L’Aberri Eguna 2017, le dimanche 16 avril se déroulera à Gernika et à Uztaritze. Les citoyen-ne-s appelant à participer à ce nouveau départ de l’Aberri Eguna en Iparralde ont choisi comme thème “Urratsez urrats Euskal Herria eraiki”, c’est-à-dire “Construire le Pays Basque pas à pas”. Alda apporte ici une réflexion que Xabi Anza, responsable formation du syndicat ELA a publiée en euskara sur www.zuzeu.eus concernant le processus souverainiste en Pays Basque. Une analyse utile pour réfléchir sur une stratégie souverainiste gagnante ou permettant d’avoir l’adhésion de la majorité des habitants du Pays Basque. Voici le texte de Xabi Antza.
Il est indispensable de définir et de faire connaître ce qu’est le point de départ d’un processus souverainiste. Quand je parle de point de départ, il s’agit de voir la réalité à partir de laquelle nous devons commencer à penser le processus souverainiste.
On pourrait se dire que ceci est une évidence, mais en fait ce n’est pas tout à fait le cas. En effet, souvent, l’analyse politique part d’un désir ou d’une volonté, plutôt que de la réalité. Ainsi, si on me demandait quel genre de processus souverainiste je souhaite, je n’aurais aucun doute pour répondre :
1. Je souhaite un processus souverainiste reposant sur la bilatéralité : respecté par un Etat démocratique reconnaissant la validité de la consultation proposée à ses nations. Bref, un processus ressemblant à celui qui se déroule en Ecosse.
2. Un processus fondé sur l’union et l’entente entre toutes les personnes en faveur du droit de décider du Pays Basque. C’est-à-dire un processus comme celui de la Catalogne.
3. Je veux un processus institutionnel : poussé et légitimé par la majorité des élus en faveur du droit de décider. Comme en Slovénie ou en Catalogne.
4. J’aimerais aussi qu’il implique toutes les classes sociales. C’est-à-dire qu’il prenne en considération toutes les demandes de la société concernant la protection sociale, les services publics, le modèle de production et la culture, en étant un espace d’“efficience partagée” au profit de toute la société. Comme dans le cas de la réunification allemande.
5. Et, bien sûr, j’aimerais aussi un processus souverainiste où le Pays Basque dans son ensemble pourrait participer.
Principe de réalité
Ceci correspond à mes voeux. Mais… est-ce que ces voeux correspondent à la réalité ? A mon sens, en aucune façon.
1. Tout d’abord il n’y a pas de bilatéralité. L’Etat espagnol ne nous reconnaîtra pas le droit de décider ni même celui d’être consultés, tout comme il ne nous donnera pas l’occasion de changer le statut politique de dépendance et de soumission. Nous ne sommes pas l’Ecosse, et l’Espagne n’est pas le Royaume-Uni.
2. Il n’y a pas d’attitude commune de la part des acteurs en faveur du droit de décision. Si on regarde du côté des partis politiques, une partie de ceux qui sont en faveur du droit de décider (le PNV) a décidé que pour faire n’importe quel changement dans le statut politique du Pays Basque, il faudra au moins se mettre d’accord avec le PSOE ou le PP, autant dire renoncer simplement au droit de décider. Et, une autre force disposant d’une grande représentation (Podemos-Ahal Dugu) dit que le changement viendra à la suite du changement politique dans l’Etat espagnol.
3. Rien ne laisse entendre que les institutions seront à l’avant-garde du changement de statut politique. Ce débat-là n’existe pas en Navarre. Dans la Communauté Autonome Basque, pour la nième fois il a été décidé d’élaborer un nouveau rapport sur le Statut d’Autonomie, cette fois-ci avec l’appui du PSE, de Podemos et du PNV. Nous ne sommes pas en Catalogne.
4. Il n’y a pas de base non plus pour que le processus implique différentes classes sociales. En effet, nous devons faire face à une majorité parlementaire néolibérale étouffante en Navarre, dans la Communauté Autonome Basque et au Pays Basque Nord, toujours prête à faire reculer les acquis sociaux. Et nous n’avons même pas un accord a minima sur le projet de pays concernant les thèmes fondamentaux (souveraineté énergétique, alimentaire ou financière, transport, recherche et développement, politique industrielle,…). Dans le domaine culturel et linguistique, la domination de l’espagnol est bien réelle. L’état de la langue basque, et les audiences télé et radio, le montrent. On assiste à l’ethnocide fort et efficace d’une minorité. On est en présence d’un univers bascophone, qui même en étant minoritaire, a son importance, mais qui se voit fragile, et qui est en grand manque, pour le dire de façon diplomatique, de vision et de moyens. Bref, nous ne sommes pas l’Allemagne.
5. En réfléchissant à l’échelle de tout le Pays Basque… les 7 provinces, les 3 divisions administratives, les 2 Etats, les 2 gouvernements autonomes, les 3 gouvernements provinciaux et une Communauté d’Agglomération qui vient de naître, les 3 langues, une histoire compliquée, et d’innombrables récits… font en sorte qu’on est en présence d’une extraordinaire complexité territoriale.
