R&PS présent aux Européennes

RPS
Gilles Simeoni, président de l’Exécutif de Corse, Jean Felix Acquaviva, député de la Haute-Corse et Paul Molac, député breton (LREM)

Pierre ESPILONDO

Du 23 au 25 août dernier, la fédération Régions et Peuples Solidaires (R&PS), qui rassemble des partis régionalistes, autonomistes et abertzale, tenait à Bayonne sa 23ème université d’été et son congrès. R&PS y a annoncé sa présence aux prochaines élections européennes de 2019. Elle engagera des négociations pour intégrer la liste écologiste EELV, partenaire avec lequel elle a déjà fait alliance. Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de la Collectivité de Corse, a apporté depuis Bayonne son soutien à cette future campagne des Européennes.

Avant d’ouvrir les débats, le président de Régions et Peuples Solidaires Gustav Allirol a rendu hommage à Manex Pagola, acteur incontournable de la culture basque et co-fondateur de la Fédération ainsi qu’à Martin Hell militant indéfectible d’une Alsace maître de son destin, récemment disparus.

L’université d’été de Régions & Peuples Solidaires, ouverte au public et coorganisée par Eusko Alkartasuna et l’Alliance Libre Européenne (ALE), a été l’occasion de riches débats sur l’actualité politique.

La matinée du jeudi 23 août consacrée au débat sur le processus de paix et l’avenir institutionnel du Pays Basque a permis de retracer le chemin de la paix parcouru ces deux dernières années “entre légitimité et légalité”. Elle a été marquée notamment par l’intervention de Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne et président de la Communauté d’agglomération Pays Basque, et celle de Gilles Simeoni, président de la Collectivité de Corse. François Alfonsi, président de l’ALE, a rappelé le soutien apporté ces dernières années au processus de paix en Pays Basque par les députés de l’ALE au sein du Parlement européen, notamment lors du tournant d’Aiete en 2011. Au nom de R&PS et de l’ALE, l’ancien député européeen a apporté sa solidarité aux prisonniers politiques catalans, Oriol Junqueras, Raul Romeva et Carmen Forcadell en particulier, comme hier envers Arnaldo Otegi, en rappelant le droit inaliénable à la parole démocratique.

Le germe d’une prochaine revanche

Txetx Etcheverry, militant abertzale, cofondateur du mouvement altermondialiste Bizi, militant de la non-violence et principal acteur des Artisans de la paix, a ouvert le débat en évoquant “la situation surréaliste et dangereuse” dans laquelle se trouvait le Pays Basque fin 2016, cinq ans après l’annonce par ETA de l’arrêt définitif de la lutte armée. Rien n’était mis en place pour permettre une fin ordonnée et organisée du conflit, bien au contraire. A Madrid comme à Paris, “le pouvoir jetait de l’huile sur le feu et accentuait la répression policière et judiciaire”. L’Etat espagnol en particulier maintenait “une situation de confrontation et cherchait l’humiliation” de l’organisation armée engagée sur la voie de sa dissolution. Cette situation de blocage portait en elle “le germe d’une prochaine revanche, le risque qu’une prochaine génération reprenne le chemin des armes”. Le 3 octobre 2016 dans un courrier adressé à ETA, Michel Tubiana (ancien président de la Ligue internationale des droits de l’Homme), Michel Berhocoirigoin et Txetx Etcheverry prenaient l’initiative et s’engagaient, au nom de la société civile, à assumer publiquement des actions de désarmement et de destruction de l’arsenal sous le contrôle de Commission internationale de vérification. Après un échange de lettres, ETA acceptait de déléguer à la société civile la responsabilité politique du désarmement et la mise hors d’usage de son armement. Une détermination également adressée au gouvernement français : “Nous allons mener le désarmement jusqu’au bout pour parvenir à une paix durable”.

Brèche dans la doctrine gouvernementale

La venue du ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault, le 10 février 2017 à Biarritz, va marquer un changement dans le discours officiel : “Il faut restituer les armes, mais ça ne peut pas se faire d’une façon improvisée… commentera l’ancien premier ministre. C’est dans le cadre de la justice, de l’État de droit que cette nouvelle étape doit être accomplie”. Le 20 mars suivant, le premier ministre Bernard Caseneuve fait savoir au président de la Communauté d’agglomération Pays Basque et à des parlementaires que le gouvernement laisserait se dérouler le désarmement. En fait au moment de cette entrevue, précise Txetx, “le gouvernement français avait déjà transmis le message à l’Etat espagnol un mois plus tôt, lors du Sommet franco-espagnol à Malaga, qu’il laissait faire le processus de désarmement et lui demandait de le faciliter”. Une avancée du processus de paix survenue pendant le mandat du président Hollande, aujourd’hui poursuivie sous la présidence Macron par des premiers pas en faveur du rapprochement des prisonniers.

