Enbata: Certains abertzale disent que les législatives françaises ne sont pas des élections prioritaires pour les abertzale. Que répondez-vous à cela?
Anita Lopepe: Je peux le comprendre. Mais aujourd’hui, c’est le contexte tout particulier dans lequel se déroulent ces élections qui leur donne une grande importance, non pas d’un point de vue électoraliste, mais politique. On assiste à une crise très profonde du système capitaliste, avec des conséquences graves pour la population de base. Le changement de modèle économique et social est indispensable et EH Bai se veut justement être porteur de cette alternative.
Et puis la situation nouvelle en Euskal Herria, et l’opportunité de tourner la page du conflit politique, exige de notre part que nous soyons présents à toutes les occasions de débat politique pour peser de tout notre poids dans le sens d’une résolution intégrale de ce conflit que nous connaissons mieux que personne.
C’est donc le moment politique qui doit nous pousser tous et toutes à faire campagne et à aller voter pour EH Bai, pour un projet de gauche et abertzale.
Enb.: Comment allez-vous vous adresser aux électeurs de cette 4ème circonscription basco-béarnaise où la partie béarnaise est sans doute loin des préoccupations abertzale?
A. L.: Cette circonscription est un réel handicap pour nous et il compromet la représentation démocratique d’une grande partie de l’électorat de barnekalde, qui soutient les abertzale de gauche. Mais au-delà de ça, cette circonscription est à l’image de la négation que subit le Pays Basque Nord. Nous dénonçons cet état de fait. Et notre campa-gne sera évidemment plus développée dans la partie basque de la circonscription que dans la partie béarnaise. Notre ambition est de renforcer notre assise politique en barnekalde.
Toutefois, nous développerons aussi un message à l’attention des Béarnais. Nous sommes habitants de zones rurales, en proie à la disparition des services publics. Bas-ques ou Béarnais, le système libéral nous réserve le même avenir sombre et nous aspirons donc tous à un changement de logique. Et puis, sur les thématiques plus abertzale, nous insistons sur l’idée que nos avancées en termes de reconnaissance linguistique et institutionnelle serviront aussi la langue occitane et la structuration du Béarn.
Enb.: On imagine que votre intention n’est pas de vous adresser aux seuls abertzale, mais d’amener à vous des citoyens proches des options abertzale. Quel sera la cœur de votre message pour être entendue par un électorat plus vaste et améliorer ainsi le score abertzale dans la 4ème circonscription?
A. L.: Le message et le projet portés par les abertzale connaît un écho de plus en plus large en barnekalde. C’est le fruit du travail concret et quotidien de nombre de personnes qui sont abertzale et dont le champ d’action est véritablement la dynamisation économique, sociale et culturelle du Pays Basque intérieur, et la défense de ce territoire face aux projets déstructurants. Du travail concret et des résultats, que beaucoup consentent et reconnaissent. Cette cohérence entre les paroles et les actes est notre meilleur argument de campagne. L’axe central de notre programme sur la IVe porte sur un développement autonome et maîtrisé du Pays Basque intérieur. Notre territoire est capable de donner aux générations futures les clés pour vivre au pays, en assurant des revenus corrects. Nous prônons les initiatives locales et durables, la solidarité, le maintien des services publics. Pour cela, des outils institutionnels sont nécessaires. Abertzale ou non abertzale, basques d’origine ou d’adoption, la volonté de vivre en barnekalde est un leitmotiv qui dépasse les clivages politiques.
Par ailleurs, notre projet politique est intégral, dans le sens où il prend en compte tant les problématiques économiques, que so-ciales, environnementales, linguistiques et culturelles. Nous construisons au quotidien ce projet. Et cette expérience a bien plus de poids que toute plaquette électorale.
Enb.: A l’instar de ce qui s’est produit par le passé, l’élection de François Hollande générera sans doute un mouvement en faveur du candidat socialiste pour donner une majorité au nouvel élu. Quelle sera votre stratégie pour que votre voix soit entendue par l’électorat progressiste? Quelles seront les idées-force qui vous démarqueront et donneront envie aux électeurs de voter pour la candidate que vous êtes?
A. L.: Nous ferons une campagne de terrain, irons à la rencontre des gens. EH Bai aux législatives, ce n’est pas un candidat, un suppléant et un appareil politique derrière. Des militants font campagne dans tous les villages, leurs villages. Notre candidature est forte d’un comité de soutien de mille personnes, élus ou membres de la société civile. Notre stratégie, c’est le travail collectif. Nous ne sommes pas dans une perspective de carrière politique, mais au service des intérêts de notre territoire. C’est là une différence fondamentale avec le candidat so-cialiste qui expose la liste interminable de ses fonctions comme un palmarès, alors même que F. Hollande s’oppose au cumul des mandats.
