Le conflit entre les producteurs de lait de brebis de la Coopérative laitière du Pays Basque (CLPB) et les industriels n’a toujours pas trouvé de solution. L’objectif avoué des industriels —Pyrénéfrom, 3A, Onetik et Agour— est de court-circuiter la coopérative qui défend les intérêts des producteurs. Ils entendent profiter des négociations sur le prix pour la campagne 2012 pour mettre en place des systèmes maisons de gestion de la production et de la collecte du lait basé sur la relation individuelle avec le producteur. Foin de la négociation interprofessionnelle qui prévalait dans les années passées.
Dans ce contexte tendu, l’existence même de l’organisation collective de la CLPB, qui par le passé s’imposait comme l’un des interlocuteurs incontournables, donne l’urticaire aux industriels, aussi sûrement que le gaztanbera frelaté. Leur moyen de pression est redoutable: tant que les 71 producteurs n’auront pas quitté la CLPB et accepté les conditions de quota et de prix des laiteries, leur lait ne sera pas collecté.
Bienvenue en territoire Ossau-Iraty
Derrière ce conflit se cache une réalité dont la logique purement financière n’échappe à personne: limiter la collecte auprès des paysans basques et importer à bas prix du lait de l’Aveyron ou d’Espagne (0,70e le litre au lieu de 1,05e environ payé localement). Au-delà, c’est toute la question de l’AOP (appellation d’origine protégée) qui est en jeu. L’obsession des industriels est de réduire la part de l’AOP qui impose un cahier de charge contraignant et des prix plus élevés, au profit du fromage Pur brebis fabriqué avec du lait importé à bas prix et vendu tout aussi bon marché au con-sommateur comme un authentique produit du Pays Basque.
Les prix proposés par les industriels aux producteurs basques pour la campagne 2012 reflètent cette volonté de contourner les productions de qualité. Ils tournent autour de 1,05e/L pour le lait AOP et 0,97e/L pour le non AOP. Dans le même temps, les laiteries imposent des pénalités sévères en cas de dépassement des quantités AOP livrées.
On en est là. Faute de se plier au diktat des industriels, les producteurs basques se voient contraints de jeter 1,35 millions de litres, alors que les industriels ont importé 8,5 millions de litres pour la seule année 2011, reniant au passage leur engagement de n’en importer que 7 millions. La CLPB qui a perdu une dizaine d’adhérents soudoyés par les industriels, ne veut pas s’avouer vaincue et engage des actions symboliques pour sensibiliser consommateurs et pouvoirs publics. Il y a deux se-maines, ils avaient déversé un camion-citerne de lait non collecté devant la Chambre d’agriculture à Pau où se situent les locaux de l’interprofession ovine. La semaine dernière, ils ont répété l’opération à Biarritz, devant un panneau publicitaire affichant “Bienvenue en territoire Ossau-Iraty”. Mercredi dernier, ils ont choisi de se montrer solidaires avec les plus démunis pour manifester leur malaise. Ils se sont rendus aux Restos du cœur à Anglet et y ont livré 500 litres de lait, sous la forme de 4.000 pots de yaourts. Sur ces 4.000 pots, 500 resteront aux Restos du cœur d’Anglet, 500 autres seront distribués à la Table du soir et les 3.000 restants iront à Pau pour être répartis dans les différents Restos du cœur du Pays Basque et du Béarn.
Réunion avec le sous-préfet
Une réunion s’est tenue mercredi dernier entre les producteurs et le sous-préfet. “C’est la première fois que l’on rencontre le sous-préfet depuis le début de la crise. Il a été plutôt réceptif, nous lui avons montré notre détermination”, commente André Iribarne, président de la CLPB. Le sous-préfet, Laurent Nuñez, parle, lui, d’un “entretien très courtois, durant lequel les producteurs ont fait part de leur souhait de ne pas laisser partir d’autres membres de la coopérative”. Dans l’après-midi Laurent Nuñez a rencontré les industriels pour envisager une voie de sortie. De nombreux points sont à résoudre. On est très loin d’une issue favorable aux producteurs. La CLPB attend désormais qu’une réunion entre industriels et membres de la CLPB puisse se tenir sous l’égide des pouvoirs publics. Le plus navrant de cette histoire, c’est que les coopératives d’origine abertzale —Berria-Onetik de Macaye et Agour de Hélette— font corps avec les grandes entreprises laitières et ne sont pas les moins intransigeantes avec les producteurs. Il est bien loin le temps où la petite coopérative Berria devait faire appel aux tribunaux pour faire respecter ses droits face aux grandes laiteries qui voy-aient d’un très mauvais œil l’arrivée d’un concurrent soucieux de l’intérêt de ses coopérateurs. Décidément l’esprit coopératif ne résiste pas bien longtemps à l’appétit du profit rapide.
Par ailleurs, un collectif d’élus composé d’une cinquantaine de maires et d’élus municipaux se mobilise “devant le problème qui se pose aujourd’hui sur la CLPB et au-delà, sur l’ensemble des producteurs de lait de brebis du Pays Basque […] pour soutenir cette activité économique vitale pour nos territoires”. 1.600 familles basques vivent du lait de brebis. Le président de la CLPB salue évidemment cette initiative et rappelle effectivement que “le problème va au-delà de la coopérative. Il faut alerter les gens, c’est bien que le mouvement grandisse”.
Après les ours, la publicité slovène
C’est dans ce contexte conflictuel qu’une publicité pour le fromage “P’tit Basque” du groupe Lactalis fait le buzz ces jours-ci et donne un écho particulier aux actions de la CLPB. Ce spot publicitaire, tourné en Slovénie, avec des acteurs et des équipes slovènes, est en effet la caricature de ce que dénoncent les producteurs de lait de la CLPB: l’utilisation de l’image du Pays Basque à des fins commerciales, au détriment de la qualité et de l’authenticité du produit. Le spot met en scène tous les clichés locaux —paysan à moustache, béret, gilet en laine— pour vendre un produit fabriqué avec du lait qui n’a que très peu à voir avec le Pays Basque. Il faut savoir gré à Reporterre.net et Arrêt sur images d’avoir mis le doigt sur cette imposture, une de plus, imaginée par les industriels pour tromper les consommateurs et augmenter leurs marges.
Il y a fort à parier que les bergers basques n’apprécieront pas plus cette publicité tournée en Slovénie que les ours importés du même pays pour les remplacer dans les montagnes qu’ils sont forcés de déserter.