L’histoire est toujours écrite par les vainqueurs. LA vérité est celle de celui qui a gagné. Les Basques, comme les autres peuples colonisés, dominés, n’échappent pas à cette fatalité. La question du récit historique revient aujourd’hui avec acuité avec la narration du conflit dont l’expression armée s’achève.
Les hommages rendus aux preso sortant de prison ou l’élaboration des manuels d’histoire suscitent la polémique. Les Espagnols, forts de leur victoire, entendent en profiter pour imposer leur récit qui conforte leur projet idéologique, politique, culturel, linguistique.
Les abertzale sont conscients de tout cela et le subissent. Ils élaborent une et parfois plusieurs versions historiques qui sont les leurs.
Euskal memoria Fundazioa participe de ce mouvement, recueille, synthétise et publie informations et témoignages.
Cette fondation a fait paraître un superbe ouvrage de Joseba Zabaltza, Gogoan hartzeko izenak. Il rassemble au fil de 135 chapitres l’histoire de 135 abertzale connus ou anonymes, tombés sous les balles des forces policières ou para-policières espagnoles et françaises, de 1949 à aujourd’hui. Quatre pages sont consacrées à chacun, le rythme est toujours le même : une photo familiale de la victime, touchante par sa modestie, comme il en existe dans des albums chez chacun d’entre nous. Un bref récit sur les circonstances du meurtre.Quelques bribes de biographie, le contexte ou les raisons d’un engagement, narrés par un proche du défunt qui accepte de témoigner.
Le propos est simple, il va à l’essentiel. La réserve des Basques, leur difficulté à s’épancher sont bien connues. Ils nous parlent de douleurs intimes pudiquement évoquées, du passé et du présent. Puis vient une photographie en pleine page : celle d’un parent du disparu, témoins qui garde au fond de lui des souvenirs intacts.
Parmi tant d’autres, nous en évoquerons une, celle de Pascal Lafitte, frère de Didier, tué par un gendarme français, d’une balle dans le dos, dans un guet-apens. C’était le 2 mars 1984 à Bayonne. Au quartier des Arènes sur le lieu du drame, Pascal Lafitte est revenu. Ses traits burinés, la poids de son corps comme celui des ans, la densité de son regard, la gravité de ses yeux nous transpercent, bouleversants comme un portrait d’Egon Schiele.
En ce livre, il convient de pénétrer peu à peu, en prenant le temps de laisser remonter à soi, d’intégrer les émotions offertes et partagées.
Le lecteur approchera alors la rudesse d’un combat qui s’inscrit dans les passions, la mémoire, l’histoire et l’identité d’un peuple en quête de son destin.
Joseba Zabaltza, Gogoan hartzeko izenak, Euskal memoria fundazioa, 2017, 456 p.