Zone à faible émission, l’écran de fumée


Filipe Saint-Arroman

D’ici le 1er avril 2025, l’Agglo Pays Basque aura mis en place une Zone à faible émission (ZFE). Sont concernés les territoires des onze communes littorales situées à l’ouest de l’A63. Même s’il s’agit là d’une obligation légale imposée par l’Etat, lui-même en infraction vis-à-vis de la Commission européenne, il convient de s’interroger sur le sens de cette mesure, tant d’un point de vue environnemental que social, ainsi que sur ses objectifs affichés ou non avoués.

On ne peut que partager le désarroi du maire d’Urrugne face à cette contradiction flagrante : une partie des habitants de cette commune devra changer de véhicule mais continuera à subir les émissions des quelques 10.000 camions par jour circulant sur l’A63, chaque camion polluant jusqu’à 30 fois plus qu’un véhicule ordinaire. Peu importe la santé des Urruñars, comme nous le verrons plus loin, l’essentiel est que l’économie continue à tourner,.. et les bénéfices à s’accumuler.

De quelles émissions nous parle-t-on ?

L’objectif affiché est de réduire les émissions d’oxydes d’azote (NOx) et de particules fines, responsables de maladies respiratoires. Si on ne peut reprocher aux institutions de sembler veiller sur notre santé, les moyens pour y parvenir nous laissent songeur…
Il n’y a pas de doute sur la toxicité des NOx, émis en plus grande quantité par les anciens diesels, mais il ne faut pas oublier que, sous prétexte d’une moindre consommation de carburant, au tournant du siècle, l’essentiel du parc automobile essence a été sacrifié au profit des véhicules diesels… Passons. Quant aux fameuses particules fines, l’efficacité des filtres qui équipent les véhicules récents est largement controversée(1). Qui plus est, plus de la moitié des émissions provenant des systèmes de freinage et des pneus(2), que le véhicule roule à l’essence, au gaz ou à l’électricité, ses rejets sont essentiellement liés à son poids et à sa puissance.
Précisons que le poids moyen des véhicules ne cesse de croître (de 950 kg en 1990 à 1230 kg en 2022(3)), le record de l’obésité revenant aux véhicules hybrides avec un poids moyen au 1er janvier 2023 de 1825 kg(4) !
Si, au lieu de se cantonner aux NOx et particules fines, le législateur européen s’était intéressé au bilan carbone, le résultat serait encore plus édifiant : puisqu’un bilan carbone doit prendre en compte l’intégralité d’un cycle de vie d’un véhicule(5), depuis sa conception jusqu’à son recyclage, en passant par la campagne publicitaire pour le lancement du modèle, une conclusion s’impose : plus un véhicule parcourt de kilomètres, plus le bilan carbone au km parcouru baisse. Autrement dit, la vieille voiture que l’on répare fait nettement moins de mal à la planète qu’un véhicule neuf ! Non seulement elle est moins néfaste mais, alors que les casses ne savent plus quoi faire d’automobiles qui auraient pu parcourir encore de nombreux kilomètres, la « bagnole qui dure » alimente tout un réseau local de récupérateurs, fournisseurs de pièces détachées et mécanos toutes marques, mais aussi permet aux bricoleur.ses de se déplacer à peu de frais.
Au final, que ce soit par choix de vie ou par contrainte économique, frugalité et véritable écologie riment bien ensemble.

A qui profite le crime ?

Si l’intérêt écologique est contestable, l’intérêt des constructeurs automobiles est par contre lui incontestable. Après que l’Etat nous ait fortement incité à l’achat de « véhicules propres » par diverses primes (soit un cadeau indirect aux constructeurs), voilà qu’il passe à la vitesse supérieure, avec l’obligation légale pour les habitants des centres urbains de rouler comme des riches, ou bien de s’astreindre aux horaires des transports publics, rarement compatibles avec les horaires de travail, ou encore de s’exiler vers les périphéries. Voilà qui ne fait que s’ajouter à la cherté des loyers et contribue un peu plus à la gentrification(6) des centres-villes. On peut, sans paranoïa aucune, se demander si cet effet indirect n’arrangerait pas nos aménageurs et autres décideurs.

