Quand dans la discussion, on avance que Sokoa fait partie de nos outils collectifs, il faut s’attendre à ce que cette affirmation puisse être assez rapidement contestée, appuyée par un : “d’ailleurs, à aucun moment, Sokoa n’a été une coopérative !”. Entendre par là que ses instances dirigeantes n’ont jamais entrepris de la socialiser pour instaurer notamment une égalité en droit de ses salarié.es, dirigeants et actionnaires, selon le principe coopératif “une personne = une voix”(4). Contester pourtant toute dimension collective à Sokoa reviendrait à nier certaines de ses composantes essentielles qui ont forgé son identité et ses valeurs abertzale. De la réunion, fin 1970 à l’hôtel Arintasuna de Ciboure(5), d’un groupe de militant.es qui accompagnera Patxi Noblia dans la création de la société le printemps suivant, à la contribution active de celle-ci dans quantité d’initiatives de développement local ou à l’embauche de nombreux réfugiés, anciens preso ou militants marqués par leur engagement ; de l’intégration de ses salarié.es dans son actionnariat au fonctionnement de ses instances de gouvernance faisant que les prises de décision sont interrogées et discutées dans la diversité des points de vue,… la part de dimension collective de Sokoa apparaît évidente, difficilement contestable. Sauf à l’appréhender aujourd’hui sous l’angle de son pilotage par Timothée Acheritogaray, sous les bons auspices de Txistu Bergara.
Les digues de protection érigées pour prémunir l’entreprise d’une concentration du pouvoir de décision et d’une accumulation du capital entre les mains de quelques-uns ont été façonnées dans une période donnée. Elles ont été construites aussi par une équipe dirigeante soudée autour de Patxi Noblia… “pour le meilleur et pour le pire. Tant qu’il y avait Patxi, c’était pour le meilleur”, commente cet ancien de Sokoa. En effet, aussi robustes qu’elles aient été, ces défenses ne pouvaient tout anticiper du futur et surtout de la très large palette des travers de l’être humain. Ainsi, à défaut d’avoir pu ou su renouveler les garde-fous posés, des fissures sont apparues avec l’installation de Txistu Bergara à la tête de la présidence du CA de Sokoa, puis de l’avènement de Timothée Acheritogaray à sa direction générale. Sokoa, à la croisée des chemins Dans leur grande majorité, les réactions et avis que nous avons recueillis se rejoignent dans une aspiration commune : quel que soit le futur de la coopérative d’énergie verte, l’affaire Enargia doit être le marqueur d’un avant et d’un après chez Herrikoa et Herkide.
2008-2018 : Txistu Bergara sous bonne garde
Début 2008, le départ à la retraite de Patxi Noblia en tant que PDG rebat les cartes à la tête de la société. Dans les mois qui ont précédé, l’équipe dirigeante a organisé sa succession. Parmi ses décisions, celle de nommer Txistu Bergara à la présidence salariée du directoire. L’un des “plus” qui aurait influé ? Le directeur administratif et financier d’alors semblait mieux à même de faire face aux turbulences et négociations salariales que son compétiteur, le directeur commercial Pedro Odriozola.
Entré chez Sokoa dans les années 1976-1977 pour assister la responsable comptable Viviane Martinez, Txistu Bergara s’est imposé, au fur et à mesure de l’essor de la société, en directeur financier brillant aux rendements assurés et aux montages ingénieux d’opérations d’optimisation fiscale ou de leasing back qui ont régulièrement conforté les résultats de Sokoa. Sa dextérité juridique est également saluée, particulièrement dans le montage de sociétés et la rédaction minutieuse de leurs statuts. Toutefois, ses qualités avérées n’en feraient pas pour autant un stratège d’entreprise ou un meneur d’hommes inspirant, pas plus qu’elles ne garantiraient naturellement sa compréhension du métier et de son marché.