“Soyez plus souverain”

Jean-René Etchegaray a rappelé de son côté combien la volonté de paix de la société civile avait été entravée. Alors que les forces vives du Pays Basque demandaient un dénouement et une remise officielle des armes, “l’Etat de droit était la seule réponse renvoyée par les autorités”. En dépit d’évolutions historiques (cessez-le-feu définitif annoncé par ETA cinq ans auparavant et maintien du Groupe international de contact), les Etats français et espagnol manoeuvreaient sur les registres habituels du droit et de la répression. Avec, côté espagnol, la volonté manifeste de continuer à tirer un profit politique d’un entre-deux, entre cessation de la lutte armée et dissolution effective, et côté français, le suivisme complice de toujours, inhibiteur de toute avancée du processus de paix. C’est pourquoi, souligne J.R. Etchegaray, “nous nous adressions au gouvernement français en lui disant ‘Soyez plus souverain’, interpellant ainsi l’Etat sur le point le plus sensible”.

“Soyez prudents”

Principal interlocuteur politique représentant le Pays Basque nord, Jean-René Etchegaray raconte la réunion de Pau avec le nouveau premier ministre français Bernard Caseneuve, à l’instigation du préfet Morvan, ancien directeur de cabinet de Caseneuve lors de son passage au ministère de l’Intérieur. Un premier ministre qui se révèle étonnamment ouvert, prêt à laisser faire, leur prodiguant un “Soyez prudents” bienveillant. “Bernard Caseneuve a rendu possible ce qui était impossible”.

François Alfonsi, Jean-René Etchegaray, Txetx Etcheverry, Xabi Larralde
François Alfonsi, Jean-René Etchegaray, Txetx Etcheverry, Xabi Larralde

La légimité l’emporte

Malgré l’accord tacite gourvernemental, la procédure de désarmement demeure dans le hors champ du droit et la voie de la non-violence ardue voire périlleuse. “Nous ne disposions d’aucun code, d’aucun écrit”, note J.R. Etchegaray, pour mener à bien un scénario de remise des armes inédit dans un processus de paix. “Comment être au plus proche de l’Etat de droit pour faire quelque chose qui n’existe pas dans les codes?” La remise de la liste des huit dépôts d’armes à un procureur de la République “dans une pièce mansardée” et les “titres creux” de la presse au lendemain de cette transmission à la justice en sont l’illustration. Un épisode qui éclaire non seulement les risques encourus, car il y a l’épaisseur d’un mandat pour, de passeur de témoins pacifique, devenir un passeur d’armes terroriste, tout en sachant combien la voie inconnue empruntée par les acteurs est vouée, jusqu’au bout, à l’incrédulité des observateurs. Après la réaction de la société civile basque suite à l’arrestation de Louhossoa en décembre 2016, la pétition de soutien signée par 700 élus du Pays Basque, la Journée du désarmement, le 8 avril 2017, avec 20.000 manifestants dans les rues de Baiona saluant le geste des Artisans de la paix et le vote à l’unanimité en faveur du processus de paix de la CAPB, “la légitimité l’emporte”. “La légitimité peut rejoindre la légalité”, précise Jean-René Etchegaray. Pour autant “nous ne sommes pas en paix, nous sommes sur la voie de la paix et de la réconciliation. Nous devons nous occuper des victimes et des prisonniers en même temps”.

“Au Pays Basque, en Catalogne, en Corse,
les situations sont différentes
mais partout les Etats ne veulent pas de dialogue.
Il n’y a pas de perspective d’ouverture sérieuse.
Nous, nous croyons en la démocratie.
Ce qui heurte c’est le refus de nous reconnaître
pour ce que nous sommes”.
Gilles Simeoni

Partenariats stratégiques

Lors du débat suivant ces interventions, le président du conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, a esquissé une perspective concernant l’avenir de nos territoires. “Au Pays Basque, en Catalogne, en Corse, les situations sont différentes mais partout les Etats ne veulent pas de dialogue. Il n’y a pas de perspective d’ouverture sérieuse. Nous, nous croyons en la démocratie”. Mais au-delà de ce refus de dialogue gouvernemental, “ce qui heurte c’est le refus de nous reconnaître pour ce que nous sommes”. Gilles Simeoni a tenu un discours d’ouverture, tant concernant la nature de la construction nationale corse —mais il n’y a là rien de nouveau dans le discours des patriotes corses— que dans la volonté de coopération entre nos différentes régions et nations. Après deux ans et demi passés à la tête de l’exécutif corse, G. Simeoni propose des partenariats stratégiques susceptibles de dépasser les blocages étatiques dans un cadre européen : “Nous voulons construire la société corse, la nation corse au sein de l’espace européen, avec tous ses habitants quel que soit leur origine. Notre projet politique, c’est tout sauf un repli ou un enfermement ! Nous vivons une situation de crise et d’impasse de la démocratie. Et il n’y a plus de place pour la lutte armée. Ceux qui la prônaient, je n’étais pas de ceux-là, y ont renoncé. Aujourd’hui il nous faut trouver des issues, ouvrir des chemins, travailler ensemble, sinon il n’y aura pas de solution durable, et mettre en place des partenariats stratégiques. Le piège mortel, c’est le face à face avec l’Etat. Nos petits peuples doivent réinventer la politique. Nous devons concilier le quotidien avec notre idéal et porter des valeurs de solidarité qui transcendent les échelons étatiques”.

