Bildu, coalition regroupant Eusko Alkartasuna, Alternatiba et des indépendants proches de la gau-che abertzale traditionnelle, fait une entrée en fanfare dans la vie politique basque: plus de 313.000 voix, 1.138 élus, en tête dans 103 des 250 municipalités des quatre provinces et quasiment sûre de diriger 88 mairies. Elle occupe une position hégémonique en Gipuzkoa et fait quasiment jeu égal avec le PNV dans la Communauté autonome.
Ses élus ont tous été contraints par la justice espagnole de signer un document qui condamne la violence d’ETA. Bildu rassemble dès sa création le total des voix d’EA de 2007 et des voix de la gauche abertzale à l’époque de ses plus hauts scores de la fin des années 90. Certes, ce type de scrutin à la proportionnelle avec un calcul du plus fort reste, favorise les coalitions et lamine les petites formations. Mais l’exploit de Bildu est d’autant plus remarquable qu’EA comme Alternatiba, venaient de subir chacun une scission et personne ne pouvait augurer quelle allait en être la traduction électorale. Hamaika bat, issu d’EA et qui avait des élus essentiellement en Gipuzkoa, disparaît de la carte politique. La plupart des candidats «indépendants» proches de la gauche abertzale, étaient des inconnus dans une campagne électorale bien courte où l’appareil de Batasuna était inexistant. En contraignant la gauche abertzale à se fondre d’entrée de jeu dans une coalition, les juges espagnols lui ont rendu service, ils lui ont fait gagner du temps, après lui avoir fait perdre des années en la muselant. Il n’est pas sûr que Sortu et EA-Alternatiba chacun de son côté aient pu réaliser des scores équivalents. On peut donc supposer que Bildu a encore un potentiel non négligeable devant lui.
Le Gipuzkoa fief de Bildu
Bildu représente près de 35% des voix en Gipuzkoa, hier fief d’EA comme de Batasuna, et un quart des voix dans la capitale de la province. La coalition arrive en tête dans 56 de ses 88 municipalités et obtient la majorité absolue dans 44 d’entre elles. Le PNV ne conserve la majorité que dans cinq villes, sur seize précédemment et perd des cités importantes qu’il a longtemps dirigées: Tolosa, Azkoitia, Azpeitia, Beasain, Onati (depuis 32 ans) et Ordizia. A noter que le vote nul qui s’élevait il y a quatre ans dans la province à 3.203 bulletins, passe aujourd’hui à 87. Il correspondait à une partie des électeurs de Batasuna privés de candidats.
C’est évidemment du côté de la diputación du Gipuzkoa et de Donostia la capitale que se focalise l’attention. Bildu peut-il gouverner seul la province avec ses 22 élus? Le PNV va-t-il accepter de lui apporter son soutien, sans participer à la diputación, comme le pratique le PP avec le PSOE au gouvernement autonome basque? En échange de quels soutiens ailleurs et de quelles concessions programmatiques? En principe, Bildu s’oppose à tous les grands projets structurels du Gipuzkoa: construction du TGV, du nouveau port de Pasajes, d’un grand incinérateur de déchets dans la zone la plus urbanisée, système de transports intermodaux. Grande est l’inquiétude des milieux économiques qui réclament une attitude «responsable» et la stabilité des institutions. Bildu est donc au pied du mur et doit faire ses preu-ves, sans décevoir quant à sa capacité de gestion. L’attitude du PNV pourrait être de laisser Bildu se confronter seul à la réalité de l’exercice du pouvoir, en évitant par ses votes que les projets déjà lancés ou dans les cartons ne soient paralysés. Mais il peut aussi lui tendre un piège: présenter son candidat Markel Olano et laisser le front «anti-Bildu» s’exprimer…
Le maire socialiste de Saint Sébastien Odon Elorza annonce qu’il ne sera pas candidat après le camouflet qu’il vient de subir: de 38,62% et 11 élus en 2007, il chute lourdement à 22,64 % et 7 élus, derrière Bildu qui arrive en tête avec 24,57% et 8 élus. Les deux autres formations suivent de près, ce qui rend Donostia difficilement gouvernable. Le bilan d’Odon Elorza était plutôt flatteur et ses prises de position sur le plan basque ont toujours été d’une grande ouverture, en contradiction avec celle de son propre parti. Mais il paie l’échec électoral que subit José Luis Rodriguez Zapatero et tout le PSOE à travers l’ensemble de l’Espagne. Par son retrait personnel, le maire sortant veut-il ainsi ouvrir la porte à une majorité excluant Bildu et qui regroupe le PNV, le PSOE avec un soutien sans participation du PP? Il est fortement soutenu dans ce type de démarche par le PP qui appelle de ses voeux un front national espagnol «anti-Bildu» sur l’ensemble du Pays Basque. De son côté, la coalition Bildu s’y oppose en annonçant qu’elle offre ses voix au PNV pour qu’il conserve la députation d’Alava. Nous y verrons plus clair le 11 juin, date à laquelle tous les maires doivent être élus.
