La colère des blocages paysans est légitime. Plutôt fort de café, cependant, que la FNSEA se pose en fer de lance de la contestation. Alors que depuis des décennies, elle marche main dans la main avec l’État pour privilégier une agriculture servant au mieux les intérêts des grosses entreprises de l’agrobusiness.
C’est avec grand intérêt que j’ai écouté mon fils, en classe de 3e au collège, me raconter son cours du jour sur l’agriculture. C’est sans surprise qu’il m’indique qu’en 1950, un agriculteur nourrissait sept personnes alors qu’aujourd’hui, il en nourrit 70. La leçon indiquait l’évolution de l’agriculture depuis l’après-guerre, en passant par des fermes plus productives, et enseignait également que le productivisme a mené à un agrandissement des fermes, parfois néfaste à l’environnement, entraînant des pollutions diverses. Voilà que cette production agricole en masse est critiquée lorsqu’elle va dans les extrêmes et les jeunes générations y sont déjà sensibilisées à l’école. On leur apprend toutefois que pour faire face à ces dérives, des signes officiels de qualité tels que les labels, AOP ou bio existent, afin de rassurer les citoyens consommateurs. On aura beau nous dire qu’il ne faut pas opposer les modèles, nous ne sommes pas prêts de voir disparaître la critique citoyenne de l’agriculture intensive.
Le double jeu de la FNSEA
La situation est compliquée car beaucoup de paysans se sentent attaqués, critiqués et combien de fois n’entends-je pas des collègues dire : « De toute manière, on ne veut plus de nous ». Les panneaux d’agglomération retournés n’auront échappé à personne et la colère des agriculteurs se fait ressentir. Mais si on y regarde de plus près, la FNSEA en est le chef d’orchestre ! Les revendications, elles, restent floues : « On marche sur la tête, on en a marre des réglementations ». Il faut fouiller pour se rendre compte qu’ils dénoncent surtout les réglementations environnementales. Bien évidemment, les agriculteurs ont raison de crier leur détresse, mais sont-ils conscients que comme tous les sept ans, la FNSEA descend dans la rue à l’approche des élections syndicales pour faire croire à sa base qu’elle les défend ? Le reste du temps, elle s’occupe de construire avec l’État son projet agricole pour rassasier les appétits des grosses firmes industrielles, en menant les éleveurs dans le chaos où certains se trouvent aujourd’hui ?
Les contradictions du consommateur
La taille des fermes augmente au fur et à mesure que les décennies défilent. Les générations d’agriculteurs ne sont pas renouvelées et trop souvent, le voisin reprend la ferme du collègue retraité. Pour pouvoir payer l’augmentation récurrente des charges financières, le paysan doit toujours avoir plus d’animaux et plus de terres. Mais lui ne peut pas se dédoubler. C’est ainsi qu’il peut délaisser la faux ou la débroussailleuse et épandre des désherbants pour gagner du temps. De même, parfois, des troupeaux toujours plus concentrationnaires avec des animaux ultra sélectionnés mais fragiles, voient l’utilisation d’antibiotiques ou de vaccins proliférer. Les défenseurs de l’agriculture intensive ont quand même un argument de taille : « Il faut nourrir la population et il faut de l’alimentation à bas prix pour les petits portefeuilles ». Il est vrai que le pouvoir d’achat n’est pas toujours au rendez-vous et le consommateur peut être contradictoire : il veut de l’agriculture de qualité, mais son caddie du supermarché n’est pas toujours rempli de manière cohérente avec ce discours.
La chanson dit : « Trois petites fermes valent mieux qu’une grande ». Il est certes difficile de ne pas s’agrandir, mais si on peut rester une petite ferme, on a moins de terres à entretenir, à travailler et on a moins d’animaux à soigner. Cela réduit l’utilisation d’intrants chimiques, entraînant la confiance du consommateur et par là même, le bien-être du paysan. L’équation n’est pas simple et il faudra encore des politiques courageuses pour aller dans ce sens. Nos campagnes auront besoin de paysans nombreux pour une agriculture paysanne et résiliente. Oui, soyons nombreux pour éduquer le consommateur et renouer le lien parfois rompu. Car trois petites fermes ne marchent pas sur la tête et font plus souvent des agriculteurs heureux et fiers de leur métier.