C’est plausiblement en considération de ses faiblesses que sa nomination à la présidence du directoire est rationnellement encadrée. Du côté du Conseil de surveillance, Patxi Noblia, élu Président, conserve intacte son influence de leader. Côté directoire, Pedro Odriozola est nommé directeur général, tout en se maintenant dans sa fonction salariée de responsable commercial. De plus, Jean-Michel Berra, recruté en 2005, poursuit sa mission de directeur du développement externe. Durant les six années qui suivent, bordé de la sorte, Txistu Bergara assure une présidence qui ne laisse pas un souvenir vraiment impérissable. Dans le cercle rapproché de l’entreprise, on se rappelle ainsi davantage de la période comme “une guerre des chefs”, avec des tensions sérieuses entre lui et Pedro Odriozola.
En juin 2014, avec le retour au format juridique à conseil d’administration, ce dernier désigne Patxi Noblia président du CA et reconduit Pedro Odriozola directeur général. Jeune retraité, Txistu Bergara quant à lui se cale dans le fauteuil de vice-président… sans guère d’autre occupation notable que celle de patienter jusqu’à la démission de son président pour limite d’âge des 75 ans fixée par les statuts. Fin 2018, Txistu Bergara lui succède donc.
Timothée Acheritogaray : la montée des marches
Pour marquer son temps cependant, le nouveau président du CA doit pouvoir pleinement compter sur un allié à qui confier le management du quotidien, un homme neuf, ou plutôt sans affect à l’égard de l’entreprise d’avant et de ses instances de direction. Lorsqu’il accède à la présidence du CA de Sokoa, Txistu Bergara travaille main dans la main depuis quelque temps déjà avec Timothée Acheritogaray sur lequel il a jeté son dévolu.
Quatre années auparavant, lors de son départ à la retraite, Txistu Bergara l’a installé à son poste de directeur administratif et financier, le faisant ainsi émerger du commun du service comptable dans lequel il travaille depuis 2008 en tant que contrôleur de gestion. Un an plus tard, en juin 2015, désigné par le collège des salariés cadres, et avec l’appui plus que probable de son mentor, le nouveau DAF entre par la petite porte du conseil d’administration. Une désignation qui lui permet de gagner en visibilité auprès de ses membres et de leur faire passer un message implicite : au-delà de sa fonction de DAF, il s’investit pleinement pour appréhender l’entreprise dans sa globalité et son développement. Au printemps 2017, Pedro Odriozola fait valoir ses droits à la retraite. Pour lui succéder dans son mandat social de directeur général, le CA désigne Jean-Michel Berra qui conserve par ailleurs son poste (salarié) de directeur du développement externe. Afin de l’assister, Timothée Acheritogaray est nommé DG délégué. La fonction n’existait pas jusqu’ici, le CA vient de la créer tout spécialement lors de la même séance de juin 2017. En début d’année en effet, dans les instances dirigeantes de Sokoa, les discussions allaient alors bon train sur l’après-Odriozola ; il était question d’un éventuel recrutement externe. Txistu Bergara intervint alors pour exposer sa proposition : Jean-Michel Berra à la direction générale, Timothée Acheritogaray à la direction générale déléguée. L’idée a fait mouche.
A deux contre un
Dès les débuts de leur mandat, il apparaît clairement que Timothée Acheritogaray n’a pas l’intention de se comporter, et encore moins d’être perçu, en inférieur hiérarchique de Jean-Michel Berra. Ainsi, lorsque ce dernier apparaît dans une communication ou un article de presse de l’actualité de Sokoa, on retrouve le plus souvent son délégué bien campé à ses côtés. Anecdotique ou peu factuel, pourra-t-on considérer dans l’ignorance d’événements survenus en coulisses. En effet, une douzaine de jours à peine après sa désignation de DG délégué, Timothée Acheritogaray est nommé à la présidence de Sofikoa, la holding financière de Sokoa à laquelle sont rattachées les filiales du groupe. Sokoa en détient 99% des actions et en assure la présidence depuis sa création en 1994.
C’est le 30 juin 2017 que Txistu Bergara, représentant la présidente Sokoa à Sofikoa, se réunit en assemblée générale en tête à tête avec lui-même(6). Adopte à l’unanimité de sa voix la résolution n°5 : “l’AG prend acte de la démission de la société Sokoa de ses fonctions de président“. Et décide, à la même unanimité, de nommer Timothée Acheritogaray président. Soulignons que celui-ci préside en son nom personnel et non au titre de représentant de Sokoa, comme Patxi Noblia puis Txistu Bergara avant lui. Il a donc la main directe sur les destinées des filiales… dont Jean-Michel Berra a la direction salariée.
