Ces dernières semaines, l’actualité a été marquée par l’épisode dit des “gilets jaunes”, dont je dois avouer qu’il me laisse un arrière-goût désagréable dans la bouche, tant il me paraît en grande partie révélateur d’une tendance à l’individualisme d’une part et à la simplification d’autre part. La dynamique des gilets jaunes, comme toute dynamique d’origine populaire –je n’ose dire “citoyenne” et à mes yeux cette connotation est importante–, est difficile à interpréter au plan sociologique sans un minimum de recul en particulier dans le temps, surtout quand on n’est pas soi-même sociologue.
On pourra évoquer le maquis des doléances ou des revendications, la diversité des motivations, l’existence réelle ou supposée de manipulations partisanes, il reste que le fond de cette dynamique reste une opposition à la hausse des taxes sur les carburants. En soi, je dois avouer que comme tout un chacun je préfère débourser le moins possible en contributions, qu’en outre je suis parfaitement prêt à me mettre à la place de tous ces gens à faible revenu et donc à entendre leur bien réel désarroi.
Là réside à mon sens la plus grande faute de ce gouvernement et de ceux qui l’ont précédé dans la gestion de la fiscalité énergétique : à trop vouloir utiliser l’outil fiscal indirect –la taxe, identique pour le millionnaire comme pour le smicard– sans au préalable assurer de véritables solutions alternatives et écologiquement vertueuses au tout-voiture, de telles hausses sont inévitablement et légitimement vécues comme des injustices.
A trop vouloir utiliser l’outil fiscal indirect
–la taxe, identique pour le millionnaire comme pour le smicard–
sans au préalable assurer de véritables solutions alternatives
et écologiquement vertueuses au tout-voiture,
de telles hausses sont inévitablement et légitimement vécues comme des injustices
Oui, il est injuste de hausser les taxes sur les carburants tant qu’on n’a pas d’abord, par exemple, offert à tout le monde la possibilité d’emprunter des transports collectifs propres, économiquement abordables voire gratuits, et à rotations permettant de répondre aux principaux besoins de la vie quotidienne. Ces transports-là sont chers, mais ils sont nécessaires aux plans écologique comme social ; et une fois mis en place, à mon avis ils justifient bel et bien une fiscalisation forte des carburants polluants.
C’est comme les impôts en général : s’ils étaient socialement justes et bien utilisés, moi je serais très heureux d’en payer. Le problème avec les gilets jaunes, c’est qu’à quelques exceptions près on n’entend que peu d’entre eux porter un discours écologiquement vertueux ; la plupart ne se mobilisent que parce qu’on leur fait payer plus cher leur essence.
Sans controverse sur la taxation des carburants, combien d’entre eux mettraient un gilet vert pour manifester en faveur de transports collectifs propres ? Combien, parmi ceux qui vivent dans des zones urbaines ou périurbaines bien desservies par des transports en commun les utilisent effectivement ? Moi qui suis abonné TER, il faudra un jour que j’aie le réflexe de prendre une photo de la rame de train dans laquelle je monte le matin en gare de Saint-Jean-de-Luz, et que je la mette sur un réseau social pour montrer combien d’usagers elle transporte : ils se comptent sur les doigts d’une seule main du baron Empain. Certes, Dieu sait que la région Aquitaine fait tout pour décourager les gens d’utiliser son réseau ferré ; mais enfin, même quand l’offre se fait aussi défaillante la demande pourrait mieux servir d’aiguillon.
Jaune ou vert, blanc ou noir…
C’est la raison pour laquelle, si je ne soutiens pas le gouvernement, je n’en mettrai pas davantage de gilet jaune : dans cette époque misérable, on ne sait plus réfléchir, critiquer, proposer, voire descendre dans la rue que de manière manichéenne, sur le mode du tout-bien ou tout-mal.
Oui, il est injuste de taxer le diesel lorsqu’aucun autre choix de déplacement efficient n’est offert ; mais non, on ne peut pas être contre le principe lui-même de la taxation du diesel –comme de tout autre carburant “sale” d’ailleurs– à l’heure de l’urgence climatique.
Oui, il est injuste de nous demander à tous de renoncer du jour au lendemain à des modes de vie qu’on nous a présentés depuis un siècle comme la quintessence du progrès et qui nous ont littéralement conditionnés; mais non, il n’est pas possible de laisser penser qu’on permettra à nos enfants de vivre dignement sur Terre demain sans rien changer aujourd’hui et en laissant penser qu’on pourra continuer à polluer pas cher.
