étude de l’esthétique basque à travers l’art lapidaire funéraire : analyse des stèles discoïdales, des croix et des dalles des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles dans la vallée de Lantabat en Basse-Navarre. Maîtrise d’enseignement des arts plastiques, direction Jean Laude, Sorbonne, octobre 1978.