Et puis, nous portons un projet plus clair et tranché. Le leur est celui d’un libéralisme plus social, le nôtre est celui d’un changement de système pour plus de justice sociale. Le leur est dissonant en ce qui concerne la question de la collectivité territoriale Pays Basque, le nôtre est assumé et porté de longue date.
Enb.: La 4ème circonscription compte une candidate des Verts et un candidat du PNB qui défendront à peu de choses près les mêmes revendications qu’EH Bai. N’y avait-il pas moyen ou utilité d’aller ensemble à ces élections?
A. L.: Euskal Herria Bai représente l’alternative en Pays Basque intérieur. Deuxième force politique dans les cantons de Baigorri ou Iholdi, troisième force en Amikuze ou Garazi, de plus en plus de citoyens rejoignent notre projet de gauche. Même le PS a appelé à voter Euskal Herria Bai dès le premier tour lors des dernières élections cantonales sur le canton d’Iholdi: cela mon-tre que les abertzale de gauche comptent en Pays Basque intérieur. Il est important pour EH Bai de pouvoir défendre son projet de société au premier tour, un projet qui va à l’encontre de celui du PNB qui se situe dans l’économie libérale. Quant aux Verts, qui sont nos alliés dans pas mal de combats, ils gouvernent avec le PS au niveau de l’Etat français et de la région Aquitaine (demain à l’Assemblée Nationale), et ont donc fait le choix de s’allier avec les promoteurs de projets dangereux pour le Pays Basque, comme la LGV.
Enb.: Le statut de l’euskara et la collectivité territoriale spécifique seront, on imagine, au cœur de votre campagne. Comment porterez-vous ces revendications auprès de l’électorat de la 4ème circonscription?
A. L.: L’attachement à l’euskara est quelque chose de fort en barnekalde. Je crois que les abertzale peuvent se flatter d’être à l’origine de la construction de grands outils pour l’eu-skara. Aujourd’hui, notre langue a besoin d’une véritable politique linguistique qui la rende présente dans toutes les sphères de la vie publique. La collectivité territoriale que nous revendiquons permettra de penser et gérer cette politique publique. Par ailleurs, le besoin d’un statut pour la langue basque fait consensus. En campagne électorale, tout le monde aime l’euskara, même ceux qui n’ont jamais fait l’effort de l’apprendre. Mais ce sont des mesures fortes dont cette langue menacée a besoin, pas de demi-mesures. EH Bai défend un statut d’officialité, qui ne relègue pas l’euskara à une position secondaire, mais d’égal à égal avec le français. Cela supposera une politique de discrimination positive forte, imposée par la loi.
En ce qui concerne l’institutionnalisation, nous sommes à un point d’inflexion dans le débat en Pays Basque Nord. Nous voulons profiter de cette campagne pour faire un travail pédagogique sur cette demande. Expliquer en quoi une collectivité territoriale autonome faciliterait le développement économique local, la complémentarité entre la côte et l’intérieur, la mise en place d’une politique sociale solidaire… Et socialiser notre position: une institution de type autonomie n’est pas à contre courant. Bien au contraire, c’est l’option choisie par nombre de ré-gions européennes, parce que la mieux à même de répondre efficacement aux be-soins de l’action publique et la plus raisonnable en ces temps de pénurie budgétaire. Un territoire responsable de ses dépenses et donc de ses recettes fiscales, en capacité de légiférer si besoin, c’est dans cette voie qu’avance l’Europe, et plus près de chez nous, les Corses eux-mêmes.
Enb.: Le programme d’EH Bai est discret sur le travail de Laborantza Ganbara (alors que la lutte en sa faveur a été si symbolique de ce que les abertzale veulent pour ce pays) et sur la revendication d’une Chambre d’agriculture du Pays Basque. Est-ce à dire qu’EH Bai pense que ces sujets n’intéressent pas les citoyens de l’intérieur?
A. L.: Ce n’est pas exact. Dans notre plaquette, nous évoquons EHLG comme un des exemples de la prise en main par les habitants du Pays Basque de leur territoire et de leur avenir, car c’est effectivement
une lutte emblématique, qui permet de comprendre ce que la négation politique signifie et ce que le potentiel de l’ensemble d’Euskal Herria peut apporter. De plus, l’agriculture paysanne est au cœur de notre programme. L’ensemble des candidats EH Bai vont d’ailleurs à la rencontre des acteurs du monde paysan lors d’une action itinérante ce 24 Mai, de Maule à Aldude. Nous visiterons, entre autres, une ferme en Oztibarre et échangerons avec les membres de EHLG à Ainiza-Monjolose. Nous soutenons la re-vendication de la création d’une chambre d’agriculture du Pays Basque, adossée à une collectivité territoriale, qui pourrait être en charge de la répartition des aides de la PAC (c’est une position que nous défendrions à l’Assemblée Nationale) en fonction de critères propres à la réalité agricole bas-que.