Première remarque: le vote du 20 novembre est d’abord la victoire d’Arnaldo Otegi et de quelques-uns
de ses amis encore en prison, au prix de difficultés immenses, alors que la gauche abertzale officielle, au début de l’année 2009, était encore au fond du trou (Enbata n° 2195 du 2 septembre 2011). Il y a près de trois ans, personne ne donnait cher de leurs efforts et n’imaginait le résultat électoral de Bildu, puis d’Amaiur. Les réticences de certains toujours accrochés à une lutte armée à bout de souffle, sont désormais balayées et les risques de dissidence s’a-menuisent fortement.
Deuxième remarque: la carte politique du Pays Basque Sud est désormais divisée en quatre quarts plus ou moins équivalents: le PSOE (21,65% des suffrages), Amaiur (22,08%), le PP-UPN (22,27%) et le PNV + Geroa bai (24,23%). Certes, ces pourcentages varient fortement d’une région à l’autre, comme dans n’importe quel pays, et ils seront demain sujets à des évolutions conjoncturelles. Mais il s’agit là d’un trait majeur de notre vie politique qui déterminera les jeux d’alliance et sa gouvernabilité. Par ailleurs, il n’y a guère eu de déplacement de voix au sein de la famille espagnoliste, comme cela fut souvent le cas dans les scrutins précédents et les abertzale, bien que divisés, sont clairement majoritaires, avec 13 députés sur 23 (près de 700.000 voix abertzale, contre 663.454 voix PP-PSOE).
Gare au soufflé qui retombe
Troisième remarque: Amaiur n’est pas la gauche abertzale stricto sensu. L’écart important entre les plus hauts scores de Herri Batasuna à sa grande époque (1) et le score d’Amaiur aujourd’hui, sont là pour le prouver. Il s’agit d’une coalition de partis et de sensibilités qui adhèrent à un combat souverainiste sans lutte armée. Pour l’instant, la gauche abertzale traditionnelle, n’est toujours pas légalisée. Demain, elle devra tenir compte de la pluralité d’Amaiur et de son électorat, en bridant ses velléités hégémoniques et ses maladresses, dont nous connaissons bien l’ampleur et le poids très pesant en Iparralde.
Quelle sera la stratégie du nouveau «grand» de la carte politique basque? Passée l’euphorie des lendemains électoraux, il devra durer et ne pas décevoir son pro-pre camp, tant les espoirs suscités sont immenses. Gare au soufflé qui retombe aussi vite qu’il est monté… Dans le meil-leur des cas, la gauche abertzale sera confrontée à l’ingrate réalité de l’exercice du pouvoir et sa gestion toujours difficile, un véritable changement de culture politique dans ses rangs. Les souverainistes catalans d’ERC en ont fait la cruelle expérience, au prix d’un émiettement de leur famille politique.
Lorsqu’Amaiur nous annonce aujourd’hui que ses députés iront siéger à Madrid, uniquement pour défendre le droit à l’autodétermination et les intérêts du Pays Basque et qu’en même temps, le futur chef du gouvernement espagnol indique que la seule formation qu’il ne recevra pas lors de son tour de table, c’est Amaiur, on mesure la hauteur du mur auquel seront confrontés les sept députés souverainistes. Le droit pour Amaiur de pouvoir constituer un groupe politique aux Cortes, donnera d’ici une quinzaine de jours la température. Le bureau du parlement peut s’y opposer pour d’obscures raisons juridiques (2).
