Euskaltzaleen Biltzarra organise le 6 décembre à Saint-Jean-Pied-de-Port un hommage au poète basque Piarres Hegitoa, nom de plume de Pierre Duny-Pétré. L’association culturelle publie à cette occasion l’ensemble de son oeuvre en vers et en prose. Une plaque sera dévoilée sur la façade de la maison natale de l’écrivain.
Voici le programme détaillé de cette manifestation et la version française d’un texte sur le parcours de cet écrivain, extrait de l’ouvrage que publiera Euskaltzaleen Biltzarra. Piarres Hegitoa fut longtemps collaborateur occasionnel d’Enbata et adhéra au mouvement dès sa naissance.
De Pierre Duny-Pétré à Piarres Hegitoa
Eskualzaleen Biltzarra publie l’ensemble des textes écrits en euskara par Piarres Hegitoa, nom de plume de Pierre Duny-Pétré. Il aurait aujourd’hui 100 ans. Poète et prosateur bas-navarrais du pays de Garazi, son oeuvre relativement mince, dispersée dans de nombreux journaux et revues, a été écrite durant une cinquantaine d’années. Elle émane d’un homme attaché au dialecte basque de Basse-Navarre orientale (pour reprendre l’ancien classement de Louis-Lucien Bonaparte, 1863), mais dont la vie, de 1932 à 1980, se déroula loin d’Euskal Herria, aux quatre coins de l’Etat français. Du fait de cet écart et en raison de son goût pour la discrétion, Piarres Hegitoa fréquenta peu les cercles culturels basques. Il s’agit d’un laïc à une époque où beaucoup d’écrivains d’Iparralde sont liés à l’Eglise catholique ou sont passés par le creuset du Petit séminaire d’Ustaritz. Ce livre donne ainsi pour la première fois un aperçu de l’évolution, des centres d’intérêt et des convictions de cet écrivain bas-navarrais.
Nous tenterons ici de comprendre comment Pierre Duny-Pétré est devenu Piarres Hegitoa et de retracer quelques traits de son oeuvre. L’écrivain Antton Luku apportera son éclairage, en resituant les récits en prose de Piarres Hegitoa dans la littérature populaire basque de notre région et sa culture.
De 1944 à 1992
Le premier écrit de Piarres Hegitoa est une poésie datée d’août 1944, au moment où il se bat, mousqueton et grenades à la main, contre l’occupant allemand, dans les rues de Marseille. Le dernier sera un article paru en mars 1992 dans le journal électoral de Koxe Larre, candidat abertzale aux élections cantonales de Garazi. Un écart géographique et idéologique qui en dit long sur le parcours de l’auteur durant près de cinquante ans. Sur la forme, les fables et les ballades sont nombreuses, les reprises du genre traditionnel des Santibate sont également présentes. En prose, Piarres Hegitoa recueille nombre de récits mythologiques ou d’histoires racontées au quotidien dans le pays de Garazi. Enfin un choix de ses articles de presse retrace quelques événements saillants de la vie culturelle et politique en Basse Navarre.
P. Duny-Pétré passe son enfance entre Garazi et Baigorri jusqu’au moment où il fréquentera le lycée de Bayonne (1), de l’âge de 12 ans au baccalauréat. Cela constituera une première rupture. Donibane Garazi, Esterenzubi, Aldude, il vivra les débuts de son enfance dans ces villages, au gré des affectations de son père douanier. Après des études de philosophie à l’université d’Aix-en-Provence, avec son régiment il participe en 1937 à Argelès-sur-Mer (Catalogne-Nord), à “l’accueil” des réfugiés républicains espagnol qui viennent de perdre la bataille de l’Ebre. Fait prisonnier par la Whermacht sur la Somme en 1940, il s’évade d’Allemagne en 1942, rejoint la Résistance dont son oncle, le colonel Jean-Baptiste Pétré, est un chef régional à Marseille. A la Libération, il assiste impuissant au maintien de Franco au pouvoir et au premier gouvernement basque condamné à l’exil par les Alliés, ainsi qu’aux difficultés que rencontre le foyer national juif en Palestine pour créer l’Etat d’Israël. En cette période tourmentée, s’élaborent les fondements de sa conscience politique, en particulier sa méfiance à l’égard des gouvernants français, anglais ou américains qui trahissent leurs engagements, après avoir demandé à leurs peuples les plus grands sacrifices.
Culture d’importation
Le pays de Garazi qu’il retrouve en 1945 a beaucoup changé, sa jeunesse s’exile, sa langue et sa culture s’éfilochent au profit d’une langue et d’une “culture d’importation”. Autour de sa maison natale, rue d’Espagne à Donibane Garazi, il n’entend plus parler basque. Le choc est rude. “Un ressort est cassé”, la transmission intergénérationnelle ne se fait plus.
