Enbata: On vous a souvent entendu dire que le décalage entre la réalité du monde d’aujourd’hui et le fonctionnement de l’église de Rome va s’accentuant. N’en a-t-il pas toujours été ainsi?
Mikel Duvert: Aucune tradition, aucune routine ne subsiste. Nos cadres de vie ne cessent de se déstabiliser. Pétris d’incertitude et de cynisme, ils dérivent. Le temps présent est un défilé de distractions suscitant envies, gavage ou frustration. Tout y est relativisé, dévoré puis désenchanté. Etonnons-nous que le sacré, lui qui se nourrit d’enracinement, de relation construite et fidèle, dérive dans ce chaos chatoyant, où dérisoire et mièvrerie côtoient le sublime: bric-à-brac de l’édition, bourdonnement médiatique, télévision et internet, virtuel…
Repliée dans ses opulents palais, l’institution romaine donne l’image d’un conservatisme pétrifié, devenu opaque. Incomprise, les hy-pocrites ricanent; ils la tournent en dérision. Enveloppée de lourds silences, gangrenée par l’Opus dei, les Légionnaires du Christ, les négationnistes, et autres intégristes peu fréquentables, elle perd tout crédit. Elle donne l’impression de s’accrocher désespérément à un pouvoir qui n’est que de convenance. Que dire de ses dociles évêques qu’elle nous impose… Ils s’alignent, ou la précèdent; le Pays Basque est devenu l’un de ses théâtres!
Enb.: Si le sévère constat de divorce que vous faites est avéré, qui donc peut être encore attiré par cette vieille institution?
M. D.: Autoproclamé intermédiaire entre le divin et nous, depuis le début du IIIe siècle, un clergé a fait de nous des «laïques», alors que pour notre frère le Christ nous sommes tous les sarments du même cep, tous nourris d’une même sève. Las! Cette condition nous l’avons faite nôtre. M. l’abbé Pagola, qui fut vicaire général de Donostia, confessait que «pendant des siècles nous avons formé les fidèles à la soumission et à l’obéissance […] le moment est venu de réagir […] l’Eglise ne peut continuer à creuser l’écart entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent». Les temps qui s’annoncent se-ront durs pour une institution qui rêve d’aligner nos vies à coup d’interdits, qui plus est, semés autoritairement dans des cœurs nourris de dérisoires images de catéchisme d’enfant!
Comment témoigner du Christ dans notre temps? Quelle Eglise pouvons-nous devenir La pensée prophétique du pasteur D. Bonhoeffer que les nazis pendront en avril 1945 peut nous aider à répondre à ces interrogations.
Enb.: Quelle est donc l’approche de «Dieu» que le pasteur Bonhoeffer a théorisée?
M. D.: Que le monde n’est pas une production quelconque qui sort de rien et divague n’importe comment. Son créateur s’y laisse entendre bien qu’il n’y soit pas physiquement dedans: ne reconnaît-on pas le peintre par sa peinture, et ainsi pour tout créateur en quelque domaine que ce soit? Il en va de même pour cette présence que l’on nomme «Dieu».
R. Guardini disait que le Christ n’était pas ressuscité dans le monde, ce qui serait de la magie, mais que le monde était bel et bien le lieu où le Christ ressuscite. Avec la poésie intense régnant dans «Le milieu divin, essai de vie intérieure», Teilhard de Chardin ira bien plus loin! Dieu est… «naturellement».
Bonhoeffer nous indique ce que Dieu ne saurait être. Il met en garde contre deux pièges classiques:
Premièrement, Dieu ne doit pas être un «bouche-trou», comme s’il était aux limites de ce que nous pouvons saisir (il serait alors une simple limite du monde). Lorsque l’on ne comprend plus ce que l’on observe: «il me semble préférable de se taire et de laisser irrésolu ce qui est sans solution».
Secundo, la religion ne saurait être une morale, ou une forme de piété. Sinon ce serait une mainmise du moment sur Dieu et un échec assuré! En revanche, Dieu doit être reconnu au cœur du vécu, «au centre de notre vie […] tout en étant au-delà […] ce ne sont pas les tâches infinies et inaccessibles qui sont la transcendance, mais le prochain qui est placé sur notre chemin».
Enb.: Si l’on accepte ces deux postulats, que pourrait, selon vous, être une vie «en Eglise»?
M. D.: Alors que, paroissiens nous vivons l’Eglise comme «corps du Christ» (une forme de sacrement), pour lui elle est d’abord une Parole qui doit s’affranchir des dog-mes. En prise directe sur notre temps, elle se doit de témoigner dans le partage. Comme le Christ: «L’Eglise n’est l’Eglise que lorsqu’elle existe pour les autres».
Il est éloigné de l’institution qui célèbre un Dieu indicible, approché par des dogmes dont beaucoup appartiennent à l’histoire. Prenons le Credo. En parlant du Christ, il est dit qu’il est «engendré non pas créé, de même nature que le Père». Notre époque n’a-t-elle rien d’autre à proposer sur ce mystère, que de répéter des con-cepts (qui furent des polémiques, voire de peu glorieux «coups tordus»), habillés de mots qui furent de véritables enjeux… il y a 16 siècles! Pour nous, que valent ces repères? Qui en comprend la portée? De même, qui admet réellement qu’au cœur de ces débats, Marie soit qualifiée de «mère de Dieu»? Dieu a donc une «mère»? Etc.
Ce vieux théâtre théologique est devenu inaudible.