Éclatée aux USA au début du mois d’octobre, l’affaire Weinstein a provoqué d’immenses répercussions. Des millions de témoignages. Une multitude de femmes jusque-là sans voix ont “parlé”. Jamais la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, fixée au 25 novembre, ne s’est profilée dans un tel climat. L’été dernier, le Pays Basque a connu une intense campagne de sensibilisation/lutte contre la violence faite aux femmes. De véritables arsenaux y ont été déployés avec les municipalités, lors des grandes fêtes notamment.
La journée du 25 novembre, instaurée par l’ONU en 1999, vient de prendre un tour inédit(1). Ces derniers jours des millions de femmes se sont exprimées. À commencer par quelques vedettes internationales du cinéma (de Léa Seydoux à Angelina Jolie) ayant en effet osé dénoncer les agissements du célèbre producteur américain Harvey Weinstein jusque-là intouchable. Ses victimes (et celles de millions de prédateurs généralement anonymes) ont alimenté médias et réseaux sociaux, dans un déchaînement sans précédent, avec l’espoir de nourrir un véritable changement des mentalités. Impossible de dire toutefois ce qu’engendrera ce déferlement de mots, posés sur autant de plaies que le temps seul ne suffit pas à panser.
A des milliers de kilomètres des grands studios américains, le Pays basque n’est pas resté étranger au phénomène. D’autant que l’été dernier il a connu une intense campagne de sensibilisation/lutte contre la violence faite aux femmes. De véritables arsenaux y ont été déployés avec les municipalités, lors des grandes fêtes notamment: Pampelune, Bayonne, Bilbao, Vitoria-Gasteiz, Getxo, Zarautz, Tudela, Estella…
Ce n’est pas à Pampelune que les premiers pas en la matière furent réalisés, mais à Bayonne sous l’égide de Patxa, collectif alternatif de jeunes abertzale, apparu en 1986, secondé par Oldartzen dont le maître-mot était “Biktima oldartu!” (“Victime réagis !”). Le Planning familial leur prêta main forte. Les affiches portaient un numéro de téléphone à appeler en urgence. Quasiment pas d’appels. Pris pour des OVNIS, les auteurs de l’initiative dérangeante réussirent néanmoins à réveiller quelques consciences et à mettre des mots sur ce que personne (à commencer par élus et organisateurs) ne voulait voir.
“Mains rouges” à Pampelune
Le tabou fut pourtant brisé ! Au point que cette année, pour la première fois, la Ville de Bayonne s’est déclarée prête à se porter partie civile en cas de viol, s’inspirant en cela du modèle en vigueur à Pampelune devenue référente en Espagne. Aux Sanfermines la violence sexiste est symbolisée par de grandes mains rouges : “Pamplona libre de agresiones sexistas”. “Eraso sexistarik gabe Iruña aske”. En d’autres termes : “No es no !” /“Non c’est non !” . La prise de conscience a touché la société civile et les institutions. En 2002, le parlement foral avait déjà, adopté une loi contre la violence sexiste. En 2015, la Navarre fut la première communauté autonome à inclure la notion de “féminicide” dans sa législation. Euskadi n’est pas en reste qui dispose d’un outil central, Emakunde (Institut basque de la femme) depuis 1988. En Euskadi la campagne 2017 a diffusé une “play list” de 200 chansons recommandées dans les fêtes, bars et casetas, au détriment de titres trop machistes…
Affiches et tracts
“On constate aujourd’hui, que les gens se sont habitués ça se passe assez bien” explique Amaia Fontang, militante de la première heure, membre de Zutik (Collectif contre les violences sexistes). Fondé à Bayonne en 2004 à la suite d’un viol collectif commis dans le Petit Bayonne, référent “violences conjugales et domestiques”, il adhère à la plateforme des féministes d’Euskadi, qui se manifeste chaque fois qu’un crime est commis. Des années durant, ce collectif et quelques autres associations multiplièrent affiches, tracts, rassemblements. En 2016 apparut une coordination des groupes féministes et des Bascos (association des lesbiennes, gays, bi et transsexuels). En 2017 le mouvement élargi au Planning familial, Aintzina, Gaztetxea a souhaité y associer des cafetiers. De son côté, le Comité local pour la sécurité et la prévention de la délinquance (CSPD) s’est retrouvé au centre d’un dispositif de prévention impliquant services de police, réseau Violences, centre Atherbea, associations. Installation d’un Point d’accueil installé quai Chaho notamment. “La mise en cohésion des deux initiatives est un objectif à poursuivre” selon Amaia Fontang. “On observe une amélioration de la prise en charge des victimes côté police et personnel hospitalier qui bénéficient de formations spécifiques…” Si les organisations féministes partagent un grand regret, c’est la disparition, faute d’argent, du Groupement d’intérêt public (GIP) contre les violences faites aux femmes et pour l’égalité femmes/hommes, créé en 2013, impulsé par Bayonne.
40 ans de féminisme
C’est en 1974 dans la foulée de Mai 68 et du MLF, que le féminisme (loin d’être monolithique) a pris corps en Iparralde. Ces 40 dernières années (ponctuées d’une traversée du désert de 1984 à 1998), une foule d’initiatives ont surgi. De la création d’EEBAA (1974-79) dans le milieu abertzale, à celle d’Emazteek Diote (1978) à Hasparren ou celle d’Yvette Debarbieux, élue de gauche de la liste municipale Herri Berri à Saint-Jean-de-Luz. Ayant bénéficié d’une formation spécifique, elle sollicita son maire. En 2008, un groupe de travail (toujours actif) fut mis en place. La violence peut frapper partout, comme l’a aussi prouvé ce crime effroyable imputé à un SDF (mort d’une jeune femme enceinte de huit mois, frappée et violée à son domicile, le 13 septembre à Ustaritz) dont l’approche a suscité un débat de fond chez les féministes basques sud et nord. En Navarre, fin septembre, malgré les avancées réalisées dans la rue, le Tribunal supérieur de Justice déplorait l’augmentation de 37% des violences faites aux femmes en 6 mois…