Principe de majorité
A mon avis, le monde souverainiste vit dans une illusion. C’est une illusion que de croire que la majorité en faveur du droit de décider qu’on peut trouver grâce à l’arithmétique au parlement de la Communauté Autonome Basque (EAJ-PNV, EH-Bildu, Ahal Dugu) est une véritable majorité politique en faveur d’un processus souverainiste. En fait, c’est une hégémonie potentielle, à laquelle il ne reste plus qu’à avoir la volonté de s’activer. Mais il n’y a pas de majorité souverainiste dans les institutions, et quand bien même cette majorité existerait, on devrait faire face à la diversité de majorités et minorités qu’on retrouve dans ces institutions.
1. Il y a une majorité relative (EAJ, Podemos) qui défend une bilatéralité qui n’existe pas ; et, il y a une minorité basque (PP, PSE) qui fait partie de la majorité à Madrid, en faveur de l’unilatéralité espagnole, c’est-à-dire en faveur du statu quo.
2. La majorité institutionnelle en faveur du néolibéralisme est effrayante (EAJ, PP, UPN, PSOE, GeBai…), à Gasteiz, à Iruñea et à Madrid.
3. Il y a une majorité institutionnelle, médiatique, culturelle… qui appuie un modèle espagnol, et il y a une minorité bascophone, extrêmement réprimée.
4. Il y a une majorité institutionnelle qui ne voit pas d’un bon oeil que les personnes s’organisent (au sein de la société civile, des syndicats,…) dans des dynamiques d’opposition posant problème au propre système institutionnel (EAJ, PSOE, PP, UPN…).
5. Concernant la territorialité, les rapports de force souverainistes sont très différents en fonction des territoires.
Possible processus national
C’est pourquoi, si notre analyse est juste, et si on veut aujourd’hui concevoir un possible processus national, vers la souveraineté, on devrait prendre en compte les points suivants:
1. La dynamique souverainiste est minoritaire, si on se place au niveau des institutions.
2. Elle doit être unilatérale et ne pas compter sur l’appui des Etats.
3. En principe, elle n’aura pas au départ l’appui des forces politiques pouvant en théorie ou dans une seconde phase la soutenir.
4. Elle sera principalement sociale, et non institutionnelle, en tout cas pour l’instant.
5. Elle sera très différente en fonction des territoires. Le principe de réalité nous pousse à prendre en compte que les fondements du point de départ d’un processus souverainistes sont fragiles. Bien plus fragiles que ce que l’illusion de l’arithmétique institutionnelle et représentative laisse entendre.
Processus souverainiste
Mais le processus souverainiste a aussi, au niveau de son point de départ, des points forts:
1. Le processus souverainiste, même s’il est minoritaire au sein des institutions, est majoritaire dans le domaine syndical, et très solide dans le domaine social (ELA, LAB, Eskubide Sozialen Karta).
2. Même s’il est unilatéral, le processus met sur la place publique des revendications démocratiques universelles : souveraineté, participation, décision… Ces demandes lui permettent d’aller vers la masse des gens.
3. En étant social, et donc, sans l’appui de nombreux sigles partisans, il n’a pas les limites qu’exigeraient la collaboration de classe, l’oligarchie, les directions de partis ou la logique institutionnelle. Ainsi, le caractère social de ce processus souverainiste permettrait à de nombreux facteurs (de classe, féministe, écologiste, démocratique, bascophone) de devenir autant de vecteurs d’accumulation de forces qui n’auraient pas pu être activées autrement. Et en activant ces facteurs-là, le processus souverainiste deviendrait une dynamique attractive pour la base sociale et électorale de toutes les forces politiques.
On pourrait penser que ce n’est pas beaucoup. Evidemment, l’illusion institutionnelle et représentative peut nous faire croire que nous avons plus de potentiel. Mais, il me semble que le point de départ décrit est le seul réel, et que c’est le seul point de départ viable.
Point de départ
Mon analyse peut viser juste, mais, elle peut aussi faire fausse route. Dans tous les cas de figure, il n’y a pas de processus souverainiste sans un accord concernant le point de départ. Il est donc indispensable de discuter, entre autres, sur les cinq points mentionnés au début de cet article :
1. Est-ce qu’il y a une bilatéralité avec l’Etat ?
2. Peut-on aujourd’hui réaliser l’union de toutes les forces en faveur du droit de décider (Maltzaga) ?
3. Les institutions seront-elles à l’avant-garde?
4. Au fond, le processus souverainiste peut-il impliquer toutes les classes sociales ?
5. Peut-il prendre en compte l’intégralité du Pays Basque ? Nous devons considérer les réponses apportées à ces questions comme étant définitives et se mettre en mouvement en fonction de ces réponses. C’est mon avis.