Le combat pour ramener en Guyane les dépouilles d’Amérindiens conservées au musée de l’Homme

Une délégation guyanaise organisait dans ce but à la mi-septembre à Paris, cérémonies rituelles et démarches auprès des autorités françaises. La loi-cadre qui permet la restitution des restes humains issus de la colonisation est réservée aux demandes émanant d’Etats étrangers. Or la Guyane… c’est la France !

Descendante d’une Amérindienne exhibée à la fin du XIXe siècle dans un « zoo humain » à Paris, Corinne Toka Devilliers, présidente de l’association Moliko Alet+Po, se bat pour le rapatriement en Guyane des dépouilles de six personnes conservées au musée de l’Homme. Les membres de l’association étaient le 16 septembre au Jardin d’Acclimatation, pour une cérémonie chamanique, à l’endroit même où leurs ancêtres ont été exhibés.
Au début de l’année 1892, 33 Amérindiens kali’nas et arawaks embarquent pour l’Europe depuis Paramaribo, capitale de la Guyane hollandaise, aujourd’hui Suriname : hommes, femmes, enfants, le plus âgé a 60 ans, le plus jeune, trois mois. Originaires de l’embouchure du Maroni, le fleuve qui sépare les deux territoires, ils ont été recrutés par l’explorateur français François Laveau, à la demande du directeur du Jardin d’Acclimatation de Paris, pour être exhibés devant les visiteurs. Depuis 1877, le site organise des « spectacles ethnologiques », prémisses des zoos humains. François Laveau a promis de l’argent et un retour aux 33 Amérindiens. « Ils n’ont jamais été payés, et huit d’entre eux n’ont jamais revu leur pays », indique Corinne Toka Devilliers. Elle est la descendante de Moliko, une adolescente qui, contrairement à d’autres compagnons d’infortune, a survécu au voyage et au séjour. « Mon grand-père me racontait souvent cette histoire, mais je n’y prêtais pas attention », poursuit-elle. Ce n’est qu’en 2018, en visionnant un documentaire sur les zoos humains, qu’elle entend de nouveau parler de son aïeule. Quatre ans plus tard, elle crée l’association Moliko Alet+Po, les descendants de Moliko en langue kali’na, pour obtenir reconnaissance et réparation des traitements subis par les Amérindiens.

Cérémonie chamanique

Sur les 33 personnes ayant fait le voyage en 1892, huit sont mortes avant de revenir. Arrivées à Paris en plein hiver européen, elles ont développé « des bronchites et plusieurs problèmes pulmonaires ». Les restes de six d’entre eux —un septième a été disséqué à des fins scientifiques, un huitième inhumé à Levallois-Perret— sont conservés au musée de l’Homme, à Paris. « Cela fait 132 ans qu’ils sont dans un carton », s’indigne Corinne Toka Devilliers. « S’ils avaient su, ils n’auraient jamais pris ce bateau ». Elle réclame le retour de ces dépouilles en Guyane afin que les morts soient traités selon les rituels traditionnels. « Nous sommes là (…), nous sommes venus vous chercher, et nous repartirons avec vous », annonce la présidente de l’association, s’adressant directement à ses ancêtres.
Si une loi-cadre a bien été votée fin 2023 pour permettre la restitution de restes humains en dérogeant au principe d’inaliénabilité des collections publiques, cette procédure est réservée aux demandes provenant d’États étrangers, et ne s’applique donc pas aux Outre-mer. « Les discussions sont en cours pour permettre de trouver le cadre juridique adéquat », explique-t-on au ministère de la Culture. Une situation que déplore Corinne Toka Devilliers. Elle a toutefois obtenu qu’une cérémonie chamanique ait lieu autour des restes, dans une salle du musée de l’Homme. Un chaman originaire de Maroni qu’elle accompagne avec une délégation, s’est rendu au Jardin d’Acclimatation où il a refait symboliquement le parcours suivi par les Amérindiens à leur arrivée en 1892.

Contrat fantôme

Avec l’association qu’elle préside, Corinne Toka Devilliers a mené un travail de sensibilisation et pu mettre un nom sur 27 des Amérindiens exhibés dans des zoos humains, six demeurant encore anonymes. Elle est désormais sur la trace du contrat passé entre François Laveau et le gouverneur de la Guyane hollandaise, espérant y trouver une liste nominative et les contreparties promises. « Peut-être n’était-ce qu’un contrat oral, ou bien le document a peut-être été déplacé aux Pays-Bas lors de l’indépendance du Suriname » en 1975, s’interroge Corinne Toka Devilliers. La restitution des restes des six personnes ne sera pas le point final du combat de la descendante de Moliko, qui souhaite davantage de travail mémoriel. Elle énumère : « Une plaque au Jardin d’Acclimatation, quelque chose à la gare Saint-Lazare, au port de Saint-Nazaire où ces hommes et ces femmes sont arrivés, des noms de rues ou d’établissements en Guyane… ».
A l’heure actuelle, deux statues ont été installées en août, dans la commune d’Iracoubo en Guyane. Elles ne commémorent pas le voyage de 1892, mais une précédente traversée, en 1882, au cours de laquelle un autre groupe, plus modeste, avait été amené en France pour y être exhibé. Outre le musée de l’Homme, l’association doit aussi se rendre à La Sorbonne, au ministère des Outre-mer et à l’Assemblée nationale.

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