Comme s’il y avait besoin d’enfoncer un peu plus le clou, l’adjoint au développement externe recruté début 2018 est placé non sous la responsabilité du directeur, mais sous celle de Timothée Acheritogaray, responsable administratif et financier. Et puis, il y a encore la nomination de ce dernier à la présidence d’Eurosit à Nevers, la filiale la plus importante du groupe Sokoa avec ses quelque 140 salarié.es. Depuis 2015, Jean-Michel Berra en est l’un des administrateurs. En mai 2019, Timothée Acheritogaray est élu à ses côtés. Et dans la réunion du Conseil qui suit, il est propulsé président… en remplacement de Txistu Bergara. Un peu plus de deux ans et demi plus tard, le président d’Eurosit est promu PDG à la faveur de la démission de Jean-Pierre Alaux, directeur général. Ses relations avec la direction de Sokoa étaient devenues exécrables.
Dès les premières semaines de leur mandat social, le DG délégué a donc pris de fait, puis renforcé, son ascendant sur son directeur général. Sous cet éclairage, peut-on toujours s’étonner de le voir jouer des coudes sur les photos ?… Ou de lire, dans le procès-verbal du CA de Sokoa de fin juin 2020, que celui- ci prend acte de la démission anticipée de Jean-Michel Berra et désigne, sur proposition de Txistu Bergara, Timothée Acheritogaray pour lui succéder. La décision est votée à l’unanimité, comme la résolution suivante, qui ne désigne pas de directeur général délégué.
“La cohabitation a été très compliquée. Berra est correct, sympa, et sincère. Ils l’ont massacré”, commente, cash et sans filtre, cet ancien salarié.
Le conseil d’administration de l’ère Bergara…
2020, c’est aussi le premier renouvellement des membres du conseil d’administration depuis la désignation de Txistu Bergara à sa tête. L’instance est alors composée de 14 membres dont trois femmes parmi lesquelles les deux représentantes des salarié.es. Objectif affiché : féminiser l’équipe des membres élu.es par les actionnaires. Sur fond de crise sanitaire de la Covid, l’AG annuelle est reportée de juin à septembre. Une réunion du CA est organisée quelque temps avant : “On y a évoqué son futur renouvellement avec une volonté de parité hommes-femmes. Txistu a proposé les noms de quatre femmes, mais sans réflexion réelle de l’ensemble du CA”, se remémore un administrateur. Les quatre élues intègrent donc l’instance dirigeante, “quatre jeunes et nouvelles administratrices”, se réjouit le président dans son édito de la Lettre aux actionnaires de l’automne 2020. En pages suivantes, un article détaille la physionomie du nouveau CA désormais à parité absolue. Pas un mot par contre de reconnaissance ou de remerciement pour les quatre hommes ayant renoncé à leur siège, et décrits par un actionnaire de longue date comme “administrateurs historiques qui ont été “invités” à céder leur place”.
Un peu plus de trois ans et demi plus tard, le renouvellement est notable : sur les onze membres actuels(7) (dont six femmes), quatre seulement – dont Txistu Bergara – étaient déjà là avant l’élection de ce dernier à la tête du CA. Par ailleurs, le siège de représentant.e des salarié.es cadres reste vacant après la démission de Delphine Duperou ; aucun.e candidat.e n’a postulé pour lui succéder.
Au-delà de ces changements, l’instance dirigeante de l’ère Bergara se démarque- t-elle de celle Noblia ? “Ce que l’on peut dire des CA présidés par Txistu Bergara, c’est qu’ils ne sont pas particulièrement fertiles en écoute, échanges, débats, éventuelles expressions de divergences, … Est-ce dû à la posture de ses membres ? A la façon de mener les Conseils ? Toujours est-il qu’alors que les réunions de la période Noblia duraient deux à trois heures, voire plus, ceux de la période suivante étaient bouclés en une heure et demie, voire moins”, témoigne cet ancien administrateur. Un autre membre interrogé n’observe pas pour sa part “de changement par rapport à l’époque de Patxi”, réprouvant toutefois le comportement de Txistu Bergara avec les représentant. es syndicaux ou du personnel. “Il parle mal aux gens, notamment aux délégués du personnel, il devrait les considérer autrement “.
