L’Ecosse a gagné, la démocratie aussi… Même si le résultat est trompeur ! Les indépendantistes ont perdu, mais leur cause, défendue démocratiquement, a fait un pas de géant. David Cameron a dû concéder une dévolution accrue des pouvoirs, notamment par la gestion de la fiscalité, qui rend possible une transition pacifique. Désormais l’Ecosse, mais aussi le Pays de Galles et l’Irlande du Nord, peuvent prendre leurs affaires en main, de manière irréversible, par rapport à un Royaume-Uni qui les soumettait au bon vouloir de l’Angleterre. C’est une leçon pour les peuples d’Europe et d’ailleurs, qui aspirent à l’émancipation. Là où les attentats et la lutte armée dans une société démocratique ont échoué totalement dans leurs objectifs, le référendum citoyen a éveillé à la conscience sociale et démocratique tout un peuple, qu’il se soit prononcé pour le “oui” ou pour le “non” à l’indépendance.
Même phénomène dans le monde entier
Cette leçon ne sera oubliée ni en Ecosse, ni en Catalogne, ni au Pays Basque. Les commentateurs ont souvent confondu les différentes situations nationales. La “Padanie”, construction mythique de la Ligue du Nord en Italie ou la Flandre et la Wallonie, n’ont que peu de ressemblances avec la situation prévalant en Ecosse ou en Espagne.
Je refuse de mettre dans le même sac des peuples dont l’histoire, la culture, la langue, les poussent à revendiquer une autodétermination correspondant à leur histoire en même temps qu’à leur intérêt, dans le cadre de l’Union européenne, et des séparatismes qui prospèrent au nom du seul profit financier.
Je sais bien que la crise accélère le processus d’affaiblissement des Etats-nations mais, dans le monde d’aujourd’hui, les frontières de ces anciens Etats sont en train de voler en éclats. Nous assistons au même phénomène dans le monde entier : le réveil des peuples s’accomplit sur fond de montée de crise identitaire.
La pire ou la meilleure des choses
A contrario, lorsqu’il est préparé et assumé collectivement par l’Etat-nation et le territoire qui veut s’en dégager, le risque pris bénéficie à chacun. Ainsi de la séparation entre Tchéquie et Slovaquie, voulue par cette dernière pourtant la plus pauvre, qui n’a pas entravé l’intégration des deux nations à l’Union européenne. Le nationalisme peut être la pire ou la meilleure des choses. Quand il signifie le repli sur soi, comme l’ont montré les dernières élections européennes, cette régression engendre le malheur. Mais dans le cas de l’Ecosse, c’est la classe ouvrière et la jeunesse qui, voyant leur modèle social et environnemental menacé par Londres, ont montré que leur nationalisme avait comme sens profond l’ouverture au monde.
La possible sortie de l’Europe, avec le référendum voulu par les conservateurs et l’UKIP, était considérée comme un danger immédiat par une partie des Ecossais largement plus européens que leurs compatriotes anglais. Les immigrés, qui bénéficient du droit de vote contrairement à la France, ne s’y sont pas trompés. Ils ont voté en masse pour le “oui”.
Réforme territoriale : l’occasion manquée
Ce référendum sur l’Ecosse nous aura permis d’assister à la montée d’un vaste mouvement populaire, capable d’installer au coeur du débat un projet de société rompant avec l’austérité et le néolibéralisme. Bien sûr, la perspective de toucher les dividendes de l’exploitation pétrolière, a puissamment contribué à cette prise de conscience, mais l’Ecosse, patrie de William Wallace (le héros de Braveheart, mis en scène par Mel Gibson) a toujours été une terre de résistance, ancrée dans sa tradition, sa culture, sa langue et son histoire. En France, cet Etat jacobin où la Corse, la Bretagne, le Pays Basque, la Savoie, aspirent à une autonomie démocratique qui rompe avec la rigidité de l’Etat-nation, la leçon écossaise sera étudiée avec attention. La réforme territoriale aurait pu être l’occasion d’un projet de fédéralisme différencié, si elle n’avait pas été négociée sur un coin de table entre les hiérarques du PS.
Tout à leur mécano politicien, ces derniers ont voulu préserver des avantages acquis, sans concertation. La Loire-Atlantique est ainsi toujours coupée de ses racines bretonnes, tandis que le Pays Basque, la Catalogne Nord ou la Savoie, n’ont pas un minimum de respiration démocratique dans les grands ensembles concoctés à Paris. Au lieu de donner forme à une nouvelle France, issue de la volonté des régions telles qu’elles sont, le centralisme monarcho-jacobin a continué à prévaloir sous l’égide de la promotion Voltaire.
Un débat qui ne fait que commencer
Les écologistes se sont toujours prononcés pour une Europe des régions, forte et dynamique. Ils ne peuvent que se réjouir de la dynamique régionaliste actuelle, qui réorganise l’Europe autour d’identités nationales revivifiées, autour de nationalismes démocratiques qui ne voient pas leur avenir dans la sortie de l’Union européenne ou de l’Euro, mais dans une construction nouvelle s’intégrant à l’Union. Le débat en Ecosse n’est pas clos par le “non”. Au contraire. Il ne fait que commencer. Il rebondira bientôt, avec le référendum catalan. La lutte contre le déficit démocratique en Europe et le souverainisme d’extrême droite, passe –et c’est tout le paradoxe de la situation européenne– par la case du souverainisme démocratique des peuples. Comme le mécano institutionnel européen est en panne depuis le Traité de 2005, les peuples cherchent les moyens de reprendre la parole et le pouvoir face aux Etats et aux lobbies qui les entravent. Bonne nouvelle.