On le mesure en entrant dans une nouvelle période électorale, l’abertzalisme est une force politique majeure qui reste minoritaire. Peut-on mesurer l’impact électoral du mouvement au regard de son évolution ce dernier demi-siècle ? Dernière l’éternel débat d’un rythme trop lent ou trop rapide, c’est aussi la question de la stratégie qui doit être posée.
Bizarre, que ce titre en italien sans quelque autre sorte de précision quant au sujet de la chronique qu’il ouvre, les plus ritalophiles ayant toutefois compris qu’il s’agit ici de se dire que “celui qui va lentement va sainement”. La saison du baccalauréat n’étant pas encore arrivée, il n’est point ici question de réflexion philosophique, mais bien de la volonté de ramener cet aphorisme à des considérations plus politiques.
Positif ou négatif ?
En réalité, plus que d’une affirmation il s’agit d’une interrogation, au sujet de l’impact électoral du mouvement abertzale au regard de son évolution durant ces 50 dernières années. L’idée m’en vient du souvenir d’un éditorial lu dans le quotidien Berria au lendemain des élections législatives de 2017, qui avaient vu le score abertzale –ainsi que son positionnement dans le “ranking” des formations politiques locales– évoluer à nouveau à la hausse. En substance, le journaliste auteur de l’édito, Eki Erremundegi, affirmait qu’il était dérisoire de fêter le bon résultat obtenu quand on mesurait le chemin qu’il restait à parcourir avant de gagner enfin et de conquérir nos objectifs réels. Derrière cette question, de nombreuses considérations étaient pourtant à prendre en compte : nature de l’élection (à l’époque élection législative, la plus difficile pour le mouvement abertzale puisque destinée à désigner les représentants de la nation française, ceux qui feront sa loi) ; contexte de l’élection (raz-de-marée macroniste redistribuant les cartes électorales) ; découpages des circonscriptions (chacune intégrant des éléments “plombant” le résultat abertzale), etc.
Mais le constat n’en restait pas moins évident : même deuxième force politique locale, à moins de 15% on ne pouvait prétendre faire les fanfarons et sur ce point il avait raison. Sur les autres types d’élections, chaque cas est différent mais la tendance lourde reste la même: l’abertzalisme est une force politique majeure mais elle reste largement minoritaire. L’an prochain auront lieu les élections municipales, qui nous donneront à nouveau l’occasion de mesurer la pénétration de nos idées dans la société. Gardant en mémoire cet éditorial de Berria d’il y a 3 ans, le constat restera toutefois le même. Sauf énorme tremblement de terre, quelques mairies resteront ou deviendront “abertzale” (avec toutes les nuances dues au concept de listes plurielles), d’autres verront le nombre d’élus abertzale augmenter tant dans les majorités que dans les oppositions, mais la photographie globale montrera toujours un mouvement minoritaire.
Il sera alors possible de voir la situation sous deux angles. L’un positif, consistant à regarder 50 ans en arrière afin de constater le chemin parcouru. En effet, en 1970, ce n’était pas la peine de chercher quelque élu abertzale que ce soit, en tout cas pas sous cette étiquette et encore moins dans une liste identifiée. De fait, les militants de l’époque auraient signé des deux mains pour la situation actuelle et il est incontestable qu’un chemin énorme a été effectué. L’autre angle possible est négatif, consistant à déplorer la lenteur avec laquelle nous sommes passés de la marginalité de l’époque à la minorité même forte d’aujourd’hui ; car cette lenteur passée induit probablement aussi une lenteur future, et on finit par se demander si on gagnera un jour. Question légitime, car on va peut-être “sano” mais tellement “piano”…
Face à une construction
À l’époque, Eki Erremundegi ajoutait une autre réflexion à son constat, celle de conseiller au mouvement abertzale de passer moins de temps à se réjouir de ses modestes avancées électorales et davantage à rechercher de solutions pour gagner. Là encore réflexion légitime, bien qu’elle eût été de meilleur effet formulée quelque temps après la séquence électorale, plutôt que dès la semaine suivante.
Réfléchir à trouver des solutions pour gagner, en outre, c’est ce que font la plupart des militants. Le font-ils bien est une autre question, mais en l’occurrence si la critique est facile, l’art est incontestablement difficile ; et si lesdites solutions étaient aisées à trouver, personne dans le monde abertzale ne s’en serait privé.
La difficulté pour nous réside en grande partie dans l’ancienneté et la profondeur de la construction nationale et citoyenne française au Pays Basque. Quand une population a été nourrie depuis si longtemps et dans toutes les dimensions de sa vie quotidienne d’un horizon politique, culturel, économique, militaire, exclusivement français, et qu’en outre cet horizon a été élaboré en intégrant de manière parfaitement fluide et harmonieuse l’horizon local basque comme une de ses composantes, il est difficile ensuite de se présenter avec son projet abertzale affirmant qu’il convient de “changer de patrie”.
Encore 50 ans ?
Dans ces circonstances, que représentent 50 ans d’avancée abertzale sur plusieurs siècles de nation française ? Une éternité ou un battement de cil ? Pour ma part, cette question importe moins que celle de savoir si le chemin choisi pour avancer encore et si possible plus vite, est le bon. Question qui n’est certes pas simple, les divergences d’idées, de choix tactiques, de positionnements idéologiques étant si variées et parfois opposées.
Que représentent 50 ans d’avancée abertzale
sur plusieurs siècles de nation française ?
Une éternité ou un battement de cil ?
Pour ma part, cette question importe moins
que celle de savoir si le chemin choisi
pour avancer encore et si possible plus vite,
est le bon.
Il convient aussi de savoir si nous avons le temps de progresser aussi lentement, certaines problématiques telles que celle de la langue basque, celle de la libération des prisonniers ou encore celle de la déclinaison locale des enjeux environnementaux étant d’une urgence parfois immédiate.
Je n’ai donc aucune conclusion à ma chronique.
Quand on se demande si notre progression est trop lente ou trop rapide, personne n’a tort ni raison, j’imagine que tous les abertzale sont d’accord sur la frustration d’être encore si loin du bout du chemin. Je suppose que l’essentiel réside dans la capacité de tout un chacun à se demander si sur ce chemin commencé par d’autres et qui sera suivi par d’autres, il ou elle aura suscité quelques pas en avant. Même lents.