Le 20 juillet 2015, la Turquie et le PKK rompaient un cessez-le-feu qui avait duré deux ans et demi. A l’occasion de cet anniversaire, l’International Crisis Group a livré une analyse documentée qui permet de tirer quelques enseignements de cette période qui compte parmi les plus sanglantes d’un conflit trentenaire dans le Kurdistan de Turquie.
Le bilan chiffré de cette nouvelle phase du conflit fait froid dans le dos : 3.000 personnes ont trouvé la mort – dont la moitié de militants du PKK, et un tiers de membres des services de sécurité de l’Etat. Des quartiers entiers ont également été complètement rasés provoquant le déplacement de 400.000 personnes dont le quart est toujours sans logement. Pour la première fois en 33 ans de conflit, les combats ont en effet durement touché les zones urbaines…
Traditionnellement implanté dans les zones rurales, le PKK a profité du cessez-le-feu de 2013-2015 pour se développer dans plusieurs centres urbains et a choisi d’y mener sa principale offensive à la reprise des hostilités en juillet 2015. Dès août 2015 plusieurs maires du DBP (branche locale de la principale formation pro-kurde, le HDP) ont déclaré leur autonomie vis-à-vis d’Ankara, et des militants du PKK ont construit des tranchées pour protéger ces zones libérées. Cette nouvelle stratégie aura enflammé les villes du Kurdistan de Turquie pendant à peu près un an, jusqu’au mois de juin 2016. Le théâtre des hostilités s’est ensuite de nouveau concentré sur les zones rurales où l’on dénombre près de 90% des victimes sur l’année qui vient de s’écouler.
Coûteuse radicalisation
La stratégie du PKK d’étendre le conflit aux zones urbaines n’a pas été très heureuse. Cette radicalisation a coûté au mouvement politique kurde les soutiens qu’il avait gagnés au sein de la population turque lors des élections législatives de 2015. Elle a surtout permis au gouvernement de lancer contre lui une vague de répression sans précédent : 136 maires du DBP ont ainsi été révoqués (et 84 arrêtés) et remplacés par des mandataires nommés par Ankara. La purge s’est étendue jusqu’aux employés municipaux et certaines villes importantes se sont vu privées du jour au lendemain de la moitié de leurs employés municipaux ! Ankara a également entièrement rasé de nombreux quartiers où avaient eu lieu les insurrections —officiellement pour les déminer— et propose des plans de reconstruction basés sur des motivations purement sécuritaires. Cette répression sans scrupule n’est que l’un des pans d’une stratégie plus globale de l’Etat turc. Le premier volet de cette stratégie est évidemment l’affaiblissement du PKK – à défaut d’une victoire totale. Pour cela, Ankara ne lésine pas sur les moyens et a lancé en mars 2017 une opération militaire sans précédent mobilisant plus de 7.000 hommes. Comme on l’a vu, la répression politique n’est pas en reste et les forces proches du HDP n’ont aujourd’hui plus les moyens de s’exprimer : 13 députés du HDP et 84 maires du HDP étaient par exemple en prison lors de la campagne référendaire en avril dernier.
Le conservatisme de l’AKP à l’oeuvre
Parallèlement à cette démonstration de force, Ankara entend convaincre les Kurdes des bienfaits du centralisme en leur montrant que les villes sont mieux gérées par les mandataires nommés que par les maires élus. Effectivement, la coopération avec les services de l’Etat et les mairies kurdes est aujourd’hui beaucoup plus fluide, et cela a un impact positif sur certains services publics. Mais le gouvernement ne devrait pourtant pas rallier grand monde à sa cause : la majorité des mandataires et des nouveaux employés municipaux ne parlent même pas le kurde et sont donc dans l’impossibilité d’interagir avec une grosse partie de la population locale. Par ailleurs les femmes, qui bénéficiaient d’une politique de discrimination positive dans les municipalités du DBP, font maintenant les frais du conservatisme de l’AKP, le parti du président Erdogan. Les 96 femmes élues maire sous l’étiquette du HDP/DBP ont toutes été révoquées et la proportion de femmes dans les services municipaux a parfois baissé de 80%. Le gouvernement turc ne rencontre guère plus de succès quand il cherche à promouvoir des alternatives politiques au HDP mais son soutien aux milices locales est plus inquiétant. Ankara prévoit en effet le recrutement de 25.000 miliciens et compte les équiper en armes lourdes pour les impliquer dans la lutte contre le PKK.
Vu les fréquentes dérives mafieuses de ces groupes paramilitaires, la mesure pourrait se révéler contre-productive pour le gouvernement et fournir des arguments au PKK ; elle n’augure dans tous les cas rien de bon…
Ankara prévoit le recrutement
de 25.000 miliciens
et compte les équiper en armes lourdes
pour les impliquer
dans la lutte
contre le PKK.
Cette dégradation de la situation au Kurdistan de Turquie s’est déroulée dans un contexte tendu au niveau national : tentative de coup d’Etat en juillet 2016 et référendum en avril 2017 pour étendre les pouvoirs du Président Erdogan.
Pour remporter cette dernière consultation, Erdogan a dû s’allier avec les nationalistes du MHP et c’est peut-être en partie pour leur donner des gages qu’Erdogan s’est montré si intransigeant au Kurdistan.
Les prochaines échéances électorales étant en 2019, Erdogan a une petite fenêtre pour prendre ses distances avec le MHP et revenir à une politique plus constructive au Kurdistan. S’il ne la saisit pas, le PKK aura beau jeu de dire que la lutte armée est le seul moyen de résistance possible et certains groupes plus radicaux pourraient émerger, à l’instar des Faucons de la Liberté du Kurdistan (TAK) qui promettent d’allumer “le feu de l’enfer” dans les villes turques. Personne n’a rien à y gagner, mais c’est malheureusement l’hypothèse la plus probable.