Polémique sur l’affaire Zabalza

La plaque commémorative en souvenir de Mikel Zabalza, installée à vingt mètres de l’entrée de la caserne d’Intxaurrondo.

Pour les associations espagnoles de victimes, il y a les bonnes et les mauvaises victimes du terrorisme. Le dossier et l’hommage rendu à un jeune Basque mort sous la torture il y a 39 ans, illustre cette dichotomie marquée par le déni et la guerre du récit historique, sur fond de question nationale.

Rappelons les faits : en 1985, le Navarrais Mikel Zabalza, né 33 ans plus tôt à Orbaizeta, est arrêté par la Garde civile et emmené à la caserne d’Intxaurrondo. Vingt jours plus tard, le 15 décembre, le corps de celui qui est chauffeur de bus, est retrouvé dans les eaux de la Bidassoa, il porte les traces des tortures qu’il a subies. La version policière explique que le jeune Basque qui ne savait pas nager s’est jeté dans le fleuve alors qu’il s’apprêtait à montrer aux gardes civils une cache d’ETA. En réalité, M. Zabalza était bien en peine d’avouer quoi que ce soit sur ETA, il n’en faisait pas partie, ni de près ni de loin. Son seul engagement était son adhésion au syndicat ELA.

Suite à des années de procédure pour savoir la vérité, la presse révèle un enregistrement du patron des services secrets espagnols qui indique que Mikel Zabalza est bien mort des mains de la Guardia Civil. Après d’horribles tortures. La justice espagnole et ses cinq décisions ne reconnaîtront jamais la responsabilité de la police. Elle refuse aujourd’hui encore et au plus haut niveau, la réouverture du dossier. La plate-forme d’Aezkoa Mikel Zabalza gogoan, réclame toujours en vain l’accès aux archives policières qui demeurent classées “Secret défense”. Plusieurs gradés de la Garde civile en poste à Intxaurrondo au moment des faits ont bénéficié de promotions fulgurantes. En 2022, seul le gouvernement basque a reconnu que Zabalza avait été victime de la police.

A 20 mètres de l’entrée de la caserne

Depuis quelque temps, les autorités d’Hegoalde installent des plaques commémoratives sur les lieux où sont tombées des victimes du conflit basque, du fait de l’action d’ETA, des Commandos autonomes anticapitalistes, de la police et de différents escadrons de la mort. Trente-et-une plaques ont été apposées à ce jour en Gipuzkoa. La trente-deuxième, celle de Mikel Zabalza, déclenche une vive polémique. Elle est scellée sur le sol d’un trottoir, à vingt mètres de l’entrée de la caserne, ou plutôt du camp retranché d’Intxaurrondo qui constitue en Gipuzkoa une petite ville fermée. L’inscription indique le nom du défunt et “Poliziaren ekintzak eragindako biktima” (“Victime de l’action de la police”). Le nom de la Guardia Civil n’est pas mentionné, ce qui ne doit rien au hasard.

L’inauguration de cette plaque a donné lieu à une cérémonie le 30 novembre, en présence de la famille de Mikel Zabalza, du maire PNB de Donostia Eneko Goia, de Pili Zabala et Maixabel Lasa, soeurs de deux victimes du GAL et d’Ana Ollo, ministre aux relations citoyennes du gouvernement foral de Navarre. A l’annonce de cette cérémonie, les associations de victimes du “terrorisme”, telles que Dignidad y Justicia (DyJ) ou Asociación Víctimas del Terrorismo (AVT) sont publiquement intervenues dans la presse pour s’y opposer. Pour la seconde, installer cette plaque commémorative relève de la “théorie du conflit que l’environnement d’ETA prétend vendre depuis longtemps”. Elle “reconnaît le travail impeccable des forces de sécurité étatiques” et ajoute “qu’en aucun cas, on ne peut parler de victimes de violences policières. En de telles circonstances et dans la mesure où l’on pourrait apporter la preuve qu’il existe un quelconque préjudice (ce qui n’est pas le cas), on pourra évoquer des faits isolés et ponctuels réalisés par quelques membres des forces et des corps de sécurité de l’État. Nous parlerions alors davantage de négligences professionnelles ponctuelles, plus que d’abus policiers en général”.

“Pour AVT, installer cette plaque commémorative
relève de la « théorie du conflit que l’environnement d’ETA prétend vendre depuis longtemps ».
Elle « reconnaît le travail impeccable des forces de sécurité étatiques ».”

Pour faire bonne mesure, AVT ajoute que les victimes “regrettent” tout particulièrement que la plaque soit installée à côté de la caserne d’Intxaurrondo, “désignant ainsi la Garde civile comme un assassin. Aux côtés des autres forces de police de l’État, elle est parvenue à en finir avec ETA et si une chose doit être soulignée, c’est qu’il s’agit de héros qui ont protégé les citoyens et ont lutté pour défendre le peuple contre les terroristes, les véritables tortionnaires qui le tuaient, le rackettaient et l’étouffaient. 201 gardes civils furent assassinés par ETA“.

Plaque “illégale, irresponsable et immorale”

L’autre association, DyJ, qui émane de milieux policiers et judiciaires, en rajoute une couche : la démarche de la ville de Donostia troque “la vérité judiciaire contre une vérité para-judiciaire ou pseudo-judiciaire, avec pour objectif de fausser le récit montrant comment l’organisation terroriste ETA a essayé d’annihiler l’État démocratique et le droit espagnol, en quasi 50 années d’histoire sanglante“. La pose de cette nouvelle plaque, “non seulement est illégale, irresponsable politiquement et immorale, mais elle constitue une offense très claire à l’égard des victimes du terrorisme”.

