“Nous avons vécu un moment historique. J’ai participé à plusieurs accords de paix dans le monde et c’est la première fois que je vois un accord de paix réussir grâce à la société civile. C’est exceptionnel” dit Louis Joinet, ancien magistrat, qui fut l’un des négociateurs des accords de Matignon sur la Nouvelle-Calédonie, en 1988. Ce témoignage d’expert donne la vraie dimension de l’acte décisif de la remises des armes d’ETA, le 8 avril dernier, même s’il n’est qu’un passage obligé vers la paix encore à sceller en Pays Basque.
Tout s’est tellement bien ordonnancé, sans fausse note, que cela peut apparaître naturel, dans l’ordre des choses.
Nous mesurions pourtant l’immense naufrage ayant suivi la décision unilatérale du cessez-le-feu d’ETA, il y a six ans. Tout bénéfice pour le pouvoir espagnol, entraînant celui de Paris, poursuivant sa répression, renvoyant à une douce rêverie le “processus de paix” avancée par la mouvance basque.
Chacun sait, ici, combien il en coûtait à ceux qui touchaient de près ou de loin aux armes, pourtant devenues silencieuses, d’ETA.
C’est dans ce brouillard épais, sans espoir d’éclaircie, que germa dans la tête de deux abertzale, lourdement engagés dans le combat socio-culturel d’Iparralde, le grain de l’impossible. C’est eux qui ensemenceront la fameuse “société civile” tant évoquée. Leur défi relevait, pour beaucoup, de l’impossible. D’abord, obtenir d’ETA la dépossession de son arsenal pour que de simples militants, hors de sa mouvance, bien connus dans leur engagement politique de non violence, puissent le démanteler et le remettre aux autorités françaises. Fait sans précédent, non seulement ETA se range à leur vision mais confirme, par un échange de courrier, cette délégation.
Conscients de l’improbable complicité, discrète ou publiquement assurée, du pouvoir français, Txetx Etcheverry et Mixel Berhocoirigoin entraînent, dans leur dessein en marge de la légalité, un partenaire de stature morale et aux réseaux puissants, l’ancien président de la Ligue des droits de l’homme, Michel Tubiana.
Ce trio improbable accomplira un miracle: le déclic du 20 décembre à Luhuso, puis la manoeuvre géniale du 8 avril, conçue et réussie comme un mouvement d’horlogerie.
Des dizaines de personnes, anonymes ou anciens élus, faisant confiance au trio moteur, acceptant sans aucune garantie d’échapper à des ennuis judiciaires, comme ce fut le lot de ceux qui touchent aux armes d’ETA, acceptent de conduire policiers et magistrats sur les sites de l’arsenal du mouvement armé basque.
Identités relevées, visages découverts, le transfert s’opère sur le sol de l’Etat français. La complicité est évidente, tout autant que l’acte politique qui tiendra en lisière l’Espagnol bougonnant mais neutralisé. La fin du quinquennat de Hollande s’accomplit donc positivement pour le “processus de paix”. L’impact médiatique est immense, à la hauteur de l’accueil populaire et opérationnel de Bayonne recevant dans sa mairie, son théâtre, son musée basque et bien sûr ses rues et ses places, des centaines de journalistes et des milliers de citoyens, d’ici ou d’ailleurs, venus adouber cet adieu aux armes.
Si la société civile d’Iparralde est devenue acteur décisif d’un processus qui s’enlisait, elle le doit au levain exemplaire de quelques militants au coeur de l’abertzalisme. Elle s’est manifestée aujourd’hui avec succès parce que nos trois provinces ont accompli la mutation profonde tant espérée qui a conduit à la mise en place d’une institution propre, par l’adhésion majoritaire des élus locaux, manifestant spontanément leur solidarité avec les artisans de la paix de Luhuso. Historiquement à la traîne du réveil national, c’est aujourd’hui la société d’Iparralde qui fait dépasser aux forces politiques du Sud les clivages dramatiques de la lutte armée, réalisant l’unanimité hors Partido Popular.