Le droit d’un peuple à décider

Lluis Llach, poète et chanteur catalan, député au Parlement autonome au sein de la coalition indépendantiste Junts pel si (Ensemble pour le oui)
Lluis Llach, poète et chanteur catalan, député au Parlement autonome au sein de la coalition indépendantiste Junts pel si (Ensemble pour le oui)

Le poète et chanteur catalan Lluis Llach réagit à l’annonce, par le président du gouvernement régional, de la tenue, le 1er octobre, d’un référendum sur l’indépendance de la communauté autonome. 

En 2006, un nouveau statut
est approuvé à 90%
par le Parlement catalan,
puis par le Parlement espagnol
lors d’une session solennelle.
Présenté ensuite au peuple catalan,
le texte est ratifié par référendum,
mais il est jugé inconstitutionnel
par la cour espagnole.

Depuis la défaite catalane face à l’armée castillane de Philippe V, en 1714, l’ajustement de la Catalogne au système institutionnel de l’Etat espagnol a été difficile. Dans les courts moments où, en Espagne, coups d’Etat, dictatures et monarchies absolues ont laissé place à des régimes plus ou moins démocratiques, le peuple catalan n’a cessé de réclamer une identité nationale fondée sur des exigences institutionnelles, juridiques et politiques spécifiques.

Ce fut le cas au début du XXe siècle sous la première République espagnole, sous la deuxième en 1931, et en 1978 lorsque fut proclamée l’actuelle Constitution.

Manque de courage

Cette dernière a été rédigée sous la surveillance armée du franquisme et approuvée par un pacte tacite entre ses signataires : une fois la démocratie établie, une lecture plus ouverte du texte permettrait d’asseoir l’Espagne au rang des Etats de droit européens.

Pour beaucoup, ce pacte était la promesse d’un projet d’avenir commun. Mais le rêve, très vite, s’est confronté à la réalité.

La victoire du Parti socialiste espagnol (PSOE) en 1982 portait l’espoir de transformer l’Etat. Mais si le socialisme a permis au pays de magnifiques progrès, le gouvernement n’a pas osé ou voulu changer les trois structures – judiciaire, policière, administrative – qui étaient au fondement de la vieille dictature.

Ce manque de courage eut de graves conséquences : scandales, népotisme, corruption, terrorisme d’Etat, et surtout la survie de ces trois piliers dangereux pour la démocratie future.

En résumé, l’interprétation ouverte et positive d’une Constitution muselée par l’ancien régime, promise en 1978, n’a jamais vu le jour.

Bien au contraire, chaque fois qu’il est arrivé au pouvoir, le Parti populaire (droite) a imposé une lecture restrictive du texte sur tous les plans. Le tout accentué par la tentative (réussie) de l’exécutif – notamment sous la droite dure d’Aznar [président du gouvernement de 1996 à 2004] – de soumettre le pouvoir judiciaire à son bon vouloir.

Depuis des années, l’esprit de Montesquieu a déserté notre système politique.

Conditions requises

En 2006, le président de la Généralité [gouvernement de la communauté autonome de Catalogne], Pasqual Maragall, propose l’élaboration d’un nouvel Estatut – ou pseudo-constitution catalane – pour redéfinir les droits nationaux catalans face à la re-centralisation de l’Etat. Le nouveau texte est approuvé à 90% par le Parlement catalan, puis par le Parlement espagnol lors d’une session solennelle. Présenté ensuite au peuple catalan, le texte est ratifié par référendum. Au milieu de l’année 2010, toutes les conditions requises semblent réunies pour l’entrée en vigueur du nouveau texte, mais il est jugé inconstitutionnel et sanctionné par la Cour constitutionnelle espagnole. Pour la majorité du peuple catalan, la sentence scelle l’impossibilité de tout ajustement du pouvoir catalan à l’Etat central.

Les conséquences d’une telle décision n’ont cessé de croître : des mobilisations réunissant des millions de personnes ont persisté pendant plus de six ans.

L’indépendantisme ne convainc plus 12% de la population, comme en 2010, mais près de 50%. Au Parlement catalan, les indépendantistes sont passés de 14 sièges —lors de l’avant-dernière législature— à 72. Les partis qui reconnaissent un droit à l’indépendance vont désormais de la droite libérale à la gauche radicale.

Aujourd’hui, 80% de la population catalane est favorable à la tenue d’un référendum d’autodétermination.

Plus important encore, l’essentiel de la lutte pour l’indépendance se fait dans la rue. Les citoyens réclament un droit à l’autodétermination. L’annonce récente par le président de la Généralité, Carles Puigdemont, de la tenue d’un référendum le 1er octobre, illustre cet engouement croissant pour le projet d’indépendance.

Chantage économique

Or, quelle a été la réaction de l’Etat espagnol et de son gouvernement face à ce défi politique majeur ? Il s’est montré autoritaire et arrogant.

Au cours du processus indépendantiste, la Catalogne a demandé dix-huit fois des solutions politiques à l’Etat central. Chaque fois, elle a reçu une réponse négative et a subi pressions et menaces de la part du gouvernement.

Le gouvernement central a utilisé le Tribunal constitutionnel à plusieurs reprises contre le Parlement catalan, paralysant de nombreuses lois. Il met son budget et son administration au service d’un chantage économique exercé contre la population.

En outre, il se sert du pouvoir judiciaire contre les représentants élus : un président de la Catalogne, trois ministres, des maires… tous condamnés et destitués.

Comble du désordre démocratique : la mise en examen de la présidente du Parlement de Catalogne, Carme Forcadell, pour avoir permis un débat sur l’indépendance en pleine session parlementaire, et l’interdiction de telles délibérations. Un acte sans précédent.

Toutes ces réactions peu démocratiques viennent justifier que nous soyons une majorité de citoyens à défendre non seulement le droit d’un peuple à décider de son avenir le 1er octobre, mais aussi des droits démocratiques qui continuent de définir la vieille Europe.

Car, dans le cas catalan, il en va également de la démocratie et de la liberté.

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