Sokoa en actions
Passés de 709 en 2011 à 1.135 en 2021, ils et elles sont aujourd’hui 1.200 à détenir le capital de Sokoa. Des personnes physiques dans une très grande majorité et dont la part de chacune ne représente qu’une infime partie des 14 millions d’euros de capital de la société. Ainsi morcelé, il forme un cordon de sécurité contre le risque d’accumulation par quelques-uns. Parmi ces détenteurs d’actions, les salarié·es “sont tous actionnaires et détiennent 25% du capital”, met en avant Sokoa dans sa communication, précisant que les anciens salariés en détiennent 20% de leur côté. Tentons une explication aussi simple et rapide que possible pour décrire le mécanisme de cet actionnariat salarié… Depuis longtemps, Sokoa a mis en place un Plan d’Épargne Entreprise ou PEE. Dans son numéro 84 de novembre 2018, la revue Sokomoko de Sokoa décrivait : pour le dernier exercice 2017, “pour un euro épargné par le salarié, le complément d’épargne de l’entreprise a été de 1,28 euro, portant le total à 2,28 euros”. C’est cette épargne du PEE “qui permet aux salariés de devenir actionnaires”.
Revenons à présent à l’affirmation mise en avant dans la communication de Sokoa. Qu’en est-il vraiment ? “Ce n’est pas tout à fait vrai… Tous les salariés ne sont pas actionnaires. Car, pour cela, il faut placer de l’argent sur le PEE, et il est bloqué cinq ou dix ans. Certains ne veulent pas, ou surtout, ne peuvent pas épargner”, réagit un salarié. De plus, “le nombre d’actions est assez disparate selon les salariés. Des anciens peuvent en avoir beaucoup, d’autres très peu, et depuis 2020, nous n’en avons plus”.
La faute au tarissement des actions mises en vente par des salarié.es ayant besoin de liquidités par exemple ou par des actionnaires extérieurs. Cette pénurie s’affiche d’ailleurs sur le site internet de l’entreprise : “Il n’y a actuellement plus d’actions disponibles à la vente”. Selon nos informations, une trentaine de candidats extérieurs figuraient en liste d’attente courant septembre 2023, encouragés à patienter par l’association Sokozabal. Créée en 1996, elle met en relation vendeurs et candidat.es acheteurs. Que l’on ne s’y trompe pas, elle a beau être une simple association loi 1901, son activité serait surveillée comme l’huile sur le feu par Timothée Acheritogaray et Txistu Bergara. C’est dire si les transmissions d’actions de Sokoa sont sous bonne surveillance… à défaut de gagner en transparence d’informations pour les actionnaires ?
Sokide : le bastion de Sokoa
Au début des années 1990, quelque part en Hegoalde, un chef d’entreprise aurait fait une amère expérience : un beau jour, il s’est retrouvé le dernier actionnaire minoritaire de sa société face à un nouvel associé ayant raflé le reste de la mise auprès des salariés détenteurs de parts. Patxi Noblia aurait eu connaissance de l’histoire et dès lors réfléchi à imaginer un deuxième niveau de protection capable de résister à une offensive d’ampleur visant la prise de contrôle de Sokoa. Créée en décembre 1995, Sokide affiche clairement sa raison d’être dans ses statuts : “afin de faciliter la stabilité de l’actionnariat de la société Sokoa”, elle a pour objet “la détention d’au moins 25% du capital de celle-ci”. Ses 88 associés fondateurs sont tous des personnes de haute confiance, militant.es abertzale et/ou de l’emploi en Pays Basque, et aussi obligatoirement actionnaires de Sokoa.
