“Qui imagine le général De gaulle mis en examen?” funeste apostrophe du candidat Fillon destinée à disqualifier moralement son concurrent Sarkozy à la primaire de la droite. S’il en périt lui-même sous l’opprobre de ses “costumes offerts” et de sa Pénélope fictive, il touchait cependant juste sa cible que sa dernière mise en examen, le 20 mars, pour “corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de détournement de fonds publics libyens” semble sombrer définitivement.
Certes, Sarkozy est toujours présumé innocent, mais cette fois-ci le dossier est lourd, très lourd, comme semblent en être convaincus, non pas un, mais trois juges d’instruction après cinq ans d’investigations, de multiples auditions, sur fond d’assassinats de certains acteurs de l’affaire. Acharnement judiciaire, disent les inconditionnels de la sarkosie.
Il est vrai que l’ancien président de la République n’en est pas à son premier dossier pénal. Mis en examen dans l’affaire Bygmalion pour le financement illégal de sa campagne présidentielle de 2012, procédure de saisie de ses agendas dans l’affaire Bettencourt et mise en examen en juillet 2014, avec renvoi devant le tribunal correctionnel pour “corruption” et “trafic d’influence”. Entendu comme simple témoin en 2017 dans l’affaire Karachi pour un financement par des rétrocommissions de la campagne de Balladur, ouverture d’une information judiciaire pour favoritisme et détournement de fonds publics pour des sondages de l’Elysée, ouf!
Déjà, au plan politique, Sarkozy s’était moralement compromis dans son étrange relation avec le dictateur libyen Kadhafi qu’il avait reçu en grande pompe à Paris et lui avait organisé, en 2007, un hébergement sans précédent dans une tente bédouine plantée dans les jardins de l’hôtel Marigny. Le guide libyen, qui se voulait alors leader de l’Afrique entière où l’argent de son pétrole inhibait le personnel dirigeant, le nouveau Raïs venait certes de changer de politique en abandonnant ses projets nucléaires et le financement de tous les terrorismes anti-occidentaux. Mais il gardait la marque encore fraîche de l’explosion de l’avion commercial Pan Am de Lockerbie et ses 270 morts en 1988 et de l’avion DC 10 d’UTA, 171 morts en 1989.
Sarkozy mit fin à cette amitié intermittente avec Kadhafi en allant agresser militairement la Libye lors de sa dernière année de mandat présidentiel, entraînant dans sa guerre la Grande-Bretagne et les USA avec l’aval de l’ONU, pour finir par le lynchage du tyran, dans un caniveau de Syrte, sa ville natale.
Cette dernière mise en examen de Sarkozy, si elle prospère judiciairement, peut devenir une affaire d’Etat sans précédent. Sans précédent par son ampleur, mais hélas pas nouvelle dans le paysage politique français où son mentor, Jacques Chirac, président de la République réélu fut, à sa manière, un repris de justice.
Fort de son immunité présidentielle qui dura douze ans, son implication dans les emplois fictifs de la ville de Paris au profit de son parti le RPR, alors qu’il en était le maire, valut à Chirac une condamnation à une lourde amende et à de la prison avec sursis.
Décidément la vertu, fondement de la démocratie, ne préside guère à la tête de l’Etat en France. C’est pourtant d’elle que procède l’autorité.
La justice espagnole, elle, s’exerce à d’autres jeux. Elle vient d’asséner un coup très dur aux indépendantistes catalans en décidant le 23 mars d’arrêter et mettre en détention cinq de ses principaux dirigeants dont le candidat à la présidence du gouvernement autonome Jordi Turull. Ne pouvant vaincre par les urnes l’irrédentisme catalan, l’Espagne instrumentalise son pouvoir de justice exploitant jusqu’à plus soif le référendum d’autodétermination interdit du 1er octobre, suivi du vote de l’indépendance au parlement catalan, pour construire un crime de sécession.
Ainsi, au coeur de l’Europe, l’exercice de la démocratie vous envoie en prison ou en exil.
Le tableau de chasse est spectaculaire: cinq élus exilés politiques en Belgique et en Suisse, cinq élus emprisonnés, vingt-cinq élus inculpés pour rébellion pouvant déboucher sur trente ans de prison et arrestation par la police allemande de Carles Puigdemont.
Jusqu’ici la revendication catalane s’est déroulée dans la plus parfaite expression pacifique. Manifestations de rue de centaines de milliers de citoyens respectueux des biens et des personnes. Pas une vitrine brisée! Mais vendredi 23 puis dimanche 25 mars, la colère s’est fait jour. Des photos du roi ont été brûlées et la police a chargé, blessant une centaine de manifestants. L’Espagne qui a semé, aux yeux du monde entier, la violence lors du référendum du 1er octobre 2017, la récolte en retour. L’ordre moral vacille.