Portrait de Mikel Zabalza, torturé et tué par la Guardia Civil.

Dignidad y Justicia rappelle que cinq décisions judiciaires cautionnent l’absence d’indice de délits quant aux circonstances de la mort de Zabalza et “encore moins que des faits puissent être reprochés à la Guardia Civil“. La cérémonie du 30 novembre “met sur un même pied d’égalité les victimes de violence policière avec les victimes du terrorisme, en invoquant une thèse politique qui impose l’idée que toute la barbarie terroriste mise en oeuvre par l’organisation terroriste ETA depuis 50 ans fut la conséquence d’un conflit”. Le maire de Donostia se doit donc “de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la dignité des victimes du terrorisme, éviter ce type de manifestations publiques qui discréditent, dévalorisent ou humilient les victimes ou leurs familles”.

“Il n’y a pas de chauffeur, où est-il ?”

Pour les élus locaux du PP, installer cette plaque commémorative à deux pas d’une caserne “est une façon de pointer et de rendre publiquement coupable de ce meurtre une institution. Dès lors, les membres de la Guardia Civil se sentent offensés et victimes de provocation”.

En réponse et dans un souci d’apaisement, le maire Eneko Goya se borne à rappeler que le but de l’institution municipale est “de garder la mémoire et de rappeler dans l’espace public ceux qui furent les victimes du terrorisme et de la violence à motivations politiques et qui perdirent la vie dans notre cité“. Une formulation extraordinairement soft qui ne parle ni de terrorisme d’État ni ne cite nommément aucun corps de police. Mais cela ne suffit pas aux yeux de certains.

Lors de la cérémonie, quelques anciens collègues de travail de Mikel Zabalza portaient une pancarte où était dessiné un autobus. Avec une inscription en euskara : “Ici, il n’y a pas de chauffeur, où est-il ? Nous exigeons la vérité”. En référence aux années de combat médiatique et judiciaire pour que les autorités fassent toute la lumière sur cette affaire.

La guerre continue

Ces oppositions sont significatives du débat qui agite l’opinion publique sur ces questions. L’influence des associations de victimes est très forte en Espagne, non seulement auprès des partis de droite et d’extrême droite, mais aussi parmi les socialistes. Le premier enjeu de leurs multiples prises de position porte sur le sort des 148 prisonniers politiques basques toujours incarcérés et l’application très tardive d’une décision européenne permettant l’élargissement d’une cinquantaine d’entre eux. Le second enjeu concerne les mesures de libération conditionnelle (dite 3e degré) dont pourraient bénéficier les autres preso. Nous n’y reviendrons pas. Gageons qu’en la matière Sare et EHBildu ne relâchent pas la pression sur le gouvernement de Pedro Sanchez.

L’action du lobby AVT et DyJ — qui, rappelons-le sont largement subventionnées par des fonds publics— s’exerce sur le pouvoir exécutif, mais aussi sur les juges. Pour ces derniers, la paix n’est pas de mise, la guerre continue. Alimentés par des enquêtes de la Guardia Civil qui s’acharne à éclaircir 351 affaires non résolues (1), les magistrats de l’Audiencia nacional continuent de condamner. Le 2 décembre, les deux ex-membres d’ETA Aitor Agirrebarrena et Asier Arzalluz écopent de 30 ans de prison. Quelques jours plus tard, le 11 décembre, c’est au tour d’Imanol Miner Villanueva, Asier García Justo, Jon Zubiaurre Aguirre et Patxi Xabier Macazaga Azurmendi d’être condamnés à 74 ans de prison. Le conflit perdure avec une répression violente active.

Révisionnisme et réécriture de l’histoire

D’où le pitoyable débat auquel nous venons d’assister à propos de Mikel Zabalza. Il est fait de déni, de révisionnisme et de réécriture de l’histoire abordée du point de vue espagnol. Un récit historique partagé demeure un voeu pieux, comme souvent lors de conflits majeurs. L’argumentation de ces associations synthétise la fracture qui sépare les abertzale des nationalistes espagnols. Le but de ces derniers est aussi de limiter le crédit ou de dévaloriser la revendication souverainiste et la langue basque, en les associant à la violence “terroriste”. Le paradoxe veut que ces gens-là nient l’existence d’un conflit politique et encore davantage d’une question nationale, alors que dans les faits, ils s’acharnent à l’alimenter.

Gorka Landaburu, proche des socialistes et victime d’un attentat d’ETA, était présent fin novembre lors de l’inauguration de la plaque de Mikel Zabalza. Dans un contexte aussi clivé, son attitude marquée par un souci d’apaisement est remarquable. Comme s’il avait quelques décennies d’avance sur beaucoup de ses contemporains. Elle rejoint celle d’Arnado Otegi qui déclarait le 21 octobre dernier : “Qu’il n’y ait plus un seul prisonnier politique basque sera un investissement pour l’avenir du vivre ensemble”.

(1) En particulier sur la base de plusieurs tonnes d’archives d’enquêtes policières que la France a remises à l’Espagne.

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One thought on “Polémique sur l’affaire Zabalza

  1. Autobus gidaria zen, momentu batez Baionan ere, ez baniz oker.

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