« Cachez ce que je ne saurais voir » ou l’écologie de la délocalisation

Dans les nouvelles métropoles en construction, comme celle de la Côte basque, on ne se contente pas de rejeter vers les périphéries proches les indésirables, travailleurs pauvres et pourtant nécessaires à son fonctionnement, SDF ou autres précaires vivants sobrement dans leur véhicule aménagé. Les fameux véhicules décrétés polluants sont priés d’aller cracher leurs fumées ailleurs. En l’occurrence, comme le dévoile un rapport des Nations unies, « entre 2015 et 2018, 14 millions de véhicules légers d’occasion ont été exportés dans le monde. Environ 80 % de ces exportations ont été effectuées vers des pays à faible et moyen revenu, dont plus de la moitié vers l’Afrique »(7)
Les conséquences du renouvellement du parc automobile au nom d’une écologie égocentrée se situent encore plus fortement en amont du processus industriel. Minerai de fer et charbon pour l’acier des carrosseries, pétrole pour les matières plastiques, caoutchouc et composites, métaux et terres rares pour l’électronique, le pompon revenant aux batteries des véhicules électriques : nickel, cobalt, lithium, des métaux rares extraits aux quatre coins de la planète et dont les conséquences environnementales de l’extraction, catastrophiques et irrémédiables, s’ajoutent aux conséquences humaines, déplacements forcés et conflits armés.
Ce n’est pas le projet d’une ouverture d’une mine de lithium en France dans l’Allier qui changera fondamentalement la donne. Car pour électrifier le parc automobile français, il faudrait mobiliser la totalité du lithium extrait aujourd’hui sur la planète(8). Macron l’a bien compris qui multiplie les déplacements pour négocier des contrats de fourniture, dernièrement au Kazakhstan, un Etat autoritaire satellite de la fédération de Russie et qui fournit déjà une grande partie de l’uranium consommé par les centrales nucléaires de l’Hexagone.
Cet extractivisme n’est pas près de stopper car, contrairement au mirage d’une économie circulaire qui justifie les dégâts humains et environnementaux au prétexte d’un réemploi à l’infini, d’une part les batteries des voitures électriques semblent irréparables(9), d’autre part le recyclage du lithium serait trop coûteux(10).
.
L’écologie sur mesure des riches

Si Tartempion, qui n’a pas les moyens de faire autrement qu’avec sa vieille bagnole, devra se soumettre ou partir, M. Duchmol quant à lui, pourra rouler librement dans son SUV imposant, son pick-up XXL, son hybride ou sa grosse électrique au bilan écologique et humain lamentable. Mais de plus, comme il en a les moyens et n’est pas gêné par son impact sur terre, il pourra continuer à prendre l’avion. Car, comme le législateur n’est pas à une contradiction près, la ZFE ne concerne pas le transport aérien(11), alors même que l’aéroport de Biarritz, champion de l’aviation dite « d’affaire »(12), est en plein cœur de la zone concernée !

Et la CAPB dans tout ça ?

Lors de la séance du 28 septembre dernier, l’exécutif a présenté son projet d’arrêté. Ce jour-là, quelques élus ont soulevé la question sociale(13). On ne peut qu’espérer que, d’ici l’adoption définitive, d’autres délégués sauront faire entendre la voix des habitants de l’agglo et d’ailleurs, en particulier des petit.es, ceux et celles qui sont les premier.es à subir la crise écologique et ses conséquences, tandis que les premiers responsables continuent impunément leurs ravages…

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Filtre_%C3%A0_particules

(2) https://reporterre.net/IMG/pdf/emissions_des_ve_hicules_routiers_hors_e_chappement_-_ademe_2022.pdf

(3) https://carlabelling.ademe.fr/chiffrescles/r/evolutionMasseMoyenne

(4) https://www.largus.fr/actualite-automobile/parc-auto-francais-le-poids-moyen-des-voitures- en-forte-augmentation-depuis-2012-30031337.html

(5) https://24pm.fr/antipollution/voiture/612-bilan-carbone-de-la-voiture-electrique-voiture-thermique

(6) La gentrification désigne les transformations de quartiers populaires dues à l’arrivée de catégories sociales plus favorisées qui réhabilitent certains logements et importent des modes de vie et de consommation différents (Source Wikipédia).