Rôle pivot ou union sacrée
Chacun sait que les Espagnols s’intéressent aux formations périphériques, Bas-ques ou Catalans, uniquement lorsqu’ils ne parviennent pas à faire voter leur budget aux Cortes. On l’a vu il y a un an, dans ce qui fut un cas d’école (3). Mais, Mariano Rajoy dispose quant à lui d’une écrasante majorité absolue. Et nous avons tous en mémoire le débat aux Cortes, lorsqu’elles rejetèrent brutalement le projet de souveraineté-association de Juan José Ibarretxe, voté par le parlement basque. Donc, quid de la stratégie souverainiste, même avec le soutien d’un PNV échaudé qui toujours trainera des pieds? Là encore, on se souvient, comment hier Rubalcaba et Zapatero, avec la trahison des autonomistes de CiU, puis le rabotage du Conseil constitutionnel espagnol, vidèrent de la moitié de son contenu le nouveau statut d’autonomie catalan, pourtant ap-prouvé par référendum. Du grand art en matière de centralisme démocratique, non pas version Moscou, mais version Madrid.
Dans les trois provinces, Amaiur peut-il demain jouer le rôle de pivot central que tint hier le PNV, grâce à l’abstention de Herri Batasuna? C’est tout l’enjeu des prochaines élections au parlement de Gasteiz dans un an et demi. En principe, ce type de scrutin local devrait donner aux forces abertzale une majorité plus confortable encore, que celle obtenue le 20 novembre.
On ne peut comparer que ce qui est comparable, mais les états-majors ont vite fait marcher les calculettes. Une projection du scrutin du 20 novembre sur les prochaines élections autonomiques, donne le PNV et Amaiur à égalité avec 20 députés chacun, le PSOE 18, le PP 15 et IU 2. Amaiur rêve déjà tout haut d’un lehendakari indépendantiste. Les abertzale exigent de Francisco Lopez qu’il avance les élections. Il s’y refuse évidemment et entame son chemin de croix, sans s’avouer battu, face à une crise qui le dépasse.
Préliminaires,
expériences et hypothèses
Une élection est toujours imprévisible, comme le sont les jeux d’alliance. Les Espagnols ont montré l’exemple aux Bas-ques en matière d’union sacrée. Le PNV annonce qu’il peut se mettre d’accord avec Amaiur en une minute. Mais en même temps, il signe avec le PP pour approuver le budget biscayen. Un des leaders d’A-maiur, Iñaki Antiguedad, ouvre la porte à la négociation avec le PNV, mais en même temps, le souverainiste Martin Garitano qui dirige la députation de Gipuzkoa, compte faire passer son projet de réforme fiscale, grâce au soutien du PSOE. Le scénario du Gipuzkoa est assez éclairant. Une coalition PSOE-PNV-PP bloque les projets de Bildu qui en est réduit à rechercher des alliances ponctuelles ou à reconduire ad-ministrativement le budget précédent, da-tant de l’époque où la députation était dirigée par le PNV.
Ce scrutin du 20 novembre renforce au sein du PNV la tendance autonomiste-gestionnaire de Biscaye, au détriment de la tendance souverainiste, représentée par Joseba Egibar. Ce dernier n’a obtenu qu’ un seul député en Gipuzkoa, pour un écart d’à peine 1.500 voix. Cela aura évidemment une incidence dans les choix des futures alliances du vieux parti nationaliste.
Face à un peuple sûr de lui et dominateur, nous verrons demain ce que pèsent 13 députés abertzale contre 296 députés nationalistes. Comment 2,5 millions de Basques peuvent faire valoir leurs droits en tant que peuple et nation, face à 42 millions d’Espagnols. Nous ne sommes pas aussi nombreux que les Flamands confrontés aux Français-Wallons. C’est toute la difficulté de notre combat.
(1) Cinq députés en 1986, quatre en 1989 et deux habituellement, à une époque où les députés de la gauche abertzale refusaient de siéger aux Cortés, comme au parlement de Gasteiz, car ils contestaient la légitimité de ces institutions.
(2) Pour constituer un groupe parlementaire qui présente d’énormes avantages en ce qui concerne le temps de parole et les moyens financiers mis à disposition, une formation doit obtenir plus de 5 députés et plus de 15 % des suffrages, partout où elle a présenté des candidats. Amaiur n’a obtenu que 14,86% des voix en Navarre, mais espère que le bureau du parlement, bien que dominé par le PP, se montrera bon prince…