
L’Édito du mensuel Enbata
Clash le 6 juin à Barcelone lors de la Conférence annuelle des présidents de régions. Isabel Diaz Ayuso, présidente PP de Madrid, quitte la salle lorsque ses homologues basque et catalan s’expriment dans leurs langues respectives. La dirigeante de droite crache son venin : « Ils veulent chaque fois rendre davantage visible un État plurinational qui n’existe pas. La Catalogne, c’est l’Espagne, cela n’a aucun sens de mettre chez soi une oreillette [pour la traduction en espagnol]». Elle dénonce l’instrumentalisation des langues co-officielles qui vise « à nous faire sentir étrangers dans notre propre maison ». L’usage de l’oreillette est « une farce séparatiste » et « une manœuvre politique ». Jamais de la part d’un haut dirigeant, l’attaque contre les langues co-officielles qualifiées de langues de « péquenots », n’avait été aussi brutale, sur fond de suprémacisme espagnol nourri d’euskaraphobie, de catalanophobie, de négationnisme. Peu après ces faits, un sondage montre que l’attitude d’Isabel Diaz Ayuso reçoit l’approbation de 56,6% de l’opinion publique. La leader madrilène dit tout haut ce que l’Espagne profonde pense tout bas.
Cet impérialisme linguistique ne s’arrête pas là. Le 11 juin, le Sénat aux mains du PP refuse d’autoriser dans son enceinte l’usage d’une langue autre que l’espagnol, contrairement à ce qu’a décidé en 2023 le Parlement. Les sénateurs PNV, EHBildu, Junts, ERC et BNG aussitôt quittent l’hémicycle devant cette « approche intolérante et monocolore de la société, cette pensée rétrograde qui rappelle des temps obscurs ».
L’Université du Pays Basque (EHU-UPV) supprime la partie espagnole de son acronyme pour éviter la confusion avec l’Université polytechnique de Valence. Insupportable pour Diaz Ayuso qui affirme que « les dictatures entrent à petites gorgées ». Le PP et l’extrême droite Vox gouvernent en alliance les Îles Baléares et le Pays valencien, ils annulent le décret qui prévoit que 50% de l’enseignement se fera en catalan, et imposent un trilinguisme incluant l’anglais. Le Parlement local coupe les vivres à des associations culturelles considérées comme « sécessionnistes » et à l’Acadèmia Valenciana de la Llengua, le but étant de « les étrangler ».
Pedro Sanchez avait promis d’obtenir de l’Europe l’officialisation des langues catalane, basque et galicienne. La bataille fait rage à Bruxelles pendant des mois, les députés PP sont vent debout pour contrer cette décision. Résultat le 28 mai : dix Etats sur vingt-six demandent le report de cette demande.
En Hegoalde, après 45 ans d’autonomie, de coofficialité et de lois linguistiques, seuls 17 des 284 juges en poste dans la Communauté sont à même de rendre la justice en euskara. Triste bilan. Dans la fonction publique, les recours incessants du PP annulent les procédures de recrutement dans les services qui exigent un niveau de connaissance assez variable de l’euskara. Le PNV veut obtenir de son allié socialiste un changement de la loi, pour que le pouvoir judiciaire ne puisse pas freiner la politique linguistique. Le leader PSOE Eneko Andueza répond niet, comme pour toute évolution sérieuse du statut d’autonomie, et se dit « harcelé » sur ces questions. En réponse, EHBildu dépose le 9 juin une proposition de loi : l’exigence généralisée de la connaissance de l’euskara pour accéder à un emploi public dans les trois provinces.
Les avancées obtenues hier par les minorités
sont remises en cause,
dans le sillage d’un affaiblissement
des principes démocratiques.
Désormais, une droite dure et décomplexée se sent pousser des ailes, sur fond de montée en puissance tous azimuts de pouvoirs autoritaires, de xénophobie et d’impérialisme. Comme un poison lent. S’exerce la loi du plus fort, dans toute sa cruauté. Les avancées obtenues hier par les minorités sont remises en cause, dans le sillage d’un affaiblissement des principes démocratiques. Face à cela, les deux formations rivales EHBildu et PNV soutiennent toujours une gauche espagnole, avec laquelle les divergences sont considérables et qui s’affaiblit dangereusement. Récemment, une énorme affaire de corruption fait vaciller un Pedro Sanchez désormais au bord du gouffre. Un autre choix d’alliance est-il possible ? Non. La marge de manœuvre des abertzale est étroite et entre deux maux, il faut choisir le moindre, en d’autres termes la moins mauvaise des solutions. Et surtout, continuer à travailler pour faire évoluer dans le bon sens notre corps social. Dans la chiennerie du temps, et face aux vents contraires, sont de mise la ruse, la patience et une détermination dignes d’Ulysse et de Pénélope. C’est ce qui fait à la fois l’ingratitude, la difficulté et la grandeur de notre combat politique.