Par 138 voix pour, 9 contre et 41 abstentions, la Palestine est devenue le 29 novembre 2012 Etat observateur non-membre auprès de l’ONU. Ce vote, qui permet à la Palestine d’accéder au même statut que le Vatican, a été présenté comme un succès du Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Pour insister sur le caractère historique de ce vote, Abbas a insisté pour qu’il soit programmé 65 ans jour pour jour après le vote en 1947 du plan de partage de la Palestine mandataire. Ne lui en déplaise, ce succès diplomatique semble ne revêtir pour l’instant qu’une importance secondaire, et tous les regards sont plutôt braqués sur ses rivaux du Hamas. Le parti islamiste a en effet surpris par ses capacités militaires lors de l’offensive israélienne contre Gaza, et il occupe par ailleurs une position centrale dans les luttes d’influence que se livrent les différents acteurs régionaux depuis les Printemps arabes.
L’isolement grandissant d’Israël
De son côté, l’Autorité palestinienne dirigée par Abbas peine à conserver son autorité sur la Cisjordanie (elle a déjà perdu toute influence sur la bande de Gaza depuis la prise de pouvoir du Hamas en 2007). Sa corruption notoire et l’absence de toute contrepartie à sa coopération servile avec Israël l’ont irrémédiablement discréditée. La détermination de Mahmoud Abbas à porter la candidature de la Palestine à l’ONU s’explique donc en grande partie par la nécessité de consolider sa situation sur le terrain. Ces considérations mises à part, quelles seront les conséquences du nouveau statut de la Palestine?
La première est l’isolement grandissant d’Israël puisque seuls les USA, le Canada, Panama, la République Tchèque, les îles Marshall, la Micronésie, Nauru et Palau se sont opposés à la résolution proposée par Abbas. Et lorsqu’Israël a annoncé au lendemain du vote la construction de milliers de nouveaux logements en Cisjordanie, l’indignation a été sans précédent. Même Barack Obama a parlé d’une mesure «particulièrement dommageable».
Le statut d’Etat observateur offre en second lieu à la Palestine la possibilité de saisir la Cour pénale internationale, par exemple sur le dossier des colonies. Pour l’instant, l’Autorité palestinienne ne semble vouloir faire qu’un usage défensif de cette nouvelle arme; selon le ministre des Affaires étrangères palestinien, «tout dépend si Israël donne suite ou pas» à l’annonce de nouvelles colonies évoquée plus haut.
En dehors de ces avancées indéniables, la portée du vote de l’ONU doit être relativisée. Les Palestiniens ne contrôlent aujourd’hui que 18% du territoire (contre 43% prévus par le plan de partage de 1947), et les nombreuses colonies rendent illusoire toute notion de continuité territoriale (le nombre de colons a triplé depuis la signature des accords d’Oslo en 1993). De plus, seuls les Palestiniens de Cisjordanie profiteront du nouveau statut puisque l’Autorité palestinienne ne représente pas la bande de Gaza contrôlée par le Hamas. On comprend donc que le vote de l’ONU n’ait suscité qu’un enthousiasme très mesuré en Palestine.
Inversement, de nombreuses manifestations de soutien au Hamas se sont tenues jusque dans les rues de Cisjordanie où elles sont d’ordinaire durement réprimées. Au terme d’une guerre d’une semaine, le Hamas est en effet parvenu à un accord de cessez-le-feu avantageux avec Israël, obtenant notamment un allègement du blocus sur Gaza. Cet allègement, l’Autorité palestinienne et la communauté internationale le réclamaient depuis des années, en vain… «Pendant des années, nous sommes allés voir l’ONU, des organisations internationales et la Croix Rouge pour étendre de quelques mètres la zone de pêche autorisée, mais sans succès», commente dans The Economist un responsable de l’Autorité palestinienne un peu désabusé; «seule la résistance fonctionnait» conclut-il en constatant que le Hamas a obtenu en quelques jours un doublement de cette zone de pêche.
Ce succès, le Hamas le doit à deux facteurs: ses capacités militaires qui lui permettent désormais d’atteindre Jérusalem et Tel Aviv, et le soutien de l’Egypte post-Mubarak.
Le Hamas fait le choix de la Confrérie des Frères Musulmans
Ces deux facteurs sont d’importance comparable, et cela pose un problème d’orientation stratégique au Hamas. Il lui faut en effet choisir entre l’axe Iran-Syrie-Hezbollah qui lui a permit d’acquérir ses capacités militaires, et les dollars et l’influence de l’axe sunnite Egypte-Qatar-Turquie. Ces derniers pays, avec l’appui des Etats-Unis, veulent affaiblir l’Iran en jouant la carte confessionnelle. Mais pour réduire l’axe Iran-Syrie-Hezbollah à sa seule dimension chiite, il convient de l’évincer de la scène palestinienne. Les pressions sur le Hamas pour qu’il se distancie de ses mentors historiques sont donc considérables. Et efficaces puisque Khaled Meshal, le leader du Hamas, a exprimé à plusieurs reprises sa gratitude pour l’Egypte, la Turquie et le Qatar lors de la signature du cessez-le-feu avec Israël, mais a «oublié» l’Iran et la Syrie.
L’évolution de la situation semble dès lors assez prévisible: la logique d’affrontement chiites/sunnites promue par les pétromonarchies du Golfe va s’imposer, et les pétrodollars vont inonder la Palestine en échange de l’abandon de la résistance armée du Hamas. La confrérie des Frères Musulmans se satisfait parfaitement de cette stratégie qui lui offre une stabilité régionale lui permettant de conforter son influence dans les pays arabes. Les Etats-Unis y trouvent également leur compte qui obtiennent l’affaiblissement de l’Iran et l’assurance du respect des accords de paix entre l’Egypte et Israël. Le Hamas (branche palestinienne des Frères Musulmans) a visiblement fait le choix de privilégier les objectifs régionaux de la Confrérie à sa lutte contre Israël. Il y gagnera de devenir rapidement un interlocuteur reconnu par la communauté internationale. Il y perdra son statut d’acteur principal de la résistance palestinienne au profit, en premier chef, du Jihad Islamique qui pourra certainement compter sur le soutien de Téhéran. Et le manège palestinien repartira pour un tour…