C’était le mercredi 22 mars après-midi au Musée Basque de Bayonne. En compagnie de Lucien Etchezaharreta, je présentais aux journalistes locaux mon dernier livre publié par l’association Maiatz, Frantzia eta nazioa. Une fois de plus en pareil cas, la presse francophone, écrite et audiovisuelle, se signalait par son absence, à l’exception de Médiabasque. Comment comprendre une telle indifférence, non pas à mon égard, car cette presse me traite habituellement de façon très positive, mais envers la littérature basque ?
Ces organes ont aussi des journalistes et des lecteurs bilingues. Notre présentation était également bilingue, comme d’habitude. De plus la moitié de mon livre est constituée de documents historiques, la plupart en français.
Le public francophone et même une bonne partie du public bilingue pourront ignorer l’existence de cet ouvrage et continuer de penser qu’il n’y a pas de littérature basque, étant donné que, selon la croyance habituelle, l’euskara n’est qu’une langue orale, surtout chantée, qui ne s’écrit évidemment pas…
L’on ne saurait mieux perpétuer les préjugés et l’apartheid culturel que nous subissons depuis des siècles dans l’ensemble franco-espagnol.
Dans le livre en question j’essaie d’explorer les arcanes d’un nationalisme français classique, nationalisme profond, inconscient et tranquille : sources, bases, contenus, attributs, conséquences, retombées…
Au terme du voyage, j’ai découvert en statue du Commandeur la figure paradoxale du Français moyen qui me laisse perplexe.
Imbu de principes universalistes, il est souvent un hyper-nationaliste qui s’ignore. Son raisonnement baigne dans l’universel. Il est le prototype de l’homo universalis, le cartésien et l’adepte des Lumières, l’inventeur des Droits de l’homme et du citoyen, le précurseur en tout, donc le modèle à suivre.
Quand il nous dit de façon pathétique : “Mais enfin, soyez comme tout le monde”, cela signifie concrètement et naïvement “soyez comme moi”.
En 1789 il proclama LA Nation universelle, mais la communauté qu’il bâtit est forcément comme toute autre une nation particulière, avec un ancêtre ethnique, le Gaulois, et une langue régionale, celle de Paris, très minoritaire dans le royaume de France qui, bientôt, sera LA République, également universelle.
Il a du mal à saisir le patriotisme des autres peuples, surtout sans Etat : il l’appelle nationalisme.
D’ailleurs les Corses, par exemple, ne sauraient être à ses yeux un peuple.
Imbu de principes universalistes,
le Français moyen est souvent
un hyper-nationaliste qui s’ignore.
Mais que sont-ils d’autre ? A moins d’être jeune, donc pas moyen, il n’apprend pas d’autre parler que le sien : pour lui la langue ne compte pas, sauf évidemment la française qui, on le sait grâce à Rivarol, est universelle. Dans les années 1950 une chercheuse américaine vient étudier la sociologie du village de Sainte Engrâce : elle commence par y apprendre la langue usuelle et profonde des habitants, encore très peu francisés.
A la même époque un chercheur français arrive à Larrau avec le même projet : sans savoir un mot de cette même langue, il fait tranquillement une étude approfondie de la population locale. Tout est là. L’on doit beaucoup pardonner au Français moyen, car il y a en lui comme un Don Quichotte généreux, toujours prêt à partir en croisade pour une cause qui lui paraît juste.
En ce moment son moulin à vent est le communautarisme : celui des autres évidemment. Le sien s’est manifesté largement dans ces élections présidentielles. Le score impressionnant récolté par l’extrême droite ultranationaliste est un gros souci pour tous les démocrates, et d’abord pour cette France jacobine qui n’arrête pas de faire la morale au monde entier, mais ce score n’est que la pointe visible de l’iceberg nationaliste. Eternelle parabole de la paille et de la poutre ! Il serait temps d’ouvrir l’oeil et d’amorcer un dégel.
Cet invisibilité de la culture basque en général et de l’euskara en particulier est présente dans les moindres recoins de la société. C’est pour cela qu’on l’appelle “hizkuntza gutxitua”, “langue minorisée”, n’est-ce pas ? C’est indignant mais aujourd’hui on ne s’indigne plus, on louvoie, on l’appelle langue régionale, on ne veut pas faire de vague, pas faire de bruit, ajoutant ainsi à l’invisibilité le silence.
Tous ceux qui vivons dans la culture basque et surtout en basque, nous heurtons systématiquement, de façon plus ou moins voilée, à cette situation. Ou alors on vous colle l’étiquette “bascophone” et il devient pratiquement impossible de rentrer dans la branche francophone, et donc, souvent, de pouvoir vivre dignement, le travail en français étant pour les francophones (entendez : ceux qui ne travaillent pas en basque, parce que francophone, je le suis aussi !)
Comme vous le signalez, pour de nombreuses personnes, en effet, le basque n’est pas une langue pour la littérature, je dirai même que ce n’est pas une langue pour créer dans le sens large du terme. Et si vous arrivez à démontrer le contraire, à créer en basque, alors (ainsi que je l’ai commenté avant) les filières francophones se ferment. Vous devenez invisible !
Merci pour la publication de cet article qui à moi, bascophone travaillant principalement en basque, m’a permis, l’espace d’un instant, de sortir de ce sentiment d’isolement et de fatigue qui parfois voile mon esprit.
Mila esker, beraz, zure artikulu horrengatik.
Monsieur Jean-Louis Davant, depuis longtemps j’ai connaissance de votre travail sur la langue et la terre basques bien qu’étant éloignée pour toutes sortes de raisons de cette culture qui paradoxalement m’a toujours attirée. Ma mère dont les parents parlaient le basque à la maison ne l’a plus utilisé très tôt puis est partie travailler et se marier plus loin et donc n’a pas transmis la langue à ses enfants. Le village où elle a vécu, à la limite du pays charnegou, n’a pas aidé non plus à cette pérennité de la langue. Mais je ressens profondément cette histoire basque et j’ai lu quelques ouvrages… Votre phrase dans l’article d’Enbata à propos du Français de base “Soyez comme tout le monde” est en tout cas à l’opposé de ce qui peut faire la singularité d’un être, d’un peuple qui s’est forgé depuis on ne sait quand une forte personnalité, même si tous les basques ne sont pas à mettre dans le même panier de châtaignier. Pour finir, comme je n’ai pas eu l’opportunité de vivre et travailler en Euskadi, j’aurais passé une bonne partie de ma vie à “envier” les bascophones ! Bonne continuation dans votre travail. Cordialement.