Des souverainetés réelles

Un discours d’ouverture permanent, entre solidarité et inventivité, que Txetx a déjà intégré dans sa pratique en tant que militant abertzale et partisan de la non-violence : “En Pays Basque, en Corse et dans chacun de nos territoires, nous devons inventer de nouveaux modèles. Nous devons répondre aux enjeux d’avenir, pas à ceux du passé. Le projet de construction que nous devons mettre en place c’est celui qui va défendre au mieux nos populations. Que vous soyez Basque d’origine ou pas, abertzale ou pas, vous pouvez être Basque dès lors que vous participez à la même communauté de destin. Notre souveraineté passe par des souverainetés réelles dans nos territoires : transition écologique, autonomie énergétique, agriculture durable, etc. Lors d’une visite au Parlement catalan, ce qui m’avait frappé c’est l’affichage de la liste des lois votées par ce parlement et ensuite annulées par le conseil constitutionnel espagnol”. Pour Jean-René Etchegaray, nous vivons la crise de l’Etat-Nation. Celui-ci “a vécu mais ne veut pas le reconnaître, nous sommes à la fin d’un système”. En France, nos gouvernants perpétuent l’idée que “l’Etat centralisé serait bon pour nous, malgré nous”. Un jacobinisme partagé à droite (bonapartisme) comme à gauche. Selon J.R. Etchegaray, “La France a tout intérêt à s’appuyer sur les peuples”.

Révision constitutionnelle mal engagée

L’après-midi, la professeure de droit constitutionnel Wanda Mastor va lancer sans ambages la discussion sur le projet de réforme : “L’inscription de la Corse dans la Constitution aurait pu être la première réalisation du pacte girondin promis par le président Macron, un exemple pour un vrai droit à la différentiation. Mais l’objection jacobine se révèle culturelle !” Paul Molac, député breton (LREM) issu de l’UDB, est convaincu de la nécessité de porter le combat des idées, partout et au Palais Bourbon en particulier. “La France va mal avec la centralisation. Beaucoup le pensent, mais il y a une omerta chez les députés. Personne n’ose remettre en cause le nationalisme français. Avec l’article 2 de la Constitution, on a même fait croire que le français était la langue unique de la République”. Pire, s’adressant à l’assemblée de R&PS, Paul Molac ajoute : “Juridiquement vous n’existez pas ! On n’est pas prêt à faire des territoires de vrais acteurs. L’Europe reste celle des Etats-nations. Grands ou petits, en Hongrie comme en Slovaquie, ils se construisent tous de la même façon : soit ils assimilent, soit ils excluent ! Et si nous ne faisons pas une autre Europe, personne ne la fera à notre place”. Le député Molac considère qu’en ce qui concerne le droit à la différenciation, le projet de réforme constitutionnel est “timoré”. Concernant l’inscription de la Corse, “on constitutionnalise ce qui existe déjà”. Quant aux “demandes d’autonomie financière et d’adaptation permanente de la loi par les collectivités locales, elles ont été recalées !” Par contre, ce projet renforce démesurément le pouvoir exécutif au détriment du pouvoir législatif.

Constitution d’un groupe au Parlement

Selon Jean-Félix Acquaviva, un des trois députés nationalistes corses de l’Assemblée, la gouvernance verticale d’Emmanuel Macron est marquée par “le manque de respect” et la “négation des corps intermédiaires”. Les députés corses sont aujourd’hui écoutés dans l’hémicycle, ils ne sont plus regardés comme des parias. Ils sont à “deux doigts de constituer un groupe parlementaire qui permettrait de faire bouger les lignes, de réclamer une nouvelle phase de décentralisation ainsi que la possibilité d’autonomie territoriale”. Et concernant “l’autonomie fiscale et financière des collectivités locales, notre proposition a échoué de deux voix. La bonne voie nous oblige”. Sur la réforme constitutionnelle comme sur les futures échéances européennes, J.F. Acquaviva appelle à créer un nouveau rapport de force. “A ceux qui viennent vers nous pour émanciper leurs territoires, il nous faut aussi parler d’Europe. Provoquons une réunion pour trouver avec eux une méthode en vue des prochaines élections. De toute façon, la réforme constitutionnelle ne passera pas et nous devons nous déplacer ailleurs”.

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