Depuis juillet 2014 qui voit le passage de témoin de Patxi Noblia, la SAS Sokide est présidée par Txistu Bergara. Il est entouré d’un comité de direction de trois membres dont Philippe Lerat et Pantxoa Bimboire (respectivement, anciens directeurs commercial et d’usine de Sokoa), membres du Comité depuis la création de Sokide. Selon nos informations, Laura Dubernet (voir article par ailleurs) est venue compléter la petite équipe. Apprécions sa performance. Car, malgré leur demande qu’ils estimaient fondée, certains seront restés devant les portes fermées de la holding.
Des années d’AG de Sokide au compteur, deux de nos témoins le confirment : même en tenant compte de la liberté de chaque actionnaire à participer ou non à l’assemblée annuelle, rarissimes y sont les nouveaux visages. L’un d’entre eux cite deux seuls noms dont celui de Laura Dubernet. Pourtant, depuis près de trente ans, les 88 associés fondateurs ont vieilli, certains sont décédés. Leurs ayant-droits ont-ils conservé leurs actions ou les ont-ils cédées ? Comment Sokide les intègre-t-elle parmi ses associé.es de la première heure ou les aide-t-elle à se défaire de leurs actions ? Et celles-ci, trouvent-elles preneurs auprès d’un associé en interne ou peuvent-elles servir à un nouvel entrant trié sur le volet ? Comment se partage d’ailleurs la prise de décision d’intégrer ou non tel ou tel candidat ? Autrement dit, comment au fil du temps, Sokide se reconstitue-t-elle pour continuer à remplir son rôle de bastion de Sokoa ?
A défaut d’éléments de réponse factuels, observons ce que la holding veut bien nous dévoiler d’elle. Sokide n’a pas besoin de travailler pour gagner sa vie d’entreprise, son compte de résultat répète d’ailleurs le même zéro pointé de chiffre d’affaires, année après année. Sa mission : acheter ou souscrire des actions de Sokoa, et en assurer l’administration et la gestion. Et elle s’autorise une seule apparition officielle : c’est à l’AG annuelle de Sokoa ; son représentant Txistu Bergara y apporte les voix de ses associé.es. Les jeux des votes sont pour ainsi dire alors déjà faits : en 2023, Sokide détenait plus de 35% du capital social de Sokoa.
Des mouvements peu perceptibles pour l’oeil non averti
On l’a noté, les comptes de résultat de Sokide présentent un chiffre d’affaires à l’encéphalogramme plat. Ses bilans, par contre, attestent bien de battements d’une vie intérieure et de mouvements repérables à l’aide d’une calculette experte. Malgré son capital variable, on peut avancer que celui-ci s’élevait, en 2023, à près de 3.100.000 euros, répartis en 202 937 actions, soit une action d’un chouia supérieure à 15 euros. A cette valeur nominale, s’ajoute ce que le jargon comptable appelle les primes d’émission. Ainsi, l’an passé, la valeur réelle de l’action Sokide approchait les 50 euros.
Nous avons pu donner corps également aux dividendes versés aux actionnaires. Ils témoignent des (très) bons, voire excellents, résultats de Sokoa. Ainsi, Sokide aura distribué un peu plus de 700 000 euros de dividendes en 2020 alors que ceux de l’année précédente frôlaient le million. Celui-ci est dépassé en 2017, 2018 et 2021.
Enfin, des calculs quelque peu fastidieux ont permis de retracer l’évolution du nombre d’actions et leur écart d’une année sur l’autre, depuis 2013. Trois années se distinguent : 2016, 2017 et 2018 avec respectivement 14.991 actions nouvelles, 3.210 et 5.226. Ces chiffres suscitent diverses questions mais demeurent impénétrables : qui a acheté ces nouvelles actions : un ou plusieurs nouveau(x) associé(s) ? Un ou plusieurs actionnaires déjà en place ? Et qu’en est-il des transferts internes entre un actionnaire vendeur et un actionnaire acheteur ?
