Voici le double enjeu des élections municipales de l’an prochain, l’attachement au clocher et la construction territoriale qui doit transcender la juxtaposition de 158 légitimités locales. Le mouvement abertzale a su être à l’avant-garde de nombreuses avancées au Pays Basque, il remplirait une belle fonction historique en se faisant l’aiguillon d’une logique de territoire en Pays Basque nord. Et accessoirement, dans une logique de construction nationale, il répondrait aussi à sa raison d’être politique.
Dans un an, à cette même époque, nous serons en pleine campagne des municipales, élections majeures pour la plupart des acteurs politiques locaux mais également pour la population qui y voit l’échelon de proximité par lequel la politique paraît concrète, palpable, en quelque sorte humaine.
C’est presque un paradoxe, mais c’est précisément à l’heure à laquelle les maires croient de moins en moins en leurs prérogatives ou en leur capacité à agir que les citoyens, sûrement par contraste avec le monde des autres “grands” élus jugé évanescent voire carrément perverti, sont les plus attachés à ce mandat local.
Commune VS intercommunalité ?
Or, si la plupart des gens n’ont aucune difficulté à se représenter l’enjeu des élections municipales dans leur quotidien, bien peu se souviennent que désormais par ce même scrutin se décide également l’élection à l’intercommunalité. Et là, les choses se compliquent. Car c’est bien dans ce qui pourrait constituer une quadrature du cercle que me paraît résider l’un des enjeux les plus importants de l’élection de 2020. En effet, tandis que des analyses d’éditorialistes professionnels en discussions de Café du commerce on ne cesse de déplorer l’archaïque entrelacs français de 36.600 communes, à la minute où l’on commence à évoquer leur regroupement en communautés de communes ou d’agglomération c’est au contraire l’éloignement des institutions qui se fait insupportable et l’attachement à son clocher qui se révèle réflexe culturel pavlovien.
Au Pays Basque plus particulièrement, dans le monde abertzale comme dans les autres cultures politiques, on a bien du mal à positionner le curseur qui marquera l’équilibre entre une structure intercommunale depuis longtemps revendiquée et son village ou sa ville dont on ne veut pas sacrifier l’autonomie, comme si cela induisait d’en sacrifier ensuite l’identité.
Ce curseur, il semble pourtant avoir déjà commencé à bouger, plus ou moins consciemment, vers un niveau intermédiaire ou “infra-communautaire” : le pôle territorial. Tant dans le mode de désignation des élus communautaires que dans la gestion des compétences, ce qui n’est jamais plus que la survivance de l’ancienne intercommunalité semble rassurer entre le trop gros et le trop petit.
Mais il s’agit de faire attention, car si la carte ne fait pas toujours le territoire, la structure institutionnelle peut fortement conditionner les politiques publiques qui y seront déployées. Conceptuellement, on n’agit pas de la même manière selon que l’on est candidat d’une liste communautaire EH Bai – au hasard – et élu au suffrage universel direct par les électeurs des 158 communes de la Communauté Pays Basque, ou que l’on est élu EH Bai à cette même institution par les électeurs de sa seule commune ou de son seul pôle territorial. De même, l’échelle à laquelle se jugera l’élection déterminera forcément celle des programmes électoraux qui y seront défendus et par la suite, les élus qui en seront issus auront toujours tendance à porter en premier lieu les intérêts de cette échelle de base, logiquement d’ailleurs puisque c’est d’elle qu’ils tireront leur légitimité. En conséquence, difficile de penser promouvoir – même quand on le revendique en tant qu’abertzale – un projet de territoire pour le Pays Basque nord.
Minimale équité
On peut craindre que le coup soit de toute manière déjà parti, en tout cas pour les dix prochaines années. En effet, la plupart des principaux documents stratégiques censés encadrer l’aménagement futur du territoire Pays Basque nord sont prévus pour être adoptés dès cette année. Mettant d’ores et déjà à part la question de savoir qui des élus ou des fonctionnaires de la “technostructure” communautaire pèse le plus dans les choix opérés sur des thématiques si vastes et si complexes, cela signifie en tout cas que c’est par le “logiciel” actuel que tout sera fait, en fonction des intérêts locaux actuels, au gré des rapports de force actuels. C’est bien dommage quand on considère l’écart parfois abyssal qui sépare les réalités des gens de cette même agglomération, dans tous les domaines : des transports collectifs à l’offre culturelle, des soins médicaux à l’accès au très haut débit numérique… Écart dont il serait bien démagogique de prétendre qu’il puisse être un jour totalement réduit entre un monde urbain littoral et un monde rural intérieur dans lesquels les densités de population induisent des opportunités et des contraintes aussi contrastées. Pourtant, à ce niveau d’action intercommunal qui paraît efficient –moins de 3000km2 et 300.000 habitants– il semble possible d’aménager un territoire dans lequel tous les habitants, qu’ils habitent à Barcus, Bayonne ou Espelette, puissent bénéficier d’un niveau de vie et plus singulièrement de services publics, sinon égaux, au moins équitables.
Penser une commune de 158 quartiers
Cela suppose un écheveau dont il faudra s’habituer à penser qu’il est toujours de dimension locale mais d’un local dont on aura repoussé les murs, à défaut de les avoir abattus : Saint-Esprit est toujours un quartier de Bayonne, mais maintenant Bayonne et Baigorri sont aussi des quartiers d’une même “ville” puisque les compétences mises en commun sont, à la base, communales, partageant notamment de plus en plus de leurs ressources fiscales et de leurs postes de dépenses. Ce n’est qu’en pensant ainsi qu’on construira un territoire ; pas en juxtaposant élus et projets de 158 communes, ni même de 10 pôles territoriaux. Peut-être ce chemin nécessite- t-il de passer par ces étapes intermédiaires, c’est même peut-être évident surtout si l’on rappelle que la loi ne permet guère de faire autrement. Mais de la même manière que le mouvement abertzale a su être à l’avant-garde de nombreuses avancées au Pays Basque, il remplirait une belle fonction historique en se faisant l’aiguillon d’une logique de territoire en Pays Basque nord. Et accessoirement, dans une logique de construction nationale, il répondrait aussi à sa raison d’être politique. Les échéances de 2020 sont une belle occasion d’avancer sur ce chemin.