Les élus semblent avoir entendu raison dans le dossier des barthes de Mouguerre, mais plutôt à contre-cœur et obligés par les arguments juridiques incontournables soulevés par les associations. À quand une vraie prise en compte des impératifs climatiques et écologiques ?
Le projet d’extension du Centre européen de fret (CEF) sur les barthes de Mouguerre ne se fera ni selon le timing ni avec la configuration annoncée. Le communiqué de presse est tombé le lundi 22 avril, annonçant que la CAPB recherchait activement un nouveau site pour Enovis (entreprise qui vend du matériel médical). Rappelons que le projet nécessitait de remblayer douze hectares de barthes, zones humides d’une très grande biodiversité, pour agrandir l’emplacement des opérateurs ferroviaires mais aussi pour déménager Enovis.
La raison l’a emporté
Lors des épisodes précédents, on s’étonnait que la CAPB n’ait pas respecté son propre vote promettant une concerta- tion sur l’opportunité du projet et que les décisions soient prises dans une grande opacité. On s’étonnait aussi qu’on puisse sacrifier des zones humides pour installer Enovis alors même que dix hectares de friches industrielles jouxtent le CEF. La raison l’a donc emporté, aidée par des considérations tout à fait juridiques puisqu’on a découvert que le projet avait omis de signaler que la zone humide dévolue à Enovis était classée prioritaire par le SAGE (Schéma d’aménagement et de gestion des eaux), ce qui rend sa destruction tout simplement impossible.
Un communiqué de presse brutal
Les élus ont donc corrigé le tir et pris la bonne décision : le permis d’aménager déjà signé doit être retiré. Un nouveau permis sera déposé, uniquement pour les opérateurs ferroviaires, avec la te- nue d’une enquête publique. Le délai annoncé pour cette nouvelle procédure est de 14 mois. Le projet repart donc de zéro, sur de meilleures bases. Cette sage décision n’est cependant pas présentée comme telle et le communiqué de presse de la CAPB, sans faire référence aux zones humides, fustige en des termes assez brutaux la lenteur et l’inertie de l’Etat pour justifier ce revirement de situation : “La multiplication des procédures, le manque de réactivité, la lenteur de réponse des services de l’Etat ont alerté notre institution sur le risque que cette inertie faisait peser sur le dossier“.
Ce courroux est surprenant. Le classement en zone humide prioritaire n’est pas du fait de l’Etat. C’est un processus issu d’une concertation locale entre élus locaux (dont la CAPB et la commune de Mugerre), services de l’Etat et professionnels regroupés au sein d’une “Commission Locale de l’Eau” (CLE). Cette concertation a abouti en 2022 à un arrêté préfectoral qui a gravé dans le marbre les règles définies par la CLE.
En l’occurrence, sur les cinq règles du SAGE, deux sont applicables au projet du CEF : la règle n°4 qui interdit la destruction des zones humides “prioritaires” (hormis quelques rares exceptions qui ne concernent pas Enovis) et la règle n°5 qui prévoit pour toutes les autres zones humides des mesures de compensation (il faut rendre humides des zones qui ne le seraient plus). Les services de l’Etat ne sont pas responsables de ces règles, ils en sont simplement les garants.
La concertation, enfin ?
Maintenant qu’il est clair qu’Enovis ne peut pas s’installer sur les barthes, il est aussi très clair que l’extension des opérateurs ferroviaires nécessite de mettre en place ces compensations, ce qui n’était pas du tout prévu dans le permis d’aménager initial. Le délai annoncé permettra de les définir. De plus, avec de la volonté politique, ce délai pourrait être utilisé pour mettre enfin en place la concertation promise sur l’opportunité du projet (délibération de la CAPB du 4 mars 2023) sans attendre l’enquête publique finale où tout est déjà ficelé. Les opérateurs pourront ainsi détailler leurs besoins réels. Il paraît utile de rappeler que leur extension est déjà possible sur des espaces déjà artificialisés du CEF : c’est la “phase 1” de leur projet qui n’est pas encore mise en œuvre. L’extension sur les barthes (“phase 2“) est condition- née au succès commercial de l’offre de fret déployée en phase 1. Il est donc plus que prudent d’attendre avant de sacrifier les zones humides. Les 14 mois annoncés ne seront pas de trop. Ils pourront également être mis à profit pour retravailler l’optimisation de consommation des espaces naturels. Le permis initial prévoyait que l’extension sur les barthes était nécessaire pour créer un parking pour 180 camions. On peut imaginer d’autres solutions. Même le ferroviaire se doit d’être vertueux et réfléchir en termes de sobriété foncière, surtout quand il s’agit de détruire des barthes. Nous connaîtrons donc d’autres épisodes. A suivre.