Un seul juge espagnol a fait la différence et tout a tenu à son «bon plaisir». Le 5 mai, par six voix contre cinq, le Tribunal constitutionnel désavoue la sentence de la Cour suprême qui, le 2 mai, interdisait la totalité de ces mêmes listes. A trois jours d’intervalle, sur la base de faits identiques, la vérité d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui… Les juges de la Cour suprême n’avaient pas cru que Bildu avait vraiment rejeté «la violence terroriste». Les juges du Tribunal constitutionnel, eux y croient. Aujourd’hui, les candidats de Bildu ne sont plus «contaminés» par ETA, la démarche de la coalition ne s’inscrit plus dans une stratégie élaborée par l’ex-Batasuna. Pour le Tribunal constitutionnel, «le simple soupçon ne peut constituer un ar-gument juridiquement acceptable pour exclure qui que ce soit du plein exercice de ses droits fondamentaux de participation politique». A la bonne heure!
Listes sous surveillance
En une phrase alambiquée digne de Marcel Proust dans “A la recherche du temps perdu”, la haute cour considère que les candidats de Bildu ne sont pas instrumentalisés par ETA… Le contenu des écoutes téléphoniques des dirigeants de Batasuna, comme les enregistrements de preso au parloir, ne sont pas davantage retenus comme preuves irréfutables de liens entre Bildu et les «terroristes». Le fait que sur les listes de Bildu, les candidats indépendants —donc supposés membres ou proches de Batasuna— soient plus nombreux que les membres d’EA ou d’Alternatiba, n’est plus «un indice objectif de la main-mise du parti illégalisé Batasuna». Les éléments de «preuves» présentés par la guardia civil, y compris une réunion entre EA et ETA en 2009, sont balayés. Selon les rapports de police, sur les 3.495 candidats de Bildu, 1.014 avaient des liens avec des partis interdits. Finalement, il n’est est rien.
Comme disait Talleyrand, «en politique, ce qui est cru devient plus important que ce qui est vrai». Ainsi va la justice espagnole. Elle juge non pas des faits dûment établis, mais les idées que quelques Basques sont supposés avoir ou non dans leurs cerveaux. Les deux hautes cours espagnoles ont au moins apporté une preuve, celle d’une caricature de justice. Elles fonctionnent selon la logique d’une cour de justice politique; et derrière les ors des palais et l’apparat du pouvoir, apparaissent sous leur vrai jour: une bande de guignols versatiles.
Hormis le PP, tous les partis se sont réjouis de la décision du 5 mai. Pour le ministre socialiste de l’Intérieur Alfredo Perez Rubalcaba, «la sentence du 5 mai facilite la fin d’ETA», mais, précise-t-il, les candidats basques seront toujours sous surveillance et pourront être inculpés au moindre dérapage.
Les joies de la dépendance nationale
La campagne électorale a immédiatement démarré sur les chapeaux de roue et c’est sans doute le PNV qui a poussé le plus grand ouf de soulagement, après la décision du Tribunal constitutionnel. L’absence de la coalition Bildu enlevait 150 à 200.000 voix au total du camp basque. Du coup, cette situation rendait le front national espagnol PSOE/PP majoritaire dans la Communauté autonome, comme ce fut le cas pour les dernières élections qui ont vu l’arrivée au pouvoir de Francisco Lopez au gouvernement de Gasteiz et l’éviction du PNV après 30 ans de règne. Le Parti nationaliste basque risquait ainsi de perdre le 22 mai quelques-uns de ses plus beaux fleurons, la mairie de Bilbo, la députation de Gipuzkoa et de très nombreuses municipalités.
Toute cette affaire démontre à l’envi combien la vie politique en Pays Basque est dépendante du bon-vouloir des Espagnols qui définissent les règles du jeu. Illustration majuscule de la dépendance nationale. Il sera intéressant de voir si, en réponse, l’électorat abertzale se mobilisera sérieusement le 22 mai. La majorité absolue (69 sièges sur 129) obtenue le 6 mai en Ecosse par le Scottish National Party au parlement du pays, nous conforte dans le bon sens.