Depuis le dépeçage du Moyen-Orient à l’issue de la première guerre mondiale, le peuple Kurde écartelé par quatre États totalitaires n’a cessé de se battre pour survivre. Retour sur la cruelle division interne dans sa partie irakienne où le clan Barzani demeure, de père en fils, la force principale.
Le 25 septembre 2017, le Kurdistan d’Irak se prononçait avec une majorité de 93% en faveur de l’indépendance. Pourtant, le référendum voulu par Massoud Barzani, le Président du Gouvernement Régional du Kurdistan (GRK) fut un désastre pour les Kurdes. Hostiles à cette consultation, les puissances voisines (Iran, Turquie, Irak) unirent leurs efforts pour isoler le Kurdistan. L’Irak en profita pour reprendre possession de la région pétrolière de Kirkuk que les Kurdes avaient conquise à l’État Islamique et qui leur assurait une indispensable rente pétrolière.
Plus grave encore, les tensions entre les deux principales formations politiques kurdes, le PDK de Barzani et l’UPK —qui ne souhaitait pas que le référendum se tînt— atteignirent des niveaux inquiétants. Quand Barzani démissionna un peu piteusement de la présidence du GRK le 1er novembre 2017, il semblait donc clair que sa carrière politique était terminée. Et pourtant… Un an et deux élections plus tard, à 72 ans, Massoud Barzani est redevenu l’homme fort du Kurdistan d’Irak.
Quand Barzani démissionna
un peu piteusement de la présidence du GRK
le 1er novembre 2017,
il semblait donc clair que sa carrière politique était terminée.
Et pourtant…
Un an et deux élections plus tard, à 72 ans,
Massoud Barzani est redevenu
l’homme fort du Kurdistan d’Irak.
La première étape de ce retour improbable fut le succès remporté par sa formation aux élections législatives irakiennes en mai 2018. Avec 25 élus, le PDK est tout simplement le premier parti de l’État irakien, seulement devancé par des coalitions. Du point de vue kurde, ces élections nationales signifièrent un retour au bipartisme clanique qui mine le pays depuis des décennies puisque l’UPK, avec 18 sièges, réalisa également un excellent score alors que les autres partis d’opposition, qui avaient semblé ces dernières années pouvoir proposer une alternative crédible, se sont tous effondrés.
Progression
Les élections parlementaires autonomes qui se sont tenues le 30 septembre dernier ont confirmé cette tendance. Le PDK passe de 38 à 45 sièges (sur un total de 111), le PUK de 18 à 21, et cette progression se fait au détriment des partis d’opposition et notamment du parti Gorran (changement) qui avait fait naître l’espoir d’une alternance en devenant la deuxième force politique du pays lors des élections précédentes de 2013. Malgré l’échec de l’aventure référendaire et sa gouvernance presque unanimement critiquée, le PDK a donc profité de l’élan nationaliste de l’an dernier, mais aussi de l’affaiblissement conjoncturel du UPK et de Gorran dont les deux dirigeants historiques sont décédés l’an dernier.
Le succès du PDK est tout de même à relativiser. La participation aux élections a été très faible et leur déroulement entaché de nombreuses irrégularités à tel point que 4 des 9 commissaires chargés de valider les élections ont rejeté les résultats annoncés. Il en va de même de la plupart des petits partis d’opposition qui menacent même de boycotter la prochaine session parlementaire.
Cette défiance pourrait miner la stabilité du GRK dans les prochaines années car on voit mal ces formations accepter de gouverner avec le PDK de Barzani et, même si le UPK a reconnu le résultat des élections, une nouvelle coalition PDK-UPK comme dans la mandature précédente semble difficile tant les tensions entre les deux formations historiques se sont exacerbées.
Unité kurde
Déjà accusé de “haute trahison” par le PDK pour ne pas avoir défendu militairement Kirkuk contre l’avancée des milices chiites envoyées par Bagdad lors du référendum, le UPK est cette fois-ci maudit pour avoir “ruiné l’unité kurde” en réussissant à faire élire le 2 octobre dernier l’un de ses membres, Barham Salih, à la Présidence de l’Irak (qui échoit traditionnellement à un Kurde).