Herrikoa chez Sokoa, Sofikoa, et Sokide
Fin 2023, AG de Herrikoa. Le commissaire aux comptes lit son rapport spécial sur la convention de trésorerie établie entre Herrikoa d’un côté, et Sokoa et Sofikoa. L’avance faite par la première à chacune des deux autres avoisine au total les trois millions d’euros. Pareil prêt a de quoi surprendre : par son montant, par ses deux sociétés bénéficiaires à la santé financière enviée par bien des PME d’Iparralde, et par ce qu’il dessine d’intérêts mêlés. Timothée Acheritogaray est en même temps directeur général de Sokoa, PDG de Sofikoa et représentant physique de Herkide chez Herrikoa (Herkide : gérant de Herrikoa).
Dans l’assemblée, un actionnaire interpelle Txistu Bergara. Comme l’année précédente, celui-ci exécute une demi- pirouette pour s’éviter de répondre sur le fond et mettre en avant que l’avance de Herrikoa est rémunérée selon le taux de l’Euribor, la référence sur le marché monétaire européen. De l’art de noyer le poisson dans une mare… en se gardant bien d’indiquer que ce fameux taux de référence est de 3,92% quand les taux bancaires flirtent avec les 5%… Les conditions financières de prêt proposées par Herrikoa à Sokoa et Sofikoa sont donc plutôt intéressantes. Ce taux attrayant bénéficie-t-il aux autres entreprises soutenues par Herrikoa ? Réponse à sa prochaine AG ?
Les liens financiers entre la société de capital-investissement et Sokoa ou l’une des entités de son groupe ne s’arrêtent pas à ces avances de trésorerie. En toute fin des documents préparatoires à l’AG de Herrikoa de 2023, la dernière page du rapport du commissaire aux comptes énumérait sous forme de tableau la “liste des filiales et participations”… dont celle de Herrikoa chez Sokide pour un montant de 932.424,22 euros, soit 9,75% du capital de la holding(8).
Il s’agit de la plus forte implication de Herrikoa dans les entreprises qu’elle soutient ; celle qui figure en deuxième position après Sokide a bénéficié pour sa part d’une aide de 199.999 euros. Ici aussi, nous avons donc remonté le temps… Le même montant de participation s’affiche de 2017 à 2023. En 2016, il s’élevait à 695.924 euros et représentait alors 7,40% du capital de Sokide. Soit une augmentation de 236.500 euros entre 2016 et 2017. Dans l’impossibilité d’accéder aux années précédentes, on se bornera donc à constater que les apports n’ont pas été faits en une seule fois.
Il y a bien quelques raisons que l’on peut proposer pour expliquer cette présence de Herrikoa chez Sokide. Chaque année, elle engrange sa part de dividendes versés par Sokoa à la holding, soulageant d’autant ses frais de fonctionnement. Et si l’on retrouve Herrikoa chez Sokide plutôt que chez Sokoa, c’est question de bon sens. Parce que Sokide garantit une discrétion certaine à ses associé.es, en même temps qu’elle distribue des dividendes supérieurs grâce à ses actions Sokoa dites “de préférence”. Toutes les autres actions détenues hors Sokide sont, elles, dénommées “actions ordinaires”. Ces raisons avancées sont-elles toutefois vraiment recevables ? Car, est-il dans la vocation de Herrikoa de contribuer à la raison d’être de Sokide qui est de “stabiliser l’actionnariat de Sokoa”? Et avec ses près de 10% de capital détenu, d’offrir aussi à son représentant Txistu Bergara(9) une avance non négligeable sur les voix des actionnaires de Sokide ?
Le pré-bilan de Txistu Bergara
Depuis son arrivée à la tête du CA fin 2018, Txistu Bergara conduit Sokoa dans le sillon du chemin tracé par Patxi Noblia à la capacité d’anticipation peu commune et au sens politique inné de l’entreprise. L’avenir dira ce que la mémoire de celle-ci retiendra des années Bergara.
– Peut-être, l’évolution opérée dans la traditionnelle contribution de Sokoa au développement d’Iparralde ? Avec Txistu Bergara, cette implication s’est élargie à la thématique “verte”, dans un soutien d’autant plus marqué à Enargia et I-Ener que son fils Patxi fait partie de leurs fondateurs. Néanmoins, si cette période d’engagement récent de Sokoa devait s’inscrire dans son histoire, sa marque ne sera probablement pas celle dont Txistu Bergara était en quête pour graver sa propre empreinte.
