Igartubeiti, cette maison unique en son genre située à Ezkio, date du XVIe siècle, elle présente deux caractéristiques majeures: intégralement bâtie en bois, sa structure est conservée en l’état et elle fut construite autour d’un énorme pressoir à poutre qui fonctionne à nouveau aujourd’hui. Du 7 au 14 octobre, les habitants de la vallée fabriquaient le cidre de l’année. La région est riche en pommiers de toutes sortes et en arrivant, on aperçoit nombre d’habitants s’affairer à la cueillette. Armés d’un bâton muni d’un crochet, ils ramassent les fruits tombés sur le sol ou les font rouler sur les pentes pour les mettre en tas, grâce à de petits obstacles en planche, avant de les charger dans des sacs ou de grands paniers.
A Igartubeiti, aujourd’hui ferme-musée, un groupe d’hommes est déjà à l’ouvrage. Au premier étage, se trouve l’immense bac en bois où seront pressées les pommes. Les hommes avancent pieds nus, avec à chaque main une lourde masse en bois. En cadence, ils réduisent les pommes en bouillie, tout l’édifice résonne comme une immense txalaparta. Puis, munis de pelles monoxyles et de sommaires balais faits d’un bouquet de fragon, ils constituent un parallélépipède avec la masse de pulpe. L’odeur de fruit sur et du moût qui commence à fermenter emplit déjà tout l’édifice.
Les ordres fusent en eskuara
Vient ensuite le moment de placer soigneusement sur le tas de fruits les planches et les madriers, jusqu’au niveau de la gigantesque poutre, au centre du pressoir qui traverse quasiment la maison de part en part. Déjà le jus commence à couler. Le plancher bien étanche à cet endroit est légèrement incliné. Grâce à deux rigoles creusées dans le bois, le liquide parvient jusqu’à un orifice, de là il tombe dans une barrique située au rez-de-chaussée.
En basque, les ordres fusent. A l’autre bout de la maison au niveau du sol, des hommes actionnent une vis en bois qui permet grâce à un pesant contre-poids de pierre, d’abaisser par étapes la poutre qui écrase les pommes. Toute la maison de bois craque et vibre, le parfum des pommes se fait plus insistant, le bruit du jus qui dégringole dans le fût, s’accélère. On descend pour voir. Chacun tend son verre pour goûter le nectar coulant du plafond à gros bouillons. C’est un délice et c’est bouleversant. Bouleversant et miraculeux que de voir une antique maison basque renaître, vivre et fonctionner, grâce aux descendants de cette vallée qui l’a vue construire et qui parlent dans la même langue que leurs ancêtres. Il ne s’agit pas ici d’une de ces reconstitutions folklorique au mauvais sens du terme ou fortement idéalisée, comme ont peut les voir dans certains écomusées qui fleurent bon le Disneyland. Non, c’est quelque chose de simple, de vrai et finalement de très rare.
Fouilles archéologiques
Le visiteur admirera l’ensemble de la maison restaurée avec talent, l’outillage, le mobilier, les ustensiles. Il y percevra la rusticité, la grande pauvreté et les rigueurs d’une organisation sociale rurale. Nous sommes aux antipodes des images d’Epinal à la sauce Ramuntxo et ses succédanés. Le Centre d’interprétation, c’est-à-dire un musée moderne équipé de technologies dernier cri en 3D présente de façon attractive et pédagogique l’histoire d’Igartubeiti et de ses habitants, leur vie quotidienne, leurs croyances, leurs pratiques collectives et leurs relations avec l’environnement. La maison plonge ses racines dans un fond de cabane protohistorique, comme l’ont révélé les fouilles archéologiques: des années durant, une pléiade pluridisciplinaire de chercheurs a mis à jour des siècles d’histoire.
Aujourd’hui, la ferme-musée diversifie ses activités et devient aussi centre culturel. Concerts, joutes de bertsularis (poètes-improvisateurs), conférences et expositions sur les espèces végétales et les races locales d’animaux domestiques, élargissent son audience. Habitants de la vallée, enfants des écoles, touristes s’y succèdent. L’exposition d’une cinquantaine de variétés de pommes accompagnait en octobre la mise en route du pressoir.
Igartubeiti, telle Cordelia du roi Lear, «si riche dans la pauvreté, si rare dans l’abandon et tant aimée dans le dédain»… il nous est aujourd’hui «licite de saisir ce qui fut rejeté». A notre tour de l’aimer longtemps encore, «comme le veut [notre] lien, ni plus, ni moins».
Igartubeiti baserri museoa, Ezkio bidea z/g 20709 Ezkio-Itsaso (Gipuzkoa). Vallée d’Estanda, à quelques kilomètres de Beasain et d’Ormaiztegi. Tel.: 34 943 722 978.
www.igartubeitibaserria.net