On me reconnaît volontiers un certain sens de la créativité en politique, mais j’avoue humblement que déceler une évidente “communauté de destin territorial” entre Biarritz et Guéret (!) ne m’avait jamais traversé l’esprit. Ainsi le caléidoscope politico géographique s’est arrêté —un temps— sur une improbable “Aquitaine enflée” qui fait de la Creuse la compagne historique incontournable de l’Iparralde. Alors, puisque la période est aux délires cartographiques, j’y suis allé du mien : j’ai imaginé —fou que je suis— que l’Hexagone Sacré ne flottait pas dans le vide sidéral, mais qu’il existait (peut être), à ses marges, des terres peuplées avec lesquelles nos populations “périphériques” pourraient tenter d’entrer en contact… Plus sérieusement, peut-on concevoir que la carte de France déborde de la France ?
A question ainsi posée, la réponse est forcément négative puisqu’elle part du dogme quasi religieux et parisiano-centré de la “finitude géométrique hexagonale” que l’on présente à nos écoliers comme parfaite et aboutie. Mais la réponse est bien différente si l’on prend conscience que de part et d’autres de nos frontières —cicatrices de conflits sanglants ou de mariages arrangés aujourd’hui dépassés— des liens évidents et
séculaires sont tissés, forts d’échanges sociétaux, économiques, culturels et humains.
Ainsi, pour qui a compris la géopolitique du XXIe siècle, ce n’est sans doute plus la cartographie française qu’il faudrait examiner, mais celle de l’Europe.
En effet, les quatre libertés de circulation —des marchandises, des personnes, des services et des capitaux— inscrites au Traité européen rendent, un peu plus chaque jour, les frontières poreuses. Et des deux côtés des Pyrénées, du Rhin, des Alpes ou des Ardennes ce sont les mêmes normes qui s’appliquent, les mêmes règles qui s’imposent aux droits nationaux (depuis 1964 !), le même commerce extérieur et la même politique agricole commune adossés à la même monnaie…
Pourtant, pour nos gouvernants, il ne faut surtout pas dessiner —de l’aveu même du ministre de l’Intérieur— des “régions identitaires”.
Arrêtons-nous un instant sur cette crainte atavique jacobine. On pouvait la comprendre à l’aune de la Révolution française où l’on redoutait, à bon droit, la réémergence des grands féodaux de l’Ancien Régime. On pouvait aussi l’expliquer dans le cadre des conflits européens interétatiques des deux siècles passés où l’on pouvait craindre que des morceaux de la Patrie, s’ils devenaient trop autonomes ne soit tentés de se soustraire à l’effort de guerre, voire même de se vendre à l’ennemi. Mais à l’heure de la construction européenne, où le sentiment monarchiste n’irrigue guère que les gazettes princières et où la paix s’est définitivement ancrée dans le vécu intra-européen, cette peur de la différence atteint des sommets de bêtise.
“Unie dans la diversité” nous dit la devise européenne. Qu’attend-on pour exprimer la force et la richesse de cette diversité – ainsi que la proximité qu’elle garantit – dans la solidarité d’une réforme territoriale ? Pourquoi construire des identités abstraites si ce n’est pour nier celles qui existent de fait? On veut moins de régions administratives? Fort bien. Mais pourquoi vouloir faire grand en superficie, si c’est pour faire petit en cohérence, rabougri en compétences, minable en moyens ?
Faire région ne se décrète pas. Les frontières se dessinent sur le papier mais s’effacent dans les êtres si elles ne sont pas vécues comme évidentes par les populations.
Donnons dès aujourd’hui un statut spécifique
—que l’on appellerait provisoirement “départemental”—
aux recoins de l’Hexagone que sont
la Catalogne, la Savoie et le Pays Basque…
dans l’attente de leur connexion
à leurs homologues transfrontaliers,
dans le cadre de futures eurorégions.
N’étant Basque que de coeur, je ne peux me permettre de trancher à la place des “Basques de terrain” sur la délicate question du statut de la communauté territoriale d’Iparralde. Je plaide cependant auprès des décideurs gouvernementaux pour que l’on envisage de contourner l’obstacle constitutionnel de la suppression des départements en donnant, dès aujourd’hui, un statut spécifique —que l’on appellerait provisoirement “départemental”—aux “recoins de l’Hexagone” que sont la Catalogne, la Savoie et le Pays Basque… dans l’attente de leur connexion à leurs homologues transfrontaliers, dans le cadre de futures eurorégions.
Après tout, l’article 72 de la Constitution parle de départements sans en fixer le nombre, et l’on sait qu’au regard du droit actuel, on peut déjà en supprimer. Il suffirait alors d’en créer/garder trois, tout en supprimant tous
les autres, pour satisfaire immédiatement à la fois la lettre de la Constitution et les légitimes revendications savoyardes, catalanes et basques. Cette mesure, couplée au rétablissement d’une fiscalité locale autonome et dynamique, ainsi qu’à des compétences renforcées incluant les droits d’adaptation et d’expérimentation, est de nature à remettre sur les voies une réforme qui semble avoir déraillé. Enfin, un bicamérisme régional donnerait à l’action publique une légitimité puisée à double source : celle des citoyens unis et celle des territoires respectés dans leurs différences. Cela sous-entend la définition de pays, c’est-à-dire de bassins de vie larges et cohérents, et —là encore— Iparralde peut servir d’exemple avec son Labourd, sa Soule et sa Basse-Navarre.
Notre République est malade d’être abstraite. De réformes technocratiques désincarnées en abstention citoyenne massive, elle peut mourir à petit feu en se livrant aux extrémistes. Pour redonner sens à l’idéal républicain, il faut repartir de la vie réelle ancrée dans nos territoires réels, fussent-ils un brin débordant de la géométrie hexagonale que la guerre de quatorze entendit rétablir sous un flot de sang.
Car c’est une nouvelle guerre de 14 —celle de 2014— qui commence. Celle-ci doit être joyeuse et pacifique, mais tout aussi déterminée à ouvrir les frontières que celle de 1914 tenta de barricader. En ce sens, un Pays Basque réunifié est faiseur d’Europe.