Abandonner le projet de lignes LGV entre Bayonne et la frontière espagnole ne relève plus du seul vœu pieu de ses opposants ou d’un scénario de politique-fiction inenvisageable par ses adeptes, le déplacement de François Fillon lundi après-midi sur le chantier de la LGV Rhin-Rhône ayant largement apporté la confirmation que l’Etat se “hâte lentement” sur le dossier.
Assistant à la pose du dernier rail du premier tronçon (140 km) de la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône, le Premier ministre a manié le verbe haut et le bâton pour expliquer, d’une part, que “l’Etat est déterminé à faire avancer les projets”, mais, d’autre part, que la SNCF et l’opérateur RFF doivent remplir leur devoir de service public, face notamment à la dégradation des voies existantes, en particulier celle du réseau TER.
“Que ce soit pour les TGV, pour les TER, pour les plans d’équilibre du territoire ou pour le Transilien, je demande à la SNCF et à RFF (Réseau ferré de France) de mobiliser, de concert, leurs efforts pour y répondre”, a souligné François Fillon, sous les yeux du président de la SNCF Guillaume Pepy et de celui de RFF, Hubert Du Mesnil, qui n’ont jamais eu ni la culture ni l’éducation nécessaires pour l’interrompre.
Car ni les uns ni les autres n’ont plus les finances de leurs désirs et les abonnés des lignes Pau-Bayonne ou Dax-Bayonne constatent jour après jour que RFF, chargé de veiller à l’entretien des voies existantes, ne met plus la main à la poche pour honorer ses engagements publics.
Dans ce contexte, un petit tronçon envisagé de 50 km de LGV entre Dijon et Mulhouse (pour une facture d’un milliard d’euros à ré-évaluer) ressemble à s’y méprendre au petit frère du tronçon basque Bayonne-Biriatou (long d’une trentaine de kilomètres).
“Le principe est arrêté, il nous reste à trouver le mode de financement”, a tenté Thierry Mariani, secrétaire d’État chargé des transports, présent aux côtés de François Fillon.
Sur le terrain, c’est moins clair, vu que, avec une vitesse réduite à 220 km/h par endroits, ce n’est plus tout à fait une LGV. Et ensuite parce que les gains en trafic voyageurs qu’elle apporterait, chacun l’a découvert, frisent l’insignifiant.
Ses opposants croient déjà le savoir: une partie du tracé de la LGV Rhin-Rhône, ce tronçon Est de 50 km mais également sa branche Sud, se-raient “abandonnés” au profit des voies existantes.
François Fillon l’a nié, mais sans apporter aucune garantie aux élus qui buvaient ses paroles (fin des études, calendrier précis de réalisation et surtout, financement).
“Dès cette année, d’importantes étapes seront franchies”, a-t-il tout de même enchaîné.
Face à lui, Guillaume Pepy, le président de la SNCF, a pu en douter en toute discrétion, lui qui, en juillet dernier dans la Vie du Rail, estimait “qu’il vaut mieux une ligne à grande vitesse en moins et avoir un bon renouvellement du réseau existant”.
En lutte depuis près de 20 ans contre une nouvelle liaison ferroviaire Bayonne-Hendaye, au-tant surestimée dans ses prévisions de trafic que sous-estimée dans son coût, le Pays Basque Nord reste à l’écoute de cette actualité en particulier, quand les arguments sur l’inutilité de la dépense et l’avantage lié à l’amélioration des voies existantes gagnent sans cesse du terrain sans être hués, de réunions publiques en spectaculaires manifestations.
Un gain de 4 minutes entre Bordeaux et Bayonne pour chaque train s’arrêtant dans la cité labourdine: l’argument n’est plus contesté au-jourd’hui et le préfet des Pyrénées-Atlantiques n’est pas le seul à être invité à Paris dans les jours qui viennent pour faire autant le point sur la contestation spectaculaire dans la rue que sur le blocage des élus au moment de passer à la caisse.
En effet, la communauté de communes Sud Pays Basque, dont la participation est fixée à 32 millions d’euros, reste politiquement arc-boutée à l’ouverture d’un véritable dialogue sur le tronçon en Pays Basque Nord, et ne craindra pas le conflit ouvert face à l’Etat ou le Président de région si perdure ce sentiment d’être pris “pour des jambons”.
Les prochaines cantonales pourraient également durcir la donne, quand le Conseil général des Pyrénées-Atlantiques, après avoir versé, dès 2009, 53 millions d’euros par “réciprocité” pour la ligne Tours-Bordeaux, se voit de nouveau sollicité par RFF, qui juge cet apport initial désormais “insuffisant”.
Un point central de la discussion, quand, hier, le Premier ministre l’a répété: l’argent public fait défaut, mais l’État “ne palliera pas” aux déficits de crédits futurs si les collectivités ne font pas l’effort nécessaire.
Dès lors, sortir la menace de “priorités entre les projets concurrents au plan national” n’aura apporté aucune réponse satisfaisante.
Tous les élus ne se bousculent plus au portillon de la LGV, depuis que le Président de la SNCF l’a admis officiellement: la rentabilité du TGV a déjà été divisée par deux, et fin 2011, les prévisions tablent sur un déficit d’un tiers des lignes, dont Paris-Bordeaux.
Le système ferroviaire français
“malade de sa grande vitesse”
Largement affaibli par son syndrome TGV, qui lui fait accepter la dégradation du réseau se-condaire du fait de l’excès d’attention accordé à la grande vitesse, l’Etat, appelé à co-financer le réseau existant mais également les nouveaux projets pour 25%, s’appuie avec difficulté sur deux canards boiteux, en l’occurrence la SNCF, dont la dette atteint déjà 9,5 milliards d’euros, et Réseau Ferré de France, qui accumule 28 milliards de dettes fin 2010.
Et la rénovation du réseau ferroviaire existant a été chiffré: 40 milliards d’euros manquent officiellement à l’Etat pour y faire face, quand l’entretien des seuls rails existants coûte 6 milliards par an.
A l’heure où le service public de transport ferroviaire vit une crise majeure, affrontant jour après jour la colère des usagers des réseaux dits secondaires, le montage financier permettant la réalisation d’un projet européen que l’Europe ne veut plus financer davantage, n’apparaît pas plus une “bonne solution”, à savoir ce bon vieux PPP (Partenariat Public Privé) totalement déséquilibré au profit des groupes du privé.
Ainsi, l’Etat et les collectivités locales qui financent les 46% de l’ouvrage ne percevront aucun péage pendant au moins 50 ans, pas plus que RFF en tant qu’actionnaire et puissance concédante.
Plus grave encore: les engagements de l’Etat et de RFF en particulier sur la desserte “négociée” de certaines “villes LGV” n’engageront pas Vinci, a fait savoir l’opérateur choisi pour le tracé LGV entre Tours et Bordeaux.
Ce premier tronçon atlantique, dont les travaux doivent démarrer en 2011, sur-détermine totalement le reste du tracé, jusqu’au Pays Basque Sud.
Ce dimanche, la Présidente de Poitou-Charentes a renouvelé son opposition à apporter les 106 millions d’euros sollicités (tout comme la Région Centre).
Intérêt marginal pour les territoires traversés, pertinence socio-économique encore à démontrer et nombreux inconvénients en termes environnementaux: Ségolène Royal se rajoute à ceux qui demandent que soient étudiées les autres possibilités “comme le prévoyait la loi Grenelle de 2009”, a-t-elle martelé.
Ramuntxo Garbisu,
eitb.com, 1er février 2011