– Peut-être la féminisation de son instance dirigeante ? L’hypothèse n’est pas aussi décalée qu’elle pourrait paraître de prime abord. Pour mener les débats et échanges d’un CA tel celui de Sokoa, la connaissance de son fonctionnement et de l’entreprise sont deux pré-requis raisonnables. Bien sûr, lors de son renouvellement de 2026, un candidat à fort potentiel pourrait apparaître… et succéder deux ans plus tard à Txistu Bergara. N’y a-t-il pas cependant autant de probabilités que ce successeur siège déjà autour de la table ? Et donc, mathématiquement, une chance sur deux pour qu’il s’agisse d’une candidate.
– Peut-être, enfin, l’installation de Timothée Acheritogaray, aux commandes opérationnelles de Sokoa ? Mais, il est à craindre ici que si l’événement devait intégrer un jour le récit de l’épopée de l’entreprise, c’est le directeur général actuel qui devrait attirer la lumière, au détriment de son mentor.
Timothée Acheritogaray : portrait sans retouche
Comme Txistu Bergara, Timothée Acheritogaray est reconnu pour ses talents en gestion financière. La puissance de sa force de travail est aussi saluée. Certains de nos témoins l’associent à une soif de reconnaissance qui lui est au moins égale et induisant une quête de pouvoir pour lequel il se montre moins que partageux. Conscient néanmoins de ses faiblesses en matière de stratégie d’entreprise et de connaissances du métier de Sokoa et de son marché, il saurait collaborer en bonne intelligence avec le Comité Exécutif (Comex) qui regroupe les cinq principaux cadres de direction (commercial, production, …). Bosseur acharné, avons-nous donc présenté… mais dévoué d’abord à sa propre cause ? Pour répondre, la communication de Sokoa semble un bon point d’observatoire. A Txistu Bergara, une mission symbolique de porte-voix de l’entreprise dans la Lettre aux actionnaires, au travers de son édito semestriel. Pour le reste, de la presse régionale aux revues professionnelles ou aux médias en ligne, en passant par les tables rondes du milieu économique, Timothée Acheritogaray s’est emparé du premier rôle. En illustration des articles ou reportages, il se prête au jeu du photographe pour prendre la pose, ici dans un fauteuil dernière génération du showroom de Sokoa, là devant le logo de l’entreprise ou se détachant d’un arrière-plan flouté comme pour gagner en profondeur. Interviewes ou reportages, son propos est parfaitement huilé et déroule à de rares variantes près le même récit de l’entreprise. Dans un équilibre travaillé qui ne laisse rien au hasard ou à la spontanéité, il vend l’entreprise autant qu’il se met en avant.
Ainsi, Timothée Acheritogaray incarne désormais Sokoa en quasi solo, quand depuis sa création et jusqu’à récemment encore, elle l’était naturellement, et au-delà de Patxi Noblia, par une flopée de cadres et de chefs d’équipe : de Agustin Duperou à Txistu Bergara, en passant par Pantxoa Bimboire, Pedro Odriozola, Jean-Michel Berra, Gilles Chaudière, ou encore Peio Echeveste, Mikel Goyheneche, Stéphane Robidart, Mikel Larralde, etc. Chacun reflétait l’identité de Sokoa et de ses valeurs, en cohérence avec ses engagements abertzale personnels et multiformes.
Aujourd’hui, cette génération est en voie d’extinction chez Sokoa. Les doigts d’une main de menuisier suffisent pour les énumérer : Pedro Odriozola et Mikel Goyenetche, tous deux administrateurs, et Txistu Bergara. Ceux qui ont pris le relais dans les postes d’encadrement, avec en premier lieu ceux du Comex, paraissent comme dissociés de l’identité et des valeurs abertzale de l’entreprise. Elles ne sont pas les leurs, elles ne sont pas non plus celles de Timothée Acheritogaray.