Il paraît dépassé d’expliquer une oeuvre par la biographie de son auteur et son contexte. Mais pour Pierre Duny-Pétré, ces événements ont un retentissement considérable dans l’élaboration de sa sensibilité. Il s’agit d’abord d’un homme qui dit non. Le premier et le dernier écrit de Piarres Hegitoa signifient bien ce trait majeur qui parcourt son oeuvre. Nous avons affaire à un rebelle, qui fustige les pouvoirs établis, les puissants, la fatalité historique.
Tout cela est bien contradictoire avec la vie professionnelle de Pierre Duny-Pétré: on sait qu’il fut commissaire de police dans différentes villes de France. Il fréquenta donc beaucoup les hommes exerçant un pouvoir: préfets, procureurs, députés, etc. et il en connaîtra aussi les travers, les vanités, des ambitions de carrière aux haines recuites. Son oeuvre se construit donc en opposition avec cet univers qu’il exècre. Dans une autre langue que celle qu’il pratique tous les jours, il écrit des poèmes dont beaucoup sont comme son ballon d’oxygène qui lui permet de respirer dans un univers administratif français pour le moins étouffant. La part de la poésie et du rêve, l’exaltation d’un Pays Basque lointain et en lutte, la révolte enfin exprimée, voire la provocation seront son viatique. Dès sa fondation en 1960-61, il soutiendra le mouvement Enbata.
Formation
Bien entendu, Pierre Duny-Pétré n’est pas alphabétisé en euskara et sa culture livresque dans le domaine basque est faible, jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Il vit alors à Clermont-Ferrrant, Marseille, Amiens. En autodidacte, il va alors acquérir une culture basque véhiculée par les bascologues des XIXe et XXe siècles. Le dictionnaire de Pierre Lhande, la grammaire de Pierre Lafitte, la lecture hebdomadaire de Herria et celle de Gure Herria ou d’Eusko Jakintza, le stylo à la main, seront ses livres de chevet. Récits mythologiques, sorcellerie, guerrres carlistes seront ses centres d’intérêt majeurs. Dans sa bibliothèque, figurent la plupart des classiques basques du XVIe au XXe siècle, mais peu de littérature provenant de Hegoalde, hormis en ce qui concerne la collection Auspoa publiée par Antonio Zabala (1928-2009) qu’il apprécie tout particulièrement. A la fin des années 50, il rencontrera le professeur René Lafon, premier titulaire de la chaire de langue et de littérature basques à la Faculté de Lettres de Bordeaux. Jusqu’à sa disparition en 1974, il entretiendra avec cet éminent linguiste, une relation amicale suivie.
Pierre Duny-Pétré se penche sur les mythologies grecques et latines, les littératures anciennes, ainsi que sur les littératures populaires, en particulier la littérature de colportage. La Bibliothèque bleue, des auteurs de ballades tels que François Villon, Guillaume de Machaut, Rutebeuf, ou encore Marguerite de Navarre, suscitent chez lui un vif intérêt. Esope, Florian, La Fontaine et autres auteurs de fables lui sont très chers.
Ballades et fables
Les travaux de Pierre Duny-Pétré suivront deux voies: en français, une étude sur le mythe de “Basa Jauna, le seigneur sauvage dans les légendes basques”, publié en 1960, la présentation de textes de prose et de chanson traditionnelle (3e et 4e Congrés international d’Etudes pyrénéennes et 1958 et 1962) et surtout Xirula Mirula, recueil de comptines, formulettes, expressions et jeux des enfants de Garazi, publié en 1987-88 par Joxemiel Barandiaran dans sa revue Anuario de Eusko folklore.
Quant à l’oeuvre poétique, elle prend différentes formes: les ballades et les fables y tiennent une place importante, la fable étant comme il se doit, une allégorie des situations que vivent les êtres humains au travers d’animaux sauvages ou familiers: chat, renard, rat, chien, cochon, etc., le tout assorti d’une leçon de vie d’une “morale”. Il reprend ces formes qui lui sont chères. La contestation, la satire sont présentes, il y lance sa flèche assassine qui frappe l’adversaire, tel le pilotari relançant la pelote au raz de la raie, khintzea trenkatzeko…
Les poésies de circonstances sont autant de commentaires sur un événement connu à ce moment-là: la Deuxième guerre mondiale, les voeux de Nouvel an, la mutation autoritaire de l’abbé Béhéran curé-doyen de Donibane Garazi, les élections, la baisse du prix du lait, le saccage du patrimoine architectural à Donibane Garazi, la réfection de l’église d’Iholdy, etc.
Enfin, figurent des poésies engagées, des “coups de gueule”: l’agonie de Franco, l’emprisonnement de Christiane Etxalus, le procès de Burgos, le tout-tourisme, la fin de l’exploitation du kaolin à Louhoussoa, etc. Certains textes frisent la provocation, parfois même la grossièreté, comme un défouloir. Piarres Hegitoa partage les convictions d’un Pierre Lafitte, la nécessité d’écrire dans un euskara accessible et populaire, coloré de tournures idiomatiques.