Pour le moment en tous cas, le PDK semble moins désireux de former un gouvernement de coalition avec le UPK que de lui faire payer ses “trahisons”… C’est d’autant plus dommage que le nouveau Premier ministre irakien, Adil Abdul- Mahdi, est un fédéraliste plutôt ouvert sur le dossier kurde (“c’est un ami du peuple kurde” selon Barzani), qu’il est en très bon termes avec le Président Salih, et que son élection a été bien reçue à Washington et à Téhéran.
Il y aurait donc peut-être une possibilité d’apaiser les nombreuses tensions qui subsistent entre Erbil et Bagdad depuis le référendum : le partage des revenus pétroliers, le statut des territoires contestés, la part du budget fédéral allouée au GRK, le paiement des peshmergas, etc. Tous ces problèmes devront être abordés dans un contexte difficile en raison du rétablissement des sanctions américaines contre l’Iran qui est le premier partenaire commercial de Bagdad.
L’Irak sera donc contraint à une adaptation difficile et douloureuse de son économie dont les Kurdes pourraient tirer leur épingle du jeu s’ils se montrent unis.
Mais si les relations entre les deux vieilles formations rivales kurdes ne s’améliorent pas, le GRK pourrait tout simplement disparaître pour laisser la place, comme c’était le cas avant 2006, à deux entités distinctes, l’une gérée par le PDK à Erbil et l’autre par le UPK à Souleimanye. Probablement pas ce que souhaitaient les 93% de Kurdes qui avaient voté “oui” à l’indépendance le 25 septembre 2017.
Kirkouk, la Jérusalem des Kurdes
La tenue du referendum d’indépendance du Kurdistan d’Irak, en septembre 2017, a généré de fortes tensions entre le gouvernement régional du Kurdistan et le gouvernement de Bagdad.
Le pouvoir central, opposé au referendum, a, comme en Catalogne, prononcé son illégalité et sa suspension.
Le vice-président et ex-Premier ministre irakien Nouri al-Maliki s’élevait alors contre “la création d’un deuxième Israël au nord de l’Irak”, faisant écho aux propos de l’ancien président de la République d’Irak et fondateur de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), qui voyait dans la ville de Kirkouk la “Jérusalem” des Kurdes.
Ce dernier n’aura d’ailleurs pas survécu longtemps à un scrutin largement en faveur de l’indépendance puisqu’il s’est éteint dans cette foulée, le 3 octobre 2017, une dizaine de jours avant l’offensive de l’armée irakienne pour reprendre le contrôle de Kirkouk.
Avec 40 % des réserves irakiennes de pétrole brut, la région de Kirkouk est simultanément l’aubaine et le malheur des kurdes. Objet de toutes les convoitises, c’est déjà à Kirkouk que s’est posé le problème kurde lorsqu’au lendemain de la première guerre mondiale, l’Angleterre et la France s’accordent sur l’indépendance du Kurdistan qui sera consignée en 1920 dans le traité de Sèvres, moyennant un passage par l’autonomie et l’accès à ces réserves pétrolières conséquentes.
Le traité sera rectifié trois ans plus tard par une résolution de la société des Nations à Lausanne, pour calmer la fureur turque et lui permettre d’investir une partie du Kurdistan.
Le pays est éclaté. Ces frontières vont même être gravées dans le marbre en 1926 lors du traité d’Ankara, signé entre la Turquie, l’Irak et la Grande-Bretagne qui possède un mandat pour administrer la Mésopotamie jusqu’en 1932.
La frontière devient “immuable”. Tout comme l’intérêt suscité par les réserves de pétrole et de gaz de la région.
La ville, prise en juin 2014 par les peshmergas après avoir été abandonnée par l’armée irakienne, assurait la moitié des revenus du gouvernement régional Kurde. L’intervention de l’armée irakienne pour reprendre la région, à la faveur du référendum kurde, prive les kurdes de cette autonomie financière cruciale. Et les divise une nouvelle fois. Kirkouk est pour le coup la Jérusalem des kurdes, une terre promise à tous qui devient l’objet de toutes les convoitises.