Les évènements de Catalogne suscitent une véritable incompréhension dans l’Etat français au sein des sensibilités démocratiques et progressistes. Loin de dénigrer cette incompréhension, les abertzale doivent au contraire faire preuve de pédagogie auprès de ce large pan de l’opinion publique française. En insistant, notamment sur la dégénérescence démocratique de l’Etat espagnol à laquelle est confronté le droit à l’autodétermination.
Le premier exercice de pédagogie à l’égard des sensibilités démocratiques et progressistes françaises consiste à inviter à observer les faits tels qu’ils se déroulent sous nos yeux. Au préalable, cette observation nécessite d’abord de préciser un élément important : le droit à l’autodétermination n’est pas l’indépendance.
Les indépendantistes catalans sont majoritaires au parlement, mais ne disposent pas d’une majorité au niveau du vote des électeurs. Cependant, le fait de demander à la population de se déterminer démocratiquement sur l’indépendance de la Catalogne bénéficie d’un soutien majoritaire auprès de la population, car une large partie de Podemos en Catalogne (En Comú Podem) a soutenu le référendum du 1er octobre. Ainsi, la mairesse de Barcelone, Ada Colau a participé à ce référendum tout en votant non à l’indépendance. Ceci étant, le gouvernement espagnol a contrecarré l’exercice d’un droit démocratique acté par tous les textes internationaux (dont le Pacte de droits civils et politiques de l’ONU de 1966) en mettant en oeuvre une mesure d’exception (l’article 155 de la constitution) qui lui a permis de suspendre l’autonomie en Catalogne, et en incarcérant des responsables politiques. Le constat objectif qui s’impose est que la réponse du gouvernement PP à l’exercice d’un droit démocratique passe par une dégénérescence de la démocratie dans l’Etat espagnol.
Vague de procédures judiciaires
Voilà la réalité des faits. Et cela continue, puisque ces jours-ci on assiste à l’ouverture d’une nouvelle vague de procédures judiciaires à l’encontre de responsables politiques, et d’une offensive visant à remettre en cause le système d’enseignement immersif en catalan. Une fois les faits observés, il est nécessaire de les interpréter. Mais là, le plus intéressant n’est pas de les analyser au prisme de notre propre grille de lecture, mais en essayant de comprendre selon quel “logiciel” agissent les acteurs.
Pour ce qui est de la logique de l’Etat espagnol, deux articles d’opinons publiés dans les principaux quotidiens me semblent significatifs de “l’air du temps” en Espagne, ce que le philosophe allemand Martin Heidegger (ayant été par ailleurs adhérant du parti nazi) appelait le “Zeitgeist”.
Ces jours-ci on assiste à l’ouverture
d’une nouvelle vague de procédures judiciaires
à l’encontre de responsables politiques,
et d’une offensive visant à remettre en cause
le système d’enseignement immersif en catalan.
Ainsi, dans El País (‘Els de casa’ frente a ‘els de fora’, édition du 15.02.2018), le sociologue diplômé d’Harvard José Luis Álvarez explique qu’il convient de remettre en cause le système d’enseignement immersif en catalan pour gagner la bataille d’un conflit qui “n’est pas qu’un conflit politique, mais est essentiellement anthropologique”.
On trouve la confirmation de cette vision d’un conflit également sous la plume du directeur d’El Mundo, Francisco Rosell. Il se réfère quant à lui à une “nouvelle guerre” de nature politique qui inverse la logique de K. Von Clausewitz en positionnant la politique comme la continuation de la guerre par d’autres moyens (voir : …Y el PNV se cuelga el lazo amarillo, édition du 11.02.2018). Il est intéressant de remarquer que Francisco Rosell construit son raisonnement en évoquant les guerres carlistes du XIXe siècle. Selon lui, la “guerre” actuelle est caractérisée par la résurgence d’un “néo-carlisme” ; les abertzale basques et catalans cherchant à reprendre leur revanche au travers d’une “quatrième guerre carliste”.
J’aurais envie de répondre à Francisco Rosell par le proverbe basque “zozoak beleari ipurbeltz” : on accuse souvent les autres des modes de fonctionnement qui guident nos propres actions. Et personnellement, j’ai tendance à penser que la droite espagnole inscrit son action dans une forme d’“inconscient collectif” tel que l’avait défini le psychiatre Carl Gustav Jung.
Sans aller jusqu’à chercher dans la préhistoire un caractère “anthropologique” auquel fait référence José Luis Álvarez, on trouve effectivement au XIXe siècle la trace d’un trauma collectif qui imprègne le nationalisme espagnol.
J’en ai eu récemment la confirmation au travers d’un article d’un historien phalangiste —Pedro Laín Entralgo— intitulé : La generación del 98 y el problema de España (on le trouve en ligne sur le site : cervantesvirtual.com). “La generación del 98” en Espagne c’est la génération des intellectuels qui ont vécu comme un drame l’indépendance de Cuba et la chute de l’empire colonial espagnol en 1898.
Voilà donc le message que l’on doit adresser aux démocrates français sincères qui observent avec incompréhension ce qui se passe en Catalogne : ouvrez les yeux ! Et vous constaterez que le “Zeitgeist” aujourd’hui dominant en Espagne consiste à affirmer qu’on ne peut répondre à une revendication démocratique telle que celle du droit à l’autodétermination que par le biais de mesures d’exception, d’une restriction de la liberté d’expression, etc., c’est-à-dire qu’en assumant une dégénérescence démocratique de l’Etat espagnol. Et en analysant un peu les ressorts de ce discours hégémonique, vous vous rendrez compte qu’il a des relents franquistes et fascistes.
*L’esprit ou l’air du temps.