Proses et littérature populaire
C’est dans les années 50 et 60 que Pierre Duny-Pétré va recueillir auprès de son entourage les récits qui figurent ici au chapitre “Ipuinak, ahozko euskal literatura Garazin”. Beaucoup sont inédits. Quelques-uns ont été publiés dans Gure Almanaka. Piarres Hegitoa qui avait lui-même préparé cette édition, les a classés en trois catégories : contes mythologiques, histoires amusantes et histoires de Garazi qui mettent souvent en scène des “figures” connues dans l’entre-deux-guerres. Ecrits en dialecte garaztar, ils présentent aussi un intérêt linguistique et ethnographique. Ils témoignent d’une sensibilité, émanent d’un univers culturel qui a aujourd’hui disparu et que l’on perçoit en toile de fond. L’humour est présent et le lecteur se rendra compte que l’on ne rit plus aujourd’hui des mêmes situations. Piarres Hegitoa n’a pas enregistré ces textes racontés au marché, en famille, au coin du feu. Après les avoir écoutés et pris des notes, il les a réélaborés à sa manière, comme dans toute transmission orale: le dernier maillon de la chaîne reprend à son compte, retranche ou oublie, améliore ou enjolive le récit qu’il a entendu, avant de le restituer à son auditoire ou à ses lecteurs.
Les articles: pour l’essentiel, ils correspondent à une commande émanant de la revue navarraise en langue basque, Principe de Viana, parue dans les années 70. Ce magazine, supplément bimestriel à la revue du même nom, était publié par le gouvernement de Navarre. Il lui a été demandé de tenir plus ou moins régulièrement une chronique de la Basse Navarre. Il connaissait parfaitement les idées du bailleur de fond et craignait une censure qui finalement ne s’est jamais exercée. Cette chronique aborde des questions que soulèvent les abertzale de l’époque : le touristification, la spéculation foncière, la visite du président Valéry Giscard d’Estaing à Arhansus, etc. Pour varier le ton de sa chronique, Pierres Hegitoa opte à moment donné pour la formule de la lettre d’un enfant, Gilen, à son oncle Otto Pettan qui vit en Amérique.
Son nom
Enfin, un mot sur son nom: Duny-Pétré n’a rien de basque. Il est le fruit de deux patronymes accolés, celui de son père Eugène Duny et de sa mère Marie Pétré. Les Duny, une famille de douaniers et de militaires, étaient originaires de Lecumberry (maison Dunienia) et provenaient semble-t-il du Béarn d’où ils sont venus dans les années 1820. Les Pétré se sont installés au XIXe siècle à Portaleburu, quartier situé à la périphérie de Donibane Garazi, sur la route Napoléon. Puis ils sont venus habiter à la rue d’Espagne où ils ont exercé les métiers de forgeron, charpentier, sabotier… Les Duny comme les Pétré étaient des “gorriak”, des républicains.
Pierre Duny-Pétré a utilisé plusieurs noms de plume : Piarres Hegitoa, Garaziko Manex et Jon Donipetry, ce dernier souvent pour signer des articles en français dans Enbata. Le nom Hegitoa a été trouvé sur un vieux cadastre du Pays Basque, consulté par un ami de Pierre Duny-Pétré. C’est tout simplement le nom d’une parcelle du quartier Eiheraberri que les parents de Piarres Hegitoa ont acheté en 1935, pour y construire leur maison qui s’appelle Hegitoa. Le choix s’est donc fait naturellement, suivant la logique traditionnelle basque qui veut que l’on soit connu sous le nom de sa maison, plutôt que sous le nom de l’état-civil.
Piarres Hegitoa est nostalgique d’un pays antérieur aux mutations qui compromettent son identité, le Pays Basque de son enfance. La réappropriation de ses sources fut un de ses soucis premiers. Il connaît les raisons de la situation terrible que vit son pays natal, mais ce n’est pas un homme du passé. Il croit aux forces de la jeunesse, aux vertus de la révolte et du combat. Son désir de réenchanter le monde par le miracle des mots et de la poésie, n’a d’égal que sa fidélité aux humbles. Piarres Hegitoa aura aimé le Pays Basque des gens de peu, des artisans et des paysans, des zirtzil, “according to my bond, no more, no less”, comme le veut son lien, ni plus, ni moins… “Si riche dans la pauvreté, si rare dans l’abandon et tant aimé dans le dédain”.
(1) Il aura pour enseignants Louis Colas (dessin), René Cuzacq (histoire) et Albert Léon (philosophie), mais ces bascologues ne lui parleront jamais de culture basque.
Ezin jin abendoaren 6. pesta eder hortara,
goresmenak Piarres Hegitoari baita egin duen guziari eta familiari.
Bihotzez !