C’est une des images fortes de la fin du XXème siècle. Yasser Arafat et Yitzhak Rabin se serrent la main sous le regard attendri de Bill Clinton. C’était le 13 septembre 1993 à la Maison Blanche, lors de la signature des premiers accords de paix ente Israéliens et Palestiniens, après des semaines de négociations secrètes à Oslo. David Lannes, vingt ans après leur signature, tire le bilan de ces accords qu’il traitera en plusieurs articles. Voici le premier volet.
Pour beaucoup, cette date du 13 septembre 1993 marque le début d’une reconnaissance mutuelle entre Israéliens et Palestiniens, même si l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) avait déjà accepté en 1988 les résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité et donc, implicitement, la reconnaissance d’Israël.
Mais l’enthousiasme pour ces “accords d’Oslo” n’était pas général: certaines des figures palestiniennes les plus respectées, comme Edward Saïd ou Mahmoud Darwich, manifestèrent leur profond désaccord. En octobre 1993, la London Review of Books avait demandé à l’intellectuel palestinien Edward Saïd (anti-Oslo) et à l’historien anglo-israélien Avi Shlaïm (pro-Oslo) d’expliquer leur positionnement. Il est très instructif de se repencher aujourd’hui sur leurs analyses…
Cohabiter sur le même territoire
Dans ces deux textes rédigés avant l’assassinat de Rabin, le Premier Ministre israélien n’apparaît pas comme l’homme de paix qu’il est aujourd’hui dans l’iconographie occidentale. Israël était alors engagée sur deux fronts diplomatiques ; pour reprendre les paroles de Shlaïm, “Rabin devait choisir entre un accord avec la Syrie qui impliquait le retrait et le démantèlement des colonies juives du Golan, et un accord avec l’OLP sur une autonomie intérimaire de cinq ans qui n’impliquait aucun compromis territorial immédiat, et aucun démantèlement de colonies“. C’est donc l’option la moins douloureuse pour Israël que Rabin a choisie, conforté dans sa décision par l’état de déliquescence de l’OLP, corrompue, divisée et incapable de peser efficacement sur les négociations. Au sein de l’OLP, les partisans des accords d’Oslo expliquaient un peu penauds aux sceptiques qu’il n’y avait pas d’autre alternative… “Pas d’autre alternative parce que nous avons perdu ou gâché beaucoup d’autres possibilités, nous laissant uniquement celle-ci” précisait Edward Saïd pour qui de bien meilleures opportunités s’étaient présentées, avant que l’OLP ne perde une grande part de son crédit en prenant le parti de Saddam Hussein lors de la première guerre du Golfe.
S’ils partageaient peu ou prou le même constat désabusé sur les coulisses de l’accord d’Oslo, Saïd et Shlaïm divergeaient radicalement à l’heure d’en estimer la portée. Pour Shlaïm, ces accords “[méritaient] pleinement le qualificatif éculé ‘d’ historique’ parce qu’ils [réconciliaient] les deux principales parties du conflit Arabo-Israélien”. En acceptant simultanément le principe de la partition, les deux parties abandonnaient les disputes idéologiques stériles sur leur légitimité respective à posséder la Palestine pour commencer enfin à chercher un moyen de cohabiter sur le même territoire. L’historien reconnaissait que l’accord demeurait complètement silencieux sur certains problèmes vitaux (droit au retour des réfugiés de 1948, frontières de l’entité palestinienne, avenir des colonies, etc.). Ce n’est qu’au terme d’une “période intérimaire” de cinq ans que ces points devaient être évoqués. Mais, expliquait-il, “si ces problèmes avaient été abordés, il n’y aurait pas eu d’accord”. C’est donc en l’absence de toute garantie et sur de très modestes fondations (une autonomie de gouvernement accordée à Gaza et à la ville de Jéricho) que l’OLP devait s’engager dans la construction de nouvelles institutions susceptibles de créer une dynamique conduisant à un véritable Etat au terme des cinq ans de la période intérimaire. Un acte de foi qui semble bien naïf aujourd’hui…
Engagements reniés
Edward Saïd était quant à lui sur une tout autre longueur d’onde qui parlait d’un “instrument de la reddition palestinienne, un Versailles palestinien“. D’un côté, Israël n’a rien concédé en dehors de la reconnaissance “de l’OLP comme représentante du peuple Palestinien“. De leur côté, les Palestiniens perdaient en signant les accords d’Oslo le bénéfice des multiples résolutions internationales en leur faveur et bradaient “leur revendication unilatérale et internationalement reconnue sur la Cisjordanie et Gaza qui sont maintenant devenus des “territoires disputés’”. Les accords d’Oslo réussirent par ailleurs la prouesse de faire passer les Palestiniens du statut de victime à celui “d’assaillants repentants“. Quant à la dynamique vertueuse sur laquelle comptait Shlaïm, Saïd voyait plutôt l’OLP suivre les traces de tant d’autres gouvernements arabes, anti-démocratique, autocratiques et impopulaires…
Edward Saïd n’est malheureusement plus là pour analyser la situation 20 ans plus tard, mais Avi Shlaïm s’est plié à cet exercice dans un récent article pour The Guardian. Faisant référence à son débat avec Saïd 20 ans auparavant, il reconnaît sans ambages : “il est clair que Saïd avait raison et que j’avais tort”. Il estime que “la raison fondamentale [de l’échec des accords d’Oslo] est qu’Israël n’a pas tenu ses engagements” et que la principale erreur de ces accords et de ne pas avoir prévu de mesure contraignante pour Israël, et tout particulièrement sur les colonies. Les conséquences de cet “oubli” sont aujourd’hui patentes : on dénombrait 115.700 colons dans les territoires occupés en 1993 alors qu’ils sont aujourd’hui 350.000 en Cisjordanie, et 300.000 de plus à Jérusalem Est. Les Israéliens sont passés experts dans l’art de faire traîner les négociations tout en annexant de nouveaux territoires. Netanyahu, explique Avi Shraïm, “est le procrastinateur par excellence, le Premier Ministre à deux faces qui prétend négocier la partition de la pizza tout en continuant à la dévorer”. Et ce n’est certainement pas le nouveau cycle de négociations ouvert cet été sous l’impulsion des Etats-Unis qui fera lâcher “sa” pizza à Netanyahu… Je reviendrai dessus dans ma prochaine chronique.