L’écrivaine bayonnaise Marie Cosnay, engagée en faveur des migrants, rappelle ici les “actes qui parlent” d’un maire atypique dans un dossier des plus sensibles.
J’ai soutenu, dans un premier temps, la liste Bayonne Verte et Solidaire. Parce qu’elle respectait une culture, qu’elle en prenait soin, lui permettant de se réinventer, à partir de son histoire et de ses traditions. Parce qu’elle comprenait l’urgence écologique. Je l’ai soutenue aussi parce qu’elle se donnait comme objectif un autre des enjeux du XXIe siècle, lié au précédent. Elle n’avait pas peur d’accueillir en sa communauté d’autres groupes. Parce qu’elle ne doutait ni de ses capacités à le faire, ni de ses capacités à s’interroger sur la meilleure manière de le faire.
Un des enjeux majeurs en ce début du XXIe siècle est en effet la manière dont on accueille l’étranger. Bayonne est depuis deux ans le plus important point de passage des migrations venues d’Afrique de l’ouest. Notre frontière n’est pour autant, jusque-là, pas devenue le point hystérique qu’est celle avec l’Italie, par exemple, ou le Calaisis. Pour qu’elle ne le devienne pas, il faut que les politiques publiques, intelligentes et humaines, restent à la hauteur de l’enjeu. C’est ce qui guidera mon choix au deuxième tour.
Je n’ai jamais trouvé, dans le programme de la liste dirigée par Henri Etcheto ni dans sa campagne du premier tour, le moindre mot sur une question aussi cruciale ici, à Bayonne. Pas un mot sur la question de l’hospitalité, sur la manière dont accueillir «ces étrangers qui viennent». Pas un mot pour contredire les discours ambiants, de masse, nationaux, qui les craignent ou les rejettent.
Ce silence est assourdissant. Mais il est cohérent : je n’ai non plus jamais entendu Henri Etcheto s’offusquer publiquement des attaques immenses qu’a subies le droit des étrangers ces dernières années. Sous le gouvernement Hollande, alors que son parti était au pouvoir, je ne l’ai pas entendu sur les évacuations brutales des réfugiés, Porte de la chapelle. Je ne l’ai pas entendu s’opposer aux propos de Manuel Valls s’offusquant de l’hospitalité qu’offrait l’Allemagne d’Angela Merkel aux réfugiés syriens —qui fuyant toujours la même guerre, par dessus l’Evros, ou par la mer, restent bloqués dans les îles grecques. Je ne me souviens que du silence d’Henri Etcheto à propos de la déchéance de nationalité, ou, plus récemment, autour de la loi Asile et immigration. Cette loi a des conséquences perfides, excluant toujours davantage ceux qui le sont déjà, rendant leur vie plus compliquée et les démarches toujours plus absurdes. Silence encore à propos de l’empêchement fait par l’Europe d’offrir des ports sûrs de débarquement aux bateaux de sauvetage en Méditerranée centrale, d’été en été. Quatre cents personnes ont été, tout le temps de notre confinement, empêchées de débarquer à Malte. Silence. Nous sommes pourtant concernés de bien près : l’ancien chalutier basque, l’Aita Mari, est parti en mission, malgré la pandémie. Il a été immobilisé le 7 mai par les autorités italiennes. Pas un mot, alors que l’actualité est si brûlante, et que nous sommes au cœur de l’événement.
Localement, je n’ai jamais vu Henri Etcheto dans une des nombreuses manifestations, à Hendaye ou à Bayonne, organisées par la Cimade et le collectif Etorkinekin, en faveur de l’accueil, pour la fermeture des centres de rétention, ou contre les accords Dublin.
Les actes, de l’autre côté, parlent. Quand l’UDI, il y a un an je pense, a fait imprimer des affiches scandaleuses, qui disaient en substance : «Migrations: nous protéger avec des garde-côtes et une police des frontières. Faisons-le!», c’est-à-dire des affiches appelant à laisser mourir en mer les gens qui s’y précipitent pour essayer de vivre car, comme ils le disent, ils n’ont rien à perdre, ils sont déjà morts, le maire actuel de Bayonne s’est scandalisé, il a écrit être «horrifié», et a demandé des comptes à son parti. Il venait de faire quelque chose qu’aucun élu, en France, n’avait fait: il avait permis à celles et ceux qui passent la frontière un temps de pause à Bayonne, il s’était associé aux associations œuvrant sur cette question, il n’avait tout simplement pas pu faire semblant, les mains propres et les yeux ailleurs, de ne pas voir.
L’UDI comme le PS sont sur cette question complètement et également coupables. Ce qui fait la différence, ce sont les hommes et leurs actes. On voit venir la barbarie et on ne la supporte pas, quel que soit son engagement, quelle que soit son appartenance politique. Jean-René Etchegaray a eu jusqu’ici ce courage-là, il l’a eu seul —contre même, sans doute, une partie de son électorat. C’est dire sa conviction.
Ce que j’écris ici, si c’est un engagement et un soutien, n’est pas un blanc-seing pour la suite. Si des actes très forts ont été posés, je sais à quel point il faut être encouragé pour continuer à construire, d’une manière juste, et sans se laisser intimider. J’ose espérer que nous serons nombreux à accompagner —et à veiller.
On a beaucoup parlé, à juste titre, des activités qui se sont arrêtées pendant la séquence sidérante que nous venons de vivre. On a oublié de dire que tout ne s’est pas arrêté: les personnes qui étaient en route vers l’Europe sont passées, elles sont actuellement sur les îles Canaries et dans le Sud de l’Espagne, les empêchements européens les obligeant à prendre des risques de plus en plus grands, sur l’océan. Ces personnes vont bientôt remonter, nous le savons. Elles passeront par notre frontière. C’est demain. J’ai la terrible impression qu’Henri Etcheto ne s’en rend pas compte.
Livres de Marie Cosnay sur la situation des migrants parus à ce jour:
+ Entre chagrin et néant, audiences d’étrangers, Cadex éditions, 2011.
+ Comment on expulse, responsabilités en miettes, Éditions du croquant, 2011.
+ Jours de répit à Baigorri, Créaphis, 2016.
+ Avec Mathieu Potte-Bonneville, Voir venir. Écrire l’hospitalité. Stock, 2020.