Confinement vécu, nous voilà libres d’aller. Enfin pas tout à fait libres, puisque si nous avons la latitude de prendre l’avion, poignées de main, bises et embrassades sont à priori exclues de notre vivre ensemble. Autrement dit ambiance sécuritaire chargée ! Les séquelles de la pandémie Covid-19 vont-elles finir par nous submerger, ou bien nous épargner ou qui sait, nous oublier ? Impossible à prédire, alors que le débat autour du masque s’exacerbe. Rendu obligatoire dans tout Paris, imposé à Marseille, capitale sudiste ayant osé manifester quelques signes de rébellion, et dans d’autres métropoles. Mesure également adoptée sans renâcler dans plusieurs centres-villes du Pays Basque (Bayonne, Biarritz, Saint-Jean-de Luz…), étendue aux élèves de 11 ans et plus dans l’enseignement secondaire, jusqu’aux enseignants de maternelles.
De quoi auront-ils l’air ces professeurs d’école, face aux tout petits faisant leur première rentrée, privés du moindre sourire ? Ce masque imposé à toutes les entreprises, est (déjà) le signe de l’enfermement sinon physique du moins mental, qui nous est imposé “pour le bien de tous”.
Nous évoluons tels des pestiférés potentiels, privés du “droit” de trop se rapprocher, de se toucher dans une société distanciée, confrontée à des bouleversements loin d’avoir fini de peser sur nous.
Hyper connectés mais sans contact ! La “peur de l’autre” qui heurte convivialité et civilité, en sort renforcée.
L’exigence sécuritaire
L’exigence sécuritaire nous submergera-telle ? François Sureau(1) juriste et romancier philosophe, posait la question dans un essai intitulé “Sans la liberté”, paru fin 2019. Pour l’ancien magistrat, la réponse figurait dans le titre. C’était “Oui !”. Sa préoccupation du moment ne concernait pas le traitement de la pandémie Covid 19. Mais bien les mesures antiterroristes décrétées à l’occasion des attentats islamistes de 2015 et 2016 et la facilité avec laquelle les décisions gouvernementales avaient été acceptées d’emblée. “L’état de droit, dans ses principes et dans ses organes écrivait-il, a été conçu pour que ni les désirs des gouvernements ni les craintes des peuples n’emportent sur leur passage les fondements de l’ordre politique, et d’abord la liberté. C’est cette conception même que, de propagande sécuritaire en renoncements parlementaires, nous voyons depuis vingt ans s’effacer de nos mémoires sans que personne ne semble s’en affliger. Je tiens pour vain l’exercice de l’indignation (…) Nous nous sommes déjà habitués à vivre sans la liberté. Si l’on ne fait pas son ordinaire de la lecture du Journal Officiel, on n’a pas nécessairement l’occasion des mesurer l’effritement légal de l’édifice de nos libertés”. L’évidence pour François Sureau, c’est qu’à l’origine, le système des droits en France a été pensé “pour qu’il n’y ait pas à choisir entre sécurité et liberté”. Faute de quoi le sécuritaire finit forcément par s’imposer.
Le risque de “servitude consentie”
Face au risque de “servitude consentie”, le constat dressé est sévère : “Les gouvernements n’ont pas changé. C’est le citoyen qui a disparu…” Et de citer quelques exemples: les contrôles individuels sur les manifestations, le traçage numérique, la stigmatisation des “discours de haine” sur internet dans laquelle il voit une véritable “chasse à la liberté d’expression”. L’objet de cette loi dite Avia sans lien direct avec le Covid-19, bien que très controversée, a été adoptée le 13 mars dernier. Question d’opportunité. “Qu’est-ce donc qu’une société qui ne reconnaît pas d’autre valeur que la survie ?” Le message lancé en mai dernier par le philosophe italien Giorgio Agamben à propos du Covid-1, concernait l’Italie où la population a accepté des contraintes de couvre-feux mais aussi de “ne pas respecter ses morts” face aux risques de contamination(2).
En juillet dernier Jacques Toubon (ex-ministre chiraquien) nommé Défenseur des droits par l’Elysée en 2014, quittait ses fonctions après 6 ans de mandat. Il l’a fait sur un bon bilan, exhortant les Français à saisir la structure, indépendante et ouverte à tous mais trop souvent méconnue.
Il avait co-signé avec la magistrate Adeline Hazan (ex-Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté) et l’avocat Jean-Marie Burguburu (président de la Commission consultative des droits de l’homme), une tribune intitulée “Sauvegardons les droits fondamentaux pendant la crise sanitaire”, parue dans Le Monde(3). Toujours d’actualité.
(1) Sans la liberté, chez Gallimard, collection Tracts. François Sureau est aussi l’auteur du Chemin des morts, évocation de son expérience de magistrat, confronté aux réfugiés basques d’ETA que la France voulait expulser en Espagne dans les années 70-80
(2) L’Obs mai 2020
(3) Le Monde mars 2020