Qu’on appelle ça du “en même temps”, des “faces d’une même médaille” ou je ne sais quoi d’autre, chaque problématique se doit d’être abordée dans toutes ses dimensions, et pas seulement à la seule aune de la gêne qu’elle nous procure. Cela vaut pour l’écologie comme pour l’économie, pour le logement comme pour la question des migrations. Et aussi pour des thématiques abertzale, telles que l’euskara ; il doit pouvoir être possible d’être défenseur de sa langue et en même temps de chercher dans une chronique d’Enbata à attirer l’attention sur de possibles dérives ; comme il doit être aussi possible de reconnaître le droit parfaitement légitime d’un maire à exclure un membre de son groupe devenu ostensiblement son opposant, tout en n’évacuant pas d’un revers de main un questionnement –malheureusement abaissé au rang d’alibi commode par ledit opposant mais pas moins importante par principe– lié à la place de l’euskara dans la vie municipale.
Vert et rouge
Je m’excuse auprès des lecteurs d’avoir ainsi utilisé quelques lignes de cet espace d’expression pour ces petites mises au point quelque-peu personnelles. Mais outre la difficulté de savoir toujours jauger ce qu’il est bon ou moins bon de dire publiquement –et l’erreur est heureusement humaine–, il me paraît utile de parfois chercher à rompre le caractère par trop sacro-saint de certains principes politiques, surtout quand il peut porter préjudice à leur pénétration dans la société.
Et puis, plus qu’utile, il est carrément nécessaire de ne pas s’enfermer dans des logiques univoques et simplistes qui non seulement sont inefficaces mais font potentiellement le lit des populismes.
A cet égard je suis fier d’appartenir à un mouvement politique tel qu’EH Bai qui a su éviter de flatter certains bas instincts ambiants révélés durant l’épisode des gilets jaunes –je ne parle pas des gens modestes dont la colère est compréhensible, mais de certains bien réels poujadistes.
Tous les partis en France n’en ont pas fait autant, au risque d’alimenter une fausse opposition entre justice écologique et justice sociale.
L’avenir ne sera pas seulement d’un vert écologiste ou d’un rouge social, il devra être les deux à la fois. Mais encore faut-il pour cela ne pas percevoir ces enjeux de manière réductrice et individualiste.
Tout à fait d’accord avec vous Peio, J’ai personnellement été en contact quatre fois avec des gilets jaunes soit au péage de la négresse soit à Paris la semaine dernière. Il est très difficile d’exprimer une opinion qui soit différente de celles soutenues par les personnes présentes. J’ai donc choisi de me taire pour éviter de voir le ton monter. Je pense comme vous que l’utilisation des taxes sur les carburants ne correspond pas à ce qu’elle devrait être. Il est grand temps de faire preuve de pédagogie et de justice sociale sans pour cela accepter les dérives des radicalisés. Malheureusement il y en a un peu plus chaque jour.
Milesker Peio Etcheverry-Ainchart ! Enfin une réflexion intelligente sur ce mouvement des gilets jaunes qui me dérange aussi… Heureux – mais pas surpris – qu’elle émane d’un abertzale.
Biba hi Peio. Arrunt ados nuk ikusmolde horrekin, angelismo batetik haratago oinarritzen baita. Ez adiorik.
Populismoari buruz, liburu arras gomendagarri bat: Joseba Gabilondoren “Populismoaz” Mugimendu ezkertiarrak (eta abertzaleak) populismoa bereganatzearen zergatiaz. (kasu Peio, euskaraz da)
Politikari abertzale batek bertsozaletasuna, pastoralzaletasuna, euskal literaturzaletasuna, eta orohar asimilazioari aurre egiteko ditugun erresistentzia espazioeri “dérive” deitzea penagarria eta kezkagarria deritzot.
Pseudo-subertsibo konplexatuen alderdi erregionalista huni alternatiba bat sortzeko garaia hurbilduko da, oino arras asimilatuak ez diren iparraldeko euskaldunek ez baitute luzaz soportatuko ordezkaritza hain ahul bat.
Posibilitate bat Euskal “CUP” bat litaike, euskarari, naziogintzari, estatugintzari hats berri emanen lukena eta herrietako eta auzoetako biltzarretan oinarritua litaikena.
Ez adiorik, segi hola.
Iepa !
