Marie-Claire Leurgorry, membre de la commission foncier d’ELB & Dominique Amestoy, président de Lurzaindia
Nous sommes allés à Arcangues pour dénoncer une nouvelle vente spéculative qui montre en outre l’indécence des puissants.
En effet, Franck Riboud, président de la firme Danone, qui y possède déjà une propriété avec près de 6 hectares (60.000 m2) de foncier attenant, est en train d’acquérir la propriété voisine d’Alain Prost, elle aussi forte de 5,7 hectares de foncier, pour la modique somme de 3 580 000 euros. Dans une zone où il y a une forte tension sur le foncier, où les pouvoirs publics disent vouloir lutter contre le mitage et demandent des efforts (justifiés) de densité, les fortunés continuent à prendre leurs aises.
Franck Riboud s’offre le quartier, accaparant à lui seul 11 hectares (110.000 m2) de foncier pour son agrément. Si chaque propriété doit se négocier avec 5 hectares de foncier, combien de temps reste- t-il avant que la zone côtière soit colonisée par les leaders du CAC40, les stars du show bizz ou les sportifs de renom, ne laissant plus de place aux familles et aux travailleurs voulant se loger dans ces zones et portant le coup fatal à l’agriculture périurbaine ?
Si le foncier de ces deux propriétés a perdu sa vocation agricole depuis des années, ce genre de transaction donne le ton de ce qui se fait et incite les futurs acquéreurs, issus des mêmes sphères, à n’en vouloir pas moins.
Nous constatons ces dernières années que les surfaces acquises en même temps que les propriétés bâties sont toujours plus grandes, ponctionnant à chaque fois le potentiel agricole. La pression est grande sur les terres agricoles qui subsistent encore à Arcangues et dans les environs (à noter que le “jardin” de Franck Riboud est plus grand que les prairies contiguës qui servent encore à l’agriculture). Une fois acquise par ces acheteurs fortunés, ces dizaines d’hectares perdent à jamais leur fonction cultivable. Par ailleurs, cette vente se fait (comme la plupart de celles que l’on voit passer dans cette zone) à un prix inacceptablement élevé et alimentant la folie spéculative en vigueur dans ces secteurs.
Et cette aise est d’autant plus révoltante que l’acquéreur qui aligne ici 3,5 M€ n’est autre qu’un saigneur de paysans. Danone affiche des bénéfices records alors que le secteur laitier subit une des pires crises de son histoire, avec des cessations d’activité à tour de bras. Le prix du lait est actuellement payé 320€/1.000 L alors que les coûts de production avoisinent 400 €/1.000L : pour chaque litre produit, les producteurs perdent de l’argent tandis que le patron de la laiterie en profite pour faire exploser son profit.
En 2016, 41 % des producteurs de lait ont dégagé un revenu négatif tandis que Danone a fait un bénéfice de 1,9 Mds d’euros, et le bénéfice attendu pour 2017 sera supérieur d’après les informations données par l’entreprise.
Le 22 juin dernier, le président de la Caisse centrale de la MSA annonçait qu’en 2016, 50% des agriculteurs avaient touché moins de 350€/mois, sans doute ce que les dirigeants de Danone gagnent en moins d’une journée.
Un producteur ayant ce revenu devrait travailler 850 années pour se payer cette seconde propriété du président de Danone. Comment ne pas être révolté devant de tels énoncés ?
Il y a encore quelques années, les fermes laitières étaient présentes sur cette zone d’Arbonne, Arcangues, Bassussarry… C’est justement la mondialisation de la production (et ses crises à répétition) orchestrée, entre autres, par les grands groupes laitiers comme Danone, ainsi que la forte pression foncière qui sont venues à bout de ce tissu paysan sur ce secteur.
On compte moins de 700 exploitations laitières en Pyrénées- Atlantiques aujourd’hui (1.100 ont disparu depuis 2000). Nous refusons qu’on vole notre revenu et qu’on s’accapare notre foncier. Nous nous interrogeons sur le silence des uns et des autres devant de tels faits.
Les Etats généraux de l’Alimentation qu’Emmanuel Macron a engagés devront rééquilibrer les rapports de force entre les producteurs et ceux qui leur achètent leurs produits de façon à ce que les premiers soient payés au moins au niveau de leurs coûts de production.
La volonté politique et les outils législatifs sont également indispensables et urgents pour lutter contre la disparition du foncier agricole.
Il faut notamment :
– mettre en place des Zones agricoles protégées, outil à disposition des élus dans l’élaboration des documents d’urbanisme,
– renforcer le droit de préemption partielle de la Safer pour agir sur les ventes qui soustraient à jamais le foncier de sa vocation agricole,
– appliquer à son maximum (60%) la taxe sur les résidences secondaires sur toutes les communes des zones tendues (et mener un travail législatif pour que cette taxe soit généralisée à tout le territoire).