En guise d’épilogue…
L’entreprise hendayaise abordera bientôt une croisée de chemins délicate. Txistu Bergara lâchera les rênes du conseil d’administration en 2028 pour limite d’âge des 75 ans. Afin de préparer sa suite, son attention ne devrait pas tarder à se reporter pleinement sur Sokoa, quelque peu délaissée ces derniers temps avec la gestion énergivore de la crise chez Enargia. Un retour donc au coeur de l’entreprise dirigée depuis des mois dans la plus grande liberté d’action par Timothée Acheritogaray.
Les deux hommes ont beau répéter que les remous publics de l’affaire Enargia les laissent indifférents, ils n’en sortent pas moins affaiblis de l’épisode, Txistu Bergara, de toute évidence, un peu plus que son directeur général. Ainsi, va-til aborder la question de sa succession dans un rapport de force qui ne penche pas en sa faveur. Car si Timothée Acheritogaray sait qu’il lui doit tout de son ascension, son ambition n’est pas pour autant totalement assouvie, selon de fortes probabilités.
Avec le départ de son ancien mentor, ne se verrait-il pas s’installer dans son fauteuil, et devenir ainsi président directeur général ? Ce scénario est plausible. Txistu Bergara a été formé toutefois à “l’école Noblia” ; s’il a pu dévier de ses préceptes dans sa quête de reconnaissance et de pouvoir, croisons les doigts pour qu’il en ait conservé quelques sages réflexes. Le président du CA saura très vite de quoi il retourne des aspirations de Timothée Acheritogaray. En déambulant dans les couloirs des bureaux de l’encadrement, il pourrait avoir vent de quelques critiques ou vacheries à son encontre… et comprendrait illico que le directeur général a commencé à mobiliser ses troupes… Reste une inconnue : sa capacité à construire un éventuel “camp Bergara“.
(4) Dans les années 1980, des discussions sur un passage en SCOP ont été animées par Patxi Noblia avec les salariés d’alors, se souvient l’un d’eux. Elles n’ont pas abouti : “Patxi butait sur l’idée que ce soient les salarié.es qui nomment leur PDG alors qu’il était clair pour tout le monde que cela ne pouvait être que lui. De ce projet non abouti, a découlé en 1983 un accord d’intéressement au montant égalitaire entre les salariés”, ajoute-t-il.
(5) Peio et Maite Uhalde en étaient ses gérants. L’hôtel abritera la première adresse du siège social de Sokoa dont Peio Uhalde est l’un des 24 actionnaires fondateurs.
(6) La société commissaire aux comptes est absente et excusée.
(7) Nous n’avons pas comptabilisé ici Patxi Noblia, décédé fin 2023, qui figure dans la liste officielle des administrateurs.
(8) Figurent également les participations moindres de Herrikoa chez Sokoa (0.28% du capital, soit 52 105,60 euros et chez Sofikoa (0,22% du capital, soit 19 546,77 euros).
(9) Txistu Bergara est président de Herkide, la gérante de Herrikoa (cf. Enbata de juin dernier).
Laura Dubernet un CV atypique de représentante des salarié.es
Chargée de communication auprès des actionnaires de Sokoa de fin 2015 à l’été 2018, Laura Dubernet est embauchée quelques mois plus tard chez Enargia. En 2020, elle intègre le CA de la coopérative en tant que représentante des salarié.es, et l’année suivante, prend place parmi les membres bénévoles du conseil de direction de I-Ener, alors présidée par Patxi Bergara, son directeur chez Enargia.
Son investissement dans l’énergie verte et locale ne la fait pas pour autant renoncer à son implication chez Sokoa. En 2021, Timothée Acheritogaray l’installe ainsi à la présidence de Sokozabal qui gère les achats et ventes des actions de Sokoa. Une simple association certes, mais dont l’activité est suivie de près par le directeur général. Autre marque de confiance de sa part : en 2020, elle intègre le CA de Sokoa. Impossible par contre de dater son entrée à Sokide, le saint des saints des actionnaires de Sokoa présidé par Txistu Bergara. On s’en doute, n’y rentre pas qui veut… et n’est pas appelé à rejoindre son conseil de surveillance de trois membres sans avoir présenté de sérieux gages de garantie !