De mon côté je suis lasse et abasourdie à la fois, de voir que dans nos milieux militants, au lieu d’aller amener nos points de vue, informations, pédagogie, méthodologies, on semble se recroqueviller et se dire qu’ils ne sont pas dignes, ces gilets jaunes. Et si l’on arrentait de vouloir constater de voir ce que l’on pourrait pourtant nous-même y apporter. La base de la construction de l’intelligence collective, les perspectives s’agglomèrent et nourrissent les un.es les autres. Et c’est pas grave si l’impulsion ne vient pas de “nous”, il faut voir la brèche, qui constitue stratégiquement, un point de rencontre et d’accélérateur de la circulation des pensées alternatives. Belle journée à vous !
Ez diat kunprenitzen gure immobilismoa !
Les gens qui portent et supportent la société, qui elle meme nous porte.
Comment peut-on se sentir éloigné de gens qui affichent leurs difficultés personnelles et sociales ? Ne sommes-nous pas là au cœur du politis politique ?
Qu’attendons-nous ? Pourquoi notre silence ? Pour qui ?
Une région autonome, pour qui, pour quoi ? Une langue sauvée, pour qui, pour quoi ? Une université, pour qui, pour quoi ?
Justement, ne sommes pas en présence d’une fracture du savoir ? Une fracture entre ceux qui pensent s’en sortir et ceux qui n’y arrivent plus ? La réflexion de Peio est intéressante. Milesker idatzirik.
C’est un débat sur le système qui a lieu là. Bfm le réduit à une question de taxes et de casseurs. Nous aussi ?
Peio,
Je suis heureux de te dire que je partage ton point de vue et même au-delà.
En effet, pour aller vite, qu’il y ait des gens de bonne volonté parmi les gilets jaunes, nul ne le conteste ; que certaines revendications puissent être partagées par nombre de citoyens, certes. Que le rejet du politique professionnel soit entendu, bien évidemment. Mais s’agit-il vraiment de cela ?
Pas vraiment. L’enjeu principal reste la politique, c’est-à-dire la question du pouvoir, de sa nature, de sa fonction, de sa critique. Car le pouvoir politique commande tout le reste : l’économique, le social, le culturel, l’idéologique.
Et la gauche réduite depuis tellement longtemps à l’état d’un cimetière mérovingien s’est coulé depuis Mitterrand dans une cinquième république qu’elle n’a jamais voulu mettre en jachère. Elle s’est confondue en permanence avec le moule gaullisto-debréiste-mollettiste de la constitution de 1958, refusant l’autogestion socialiste, libertaire et collective à tous les niveaux et dans tous les secteurs (entreprise, collectivités, quartiers, école, lieux culturels, etc.), projet que l’on peut signifier comme relevant de “l’institution imaginaire de la société” (Castoriadis).
Cette même gauche a participé à la destruction, à l’élimination, à la marginalisation de tout ce qui mettait en question le communisme stalinien, le socialisme qui se satisfait des miettes du capitalisme, les républicains jacobins ayant une pratique de la démocratie qui n’ont de démocrates que l’apparence (et ne peuvent se réclamer de son origine grecque où les édiles étaient tirés au sort, alors que les généraux et les architectes étaient élus- mais pas de droit de vote pour les métèques (travailleurs étrangers), les femmes ou les esclaves).
Je peux avoir de la sympathie pour certains des gilets jaunes, mais aucune empathie vis-à-vis de ce conglomérat qui tire et à hue et à dia, mais dont l’issue ne peut être que la disparition dans les sables du désert (telle la fin les Indignés ou de Nuit Debout), ou l’aventure avec un pouvoir autoritaire, faute d’une espérance alternative non-violente, radicale dans le fond, collectivement organisée (certes avec une limitation des mandats et rotation obligée des porte-paroles) et ne refusant pas le ralliement des restes de la gauche syndicale, politique ou associative si leurs cadavres bougent encore.
Amitiés
https://reporterre.net/Jaunes-verts-memes-coleres
Le samedi 8 décembre, plus de 140 marches sont organisées partout en France pour sonner l’urgence climatique, n’en déplaise au ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, qui a osé demander leur annulation. Le même jour, les Gilets jaunes seront très certainement mobilisés dans un grand nombre d’endroits. Faisons le maximum pour se retrouver, marcher ensemble ou au moins dialoguer.
Le 8, manifestons nos colères et nos demandes de manière unie, déterminée et non violente. Construisons ensemble des propositions répondant à la fois au court et au moyen terme. Luttons « en même temps » contre l’injustice sociale et la précarisation de notre quotidien, et pour préserver un monde vivable pour nos enfants.