(7) https://www.unep.org/fr/actualites-et-recits/communique-de-presse/un-nouveau-rapport-des-nations-unies-detaille-les

(8) Source : Célia Izoard, La ruée minière au XXIe siècle Enquête sur les métaux à l’ère de la transition, Paris, Seuil, coll. Ecocène, 2024, 352 p.

(9) https://reporterre.net/Les-voitures-electriques-sont-concues-pour-etre-jetables

(10) https://www.frandroid.com/marques/tesla/1327915_a-quel-point-tesla-recycle-ses-batteries%E2%80%89

(11) https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ab4942

(12) Comparé à un voyage sur un avion de ligne, un déplacement par avion d’affaire, c’est-à-dire un jet privé, est six à treize fois plus polluant.

(13) Alain Duzert pour le Parti communiste et Mixel Esteban d’EELV.

Soutenez Enbata !

Indépendant, sans pub, en accès libre,
financé par ses lecteurs
Faites un don à Enbata.info
ou abonnez-vous au mensuel papier

Enbata.info est un webdomadaire d’actualité abertzale et progressiste, qui accompagne et complète la revue papier et mensuelle Enbata, plus axée sur la réflexion, le débat, l’approfondissement de certains sujets.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés par les dons de nos lectrices et lecteurs, et les abonnements au mensuel papier : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre.

« Les choses sans prix ont souvent une grande valeur » Mixel Berhocoirigoin
Cette aide est vitale. Grâce à votre soutien, nous continuerons à proposer les articles d'Enbata.Info en libre accès et gratuits, afin que des milliers de personnes puissent continuer à les lire chaque semaine, pour faire ainsi avancer la cause abertzale et l’ancrer dans une perspective résolument progressiste, ouverte et solidaire des autres peuples et territoires.

Chaque don a de l’importance, même si vous ne pouvez donner que quelques euros. Quel que soit son montant, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission.


Pour tout soutien de 50€/eusko ou plus, vous pourrez recevoir ou offrir un abonnement annuel d'Enbata à l'adresse postale indiquée. Milesker.

Si vous êtes imposable, votre don bénéficiera d’une déduction fiscale (un don de 50 euros / eusko ne vous en coûtera que 17).

Enbata sustengatu !

Independentea, publizitaterik gabekoa, sarbide irekia, bere irakurleek diruztatua
Enbata.Info-ri emaitza bat egin
edo harpidetu zaitezte hilabetekariari

Enbata.info aktualitate abertzale eta progresista aipatzen duen web astekaria da, hilabatero argitaratzen den paperezko Enbata-ren bertsioa segitzen eta osatzen duena, azken hau hausnarketara, eztabaidara eta zenbait gairen azterketa sakonera bideratuagoa delarik.

Garai gogorrak dira, eta badakigu denek ez dutela informazioa ordaintzeko ahalik. Baina irakurleen emaitzek eta paperezko hilabetekariaren harpidetzek finantzatzen gaituzte: ordaindu dezaketenen eskuzabaltasunaren menpe gaude.

«Preziorik gabeko gauzek, usu, balio handia dute» Mixel Berhocoirigoin
Laguntza hau ezinbestekoa zaigu. Zuen sustenguari esker, Enbata.Info artikuluak sarbide librean eta urririk eskaintzen segituko dugu, milaka lagunek astero irakurtzen segi dezaten, hola erronka abertzalea aitzinarazteko eta ikuspegi argiki aurrerakoi, ireki eta beste herri eta lurraldeekiko solidario batean ainguratuz.

Emaitza oro garrantzitsua da, nahiz eta euro/eusko guti batzuk eman. Zenbatekoa edozein heinekoa izanik ere, zure laguntza ezinbestekoa zaigu gure eginkizuna segitzeko.


50€/eusko edo gehiagoko edozein sustengurentzat, Enbataren urteko harpidetza lortzen edo eskaintzen ahalko duzu zehaztuko duzun posta helbidean. Milesker.

Zergapean bazira, zure emaitzak zerga beherapena ekarriko dizu (50 euro / eusko-ko emaitzak, 17 baizik ez zaizu gostako).