VOICI un aperçu de la gigantesque bataille politico-juridique qui agite l’Etat
espagnol autour de l’Estatut.
● Novembre 2003: lors d’un grand meeting électoral au Palau San Jordi de Barcelone, José Luis Rodriguez Zapatero encore dans l’opposition,
s’engage à mettre en oeuvre le futur Statut d’autonomie tel qu’il sera approuvé par la future majorité de gauche au Parlament catalan. Le PSOE gagne les élections locales, puis conquiert le pouvoir en Espagne le 11 mars 2004.
● 30 septembre 2005: le Parlament catalan approuve par 120 voix pour et 15 contre (PP) lenouveau statut d’autonomie.
●6 janvier 2006: le jour de la «Pascua militar», fête officielle de l’armée espagnole, le général de corps d’armée José Mena, commandant en chef des forces terrestres espagnoles, demande qu’au nom de l’intégrité du territoire national, le statut catalan soit largement revu à la baisse. Le terme de «nation» doit être écarté, comme l’obligation de con-naître la langue catalane et l’indépendance des futurs tribunaux de la Communauté autonome. Le «problème militaire» est d’une telle acuité dans l’histoire récente
de l’Espagne… que le général Mena est immédiatement destitué.
●21 janvier 2006: José Luis Rodriguez Zapatero négocie en secret avec Artur Mas leader de CiU –que les socialistes viennent d’évincer du pouvoir en Catalogne avec l’appui de l’ERC et des Verts– une version largement édulcorée
du statut qui sera approuvée par les Cortés le 30 mars 2006. Le terme de nation ne figure plus dans l’article 1er mais dans le préambule, la collecte de l’impôt par la Catalogue est limitée à 50 %. Passent à la trappe les sélections
sportives propres, le transfert de compétence sur les ports et les aéroports, l’instauration de la Catalogne en tant que circonscription électorale
autonome de l’Espagne pour les élections européennes. «Une castration physique» dira l’ancien président de la Generalitat, Jordi Pujol. L’ERC vote contre cette version du statut.
● 25 avril 2006: Le PP présente en vain aux Cortés une pétition de quatre millions de signatures pour obtenir un référendum de l’ensemble de l’Espagne sur le statut catalan.
● 11 mai 2006: Le gouvernement catalan traverse une crise grave, le président Pasqual Maragall destitue tous les ministres de l’ERC et provoque des élections anticipées. Lui même quittera le pouvoir.
● 18 juin 2006: le statut d’autonomie est approuvé par référendum, 74% des électeurs votent oui, mais la participation n’est que de 49,4%.
● 1er août 2006: le PP présente un recours contre le statut auprès du Tribunal constitutionnel (TC). Ce parti conteste l’utilisation du terme de nation pour désigner la Catalogne et le traitement de la langue catalane. En septembre,
l’ultra-espagnoliste socialiste, Enrique Mugica Herzog, médiateur de l’Etat, lui emboîte lepas. En octobre et novembre 2006, les communautés autonomes de Murcie, Aragon, Baléares, Valenciens et la Rioja font de même.
● 2 novembre 2006: Le PP récuse la présidente du Tribunal constitutionnel car son mari a réalisé un rapport pour le gouvernement catalan qui a servi de base à la rédaction du nouveau statut.
● Janvier 2007: Le PP récuse un autre juge du Tribunal constitutionnel (TC) car il a rédigé un rapport préalable sur la compatibilité du nouveau statut avec la Constitution espagnole. La Generalitat (gouvernement catalan) présente un recours pour s’opposer à cette récusation et récuse à son tour un autre
magistrat.
● 19 octobre 2007: le gouvernement espagnol récuse deux magistrats du TC car ils ont désapprouvé la réforme qui prolongeait le mandat de la présidente du Tribunal constitutionnel.
● 18 mai 2008: un magistrat du TC meurt et la récusation effective d’un second font que désormais les magistrats conservateurs et progressistes sont à égalité au sein de la haute cour.
● Juin 2008: Le Tribunal constitutionnel (TC) ne parvient pas à élaborer un avis cohérent recueillant une majorité suffisante sur la loicadre catalane. Sa présidente explique son retard par les procédures de récusation et les nombreux recours sur d’autres lois, en particulier celles présentées contre le «Plan Ibarretxe».
● De 2006 à 2008, le parti républicain indépendantiste ERC est agité par de grosses tensions internes, sa base vit mal l’expérience de gestion gouvernementale pratiquée par ses leaders aux côtés des socialistes. Cadres et militants quittent le parti, ils génèreront une nébuleuse qui mettra en oeuvre la démarche des référendums sur l’indépendance.
● 13 septembre 2009: la cité d’Arenys de Munt donne le coup d’envoi de la série de référendums non officiels sur l’indépendance de la Catalogne. Ils se succèderont le 13 décembre, puis en février et avril 2010, et durant toute l’année jusqu’au vote de la capitale Barcelone en 2011. Les résultats obtenus
ont déjà un effet considérable sur les positions de la plupart des grands partis catalans, sceptiques au départ.
● 26 novembre 2009: excédés par le blocage qui perdure, douze quotidiens catalans publient un retentissant éditorial commun intitulé «La dignité de la Catalogne». Le mauvais fonctionnement du TC frise alors la caricature. Seuls six magistrats siègent conformément à la loi, du fait des procédures de récusation ou de la fin légale de leurs mandats. Les autres siègent par le biais
d’une prorogation artificielle de leurs mandats, le PP et le PSOE étant incapables de se mettre d’accord pour désigner leurs remplaçants.
● Le 16 avril 2010: le TC examine le cinquième projet de décision. Il n’obtient pas la majorité légale des trois cinquième et il est rejeté après trois jours de délibérations. Le vice-président du TC est désigné pour rédiger un sixième projet de décision. Quinze jours plus tard, il élabore trois textes à la carte, en plaçant le curseur de l’inconstitutionnalité plus ou moins haut. Curieuse façon
de dire le droit.
● Le 26 avril 2010: le président socialiste de la Generalitat José Montilla et le leader de CiU Artur Mas scellent un accord pour exiger que le TC se déclare incompétent sur le statut et pour que l’Etat engage une réforme du fonctionnement de la haute cour. Il est approuvé deux jours plus tard par le parlement catalan.