Le PNV en son bastion
Il demeure de justesse le premier parti de
la Communauté autonome basque avec 23,53% des voix sur les quatre provinces et devance Bildu d’un peu plus d’un point (22,28%). Mais nous sommes loin de l’é-poque glorieuse où, en 1984 et 2001, il totalisait plus de 42% de l’électorat dans la Communauté autonome. Comme il se doit, sa place-forte demeure la Biscaye où il chute cependant en nombre d’élus aux Juntes générales, mais augmente en nombre de voix. Le PNV gouvernera la puissante députation de Biscaye, ainsi que la mairie de Bilbao. Son maire Iñaki Azkuna qui redoutait une majorité coalisée PSOE-PP, augmente son score et obtient la majorité absolue en passant de 13 à 15 conseillers (44% aujourd’hui, contre 42% hier). Il gouvernera seul la capitale, Ezker batua, son allié d’hier, n’a obtenu aucun élu et les autres formations se situent toutes loin derrière lui: PP 6 con-seillers, PSOE et Bildu 4 élus chacun.
Le PNV se fait devancer par Bildu dans quelques-uns de ses fiefs: Orduña, Sopela et Larrabetzu. Le PP perd dans la province 7.000 voix, mais espère conquérir la ville de Getxo où il talonne le PNV.
On sait que le PNV biscayen est plutôt autonomiste et que le gipuzkoan davantage souverainiste. Les résultats du 22 mai confortent la première tendance, au détriment de la seconde. Les Biscayens seront ainsi tentés par des alliances avec les so-cialistes pour gouverner, les fameux «pac-tes transversaux».
Le Parti nationaliste basque ne perd pas de temps: face au terrible affaiblissement de Zapatero en Espagne, il fait monter la pression pour exiger le transfert rapide
des compétences accordées fin 2010, en échange du vote du budget de l’Etat.
En Araba
Le PP arrive en tête en Araba qui demeure son fief. Il totalise un quart de l’électorat, mais les autres formations le talonnent. Le Parti populaire et le Parti socialiste ouvrier espagnol perdent la majorité absolue dans la province, avec une chute im-portante du second qui se fait devancer par Bildu. Pour autant, il n’est pas sûr que la députation échoie au PP. Bildu a déjà offert au PNV ses voix pour empêcher l’arrivée au pouvoir du PP. Quant à Gasteiz, le PP envisage de ravir la mairie aux socialistes.
Le PSOE a subi le 22 mai un des plus grands désastres de son histoire: pour la première fois en Catalogne, la mairie de Barcelone lui échappe au profit de CiU et il perd également Séville, deux bastions majeurs de son pouvoir municipal. Dans
la Communauté autonome, il chute de 75.000 voix et perd 16 élus aux juntes des trois provinces. Il perd également quel-ques-uns des fiefs historiques qui l’ont vu naître il y a plus d’un siècle en Biscaye: Sestao, Muskiz, Basauri et baisse même à Barakaldo et Portugalete. En Gipuzkoa, seules trois villes resteront dans son escarcelle: Irun, Lasarte, Zumarraga et Eibar.
Aralar et Ezker Batua
Aralar chute dans les trois provinces de la Communauté autonome. En réalité, il ne perd qu’un point, dans la mesure où il s’était présenté il y a quatre ans dans une alliance avec Ezker Batua: ils avaient alors 98 conseillers municipaux, dont deux à trois dans chacune des capitales et une douzaine d’élus aux juntes générales. Aralar subit bien entendu le contrecoup de la montée en puissance de Bildu. La question de l’avenir d’Aralar en tant que force autonome et de son espace politique se pose avec une plus grande acuité.
Ezker Batua (ex-communistes et Verts) subit le même sort qu’Aralar dans un système électoral qui favorise «les quatre grands», PNV, Bildu, PSOE, PP. Il n’obtient que 13 conseillers municipaux et deux élus aux juntes dans la Communauté autonome. Lui aussi sera contraint à des révisions déchirantes.
Nafarroa
La Navarre voit également sa carte politique se modifier. La droite espagnole, bien que divisée, demeure en tête: l’UPN dirigera la province comme la capitale, avec le soutien du PP, plus les socialistes —peu pressés de lui apporter leurs voix— et malgré la disparition de CDN qui eut hier son heure de gloire, lorsque Juan Cruz Alli gouvernait. Nafarroa Bai qui ne comprend plus qu’Aralar et le PNV, baisse, mais demeure une force politique importante en devançant Bildu. Le total des abertzale, Nafarroa bai plus Bildu, progresse. A Iruñea, Uxue Barkos de Nafarroa Bai arrive en deuxième position en ne perdant qu’un siège: son visage souriant ravagé par la maladie et son foulard qui cachait mal la chute de tous ses cheveux du fait de sa chimiothérapie, demeure l’image qui aura marqué ces élections. Le PSOE comme partout ailleurs chute lourdement.
Après des années de déboires et l’arrivée au pouvoir des espagnolistes au gouvernement de Gasteiz, l’optimisme est donc à l’ordre du jour dans le camp basque. Le paradoxe veut que cette situation arrive, contrainte et forcée par les Espagnols et après des années perdues pour rien. La gauche abertzale traditionnelle qui n’existe toujours pas officiellement, a aujourd’hui tout à reconstruire sur le plan politique. Elle dispose depuis le 22 mai d’un terrain d’atterrissage honorable où elle ne perd pas la face. Quelques-uns de ses dirigeants —Arnaldo Otegi toujours incarcéré, Rafa Diez, Rufi Etxebarria, Txelui Moreno, etc. — ont eu la clairvoyance de forcer les choses quant à sa mutation qui, avec cette alliance inespérée avec un EA en difficulté, a reçu le soutien enthousiaste des électeurs. L’arrêt de la lutte armée est ainsi largement conforté par le corps social qui l’a sécrétée.
Les Espagnols sauvent également la face puisqu’ils n’ont lâché aucune des concessions politiques exigées par ETA en échange du silence des armes. Le combat souverainiste va continuer selon de nouvelles règles du jeu, sur le terrain exclusivement politique. Déjà les calculettes vont bon train et élaborent des projections. Rapportés au parlement de Gasteiz qui sera élu dans deux ans, les résultats du 22 mai feraient passer le PSOE de 25 à 13 parlementaires, PNV et Bildu totaliseraient 46 élus sur 75. Mais nous n’y sommes pas encore. Bildu ne doit pas croire comme pendant tant d’années Batasuna, que tout le Pays Basque fonctionne à l’image du Gipuzkoa, que les autres provinces doivent suivre la locomotive selon le système du «marche ou crève». Nous savons ce que cela nous a coûté. Convaincre est un travail difficile et de longue haleine.