L’Europe saura dans quelques jours si le processus de partition du Royaume-Uni, négocié à l’amiable entre Edimbourg et Londres, donnera naissance à un nouvel Etat-nation ou si le statu quo prévaudra. Quel que soit le résultat, la tenue même de ce référendum est une première victoire pour tous les peuples sans Etat en Europe. Certes, il y a 20 ans, la Tchéquie et la Slovaquie s’étaient séparées à l’amiable. Mais la singularité du référendum écossais réside dans le devenir d’un peuple de la vieille Europe, par éclatement de frontières que l’on pensait immuables en raison du poids de l’histoire. Les Catalans, les Basques et d’autre peuples en quête de souveraineté, voient là un encouragement à exiger de leurs intransigeants pouvoirs de tutelle l’organisation de consultations citoyennes sur leur autodétermination. D’autres articles (de Pierre Delignière, président de l’association Bretagne-Ecosse, de Gerry Mooney, professeur à l’université libre (Open University) d’Ecosse, partisan de l’indépendance, d’Eneko Bidegain (Edito d’Enbata) vous permettront aussi d’approfondir ce thème.
Alex Salmond, premier ministre nationaliste d’Ecosse, le proclame à l’envi depuis des mois: “si la pétition en faveur de l’indépendance (lancée en mai 2012 par Yes Scotland), recueille un million de signatures, alors le oui l’emportera au référendum du 18 septembre”. La barre du million a été dépassée le 20 août dernier, attisant les espoirs du camp du oui.
Avec l’abaissement de l’âge de voter à 16 ans, l’électorat écossais pour le référendum s’élève à 4,2 millions. Si la participation, comme beaucoup le prédisent, avoisine les 80%, 3,36 millions d’électeurs se rendront aux urnes le jeudi 18 septembre. La synthèse des intentions de vote effectuée fin août donnaient un rapport de 39% en faveur du oui à l’indépendance contre 48% en faveur du maintien au sein du Royaume Uni, avec encore 13% d’indécis. Soit 1.315.000 pour le oui, 1.600.000 pour le maintien de l’union et 440.000 indécis. Les partisans du oui doivent donc convaincre la quasi-totalité des indécis pour espérer l’emporter le 18.
Tâche en apparence insurmontable en moins de trois semaines. Sauf que…
Sauf qu’en mai 2007, Alex Salmond et le Scottish national party étaient donnés battus de deux à trois points la veille du scrutin législatif, mais qu’au soir du 3 mai 2007, le SNP débouchait en tête avec 32,9 % contre 32,2% pour les Travaillistes. Certes, cette fois-ci, le choix revêt une autre dimension et pas un Ecossais ne glissera son bulletin dans l’urne sans y réfléchir à deux fois.
Deuxième élément qui revigore les espoirs des partisans de Yes Scotland: la victoire nette et sans bavure de Salmond dans son second face à face télévisé avec le leader des unionistes, Alistair Darling, ancien Chancelier de l’Echiquier des gouvernements de Tony Blair et Gordon Brown (tous trois Ecossais). Débatteur redoutable et redouté, Salmond avait pourtant été mis en grande difficulté par Darling, le 5 août, lors du premier débat télévisé, notamment sur la question de la monnaie. Sommé de dire s’il avait un plan B pour le cas très vraisemblable où le reste du Royaume-Uni refuserait à une Ecosse indépendante le droit d’utiliser la livre sterling, Salmond s’était enlisé dans des considérations vaseuses sur l’opportunité d’un plan B (la création d’une monnaie écossaise ou l’adhésion à l’euro). Salmond, qui en son for intérieur préférerait l’euro au sterling, sait bien l’attachement de l’immense majorité des Ecossais, y compris des indépendantistes les plus convaincus, à la monnaie britannique. D’où son malaise.
Rien de tel au soir du 25 août. Remonté comme un lanceur de troncs des Highlands, Salmond a évacué la question de la monnaie en trois minutes, arguant que l’Angleterre n’était pas seule propriétaire de la livre et que la bonne santé de l’économie écossaise et l’étendue de ses réserves d’hydrocarbure garantissaient bien mieux la valeur de la livre que l’économie anglaise en crise. Il a même agité la menace d’une rétorsion en cas d’exclusion de la livre: l’Ecosse n’honorerait pas sa part de la dette du Royaume-Uni. Fermez le ban! Visiblement dopé au haggis ou au single malt de 60 ans d’âge, le premier ministre écossais a amené son rival sur le terrain que ce dernier craignait le plus: celui de la sécurité sociale et des services publics. Le programme du SNP revendique le maintien d’une sécurité sociale à financement public, alors que les conservateurs de Cameron (autre écossais) au pouvoir à Londres n’ont d’autre projet que de vendre le National Health Service (NHS) à la découpe au privé. Sujet sensible, s’il en est, ces temps-ci en Grande-Bretagne. Et Salmond d’accuser, avec un zeste de mauvaise foi, les Travaillistes d’endosser, par leur alliance anti-indépendantiste avec les Tories, tous les projets de privatisation des conservateurs. Darling en est resté coi.
Tout cela suffira-t-il à convaincre les indécis? Au-delà de ces joutes médiatiques, le travail qui attend les militants de Yes Scotland pour les deux ou trois semaines restant avant le scrutin, c’est de rassurer les indécis et même les opposants à l’indépendance. Car, comme l’écrit Deborah Orr, éditorialiste écossaise au Guardian, “les électeurs indécis sont prudents et se méfient de l’acte de foi quelque peu romantique que Salmond a fait sien depuis longtemps. Les indécis ont besoin d’être rassurés, non d’être bousculés ou que leurs inquiétudes soient occultées”. Message entendu par le clan du oui. Salmond et les siens ne cessent de répéter que voter oui le 18 septembre n’est pas un saut dans l’inconnu mais simplement un signal, le début d’un processus prudent et civilisé, certainement pas celui d’une guerre. Déplacer le centre de gravité de l’Ecosse de Londres à Edimbourg, au terme d’une séparation à l’amiable, sera une tâche enthousiasmante. Sans porter tort à l’un ou l’autre des deux pays qui continueront à avoir besoin l’une de l’autre. L’arrivée d’une Ecosse indépendante contribuera également à régénérer un Commonwealth quelque peu distendu.
“Insérer l’Ecosse indépendante dans l’Union européenne prendra le temps qu’il faudra”, souligne Salmond qui poursuit: “en assumant avec succès les compétences économiques, juridiques et éducatives octroyées par le statut de dévolution de 1997, l’Ecosse a démontré la maturité politique nécessaire à la prise en main de son propre destin”.
Derrière la question de l’indépendance de l’Ecosse se cache aussi un enjeu sociétal: préserver le modèle social écossais. Les conservateurs règnent en maîtres dans une Angleterre où l’ultra-libéralisme décomplexé remet en cause acquis sociaux et politiques de solidarité. En Ecosse en revanche, ils ont quasiment disparu du paysage politique* laissant nationalistes et travaillistes mener une politique social-démocrate plus solidaire dans laquelle les citoyens, notamment les plus démunis, trouvent davantage leur compte: sécurité sociale à financement public, aide publique aux caisses de retraite, droits universitaires modérés etc.
Dès lors, la question posée aux Ecossais le 18 septembre est aussi celleci: souhaitez vous une société de plus en plus inégalitaire à l’anglaise, ou bien un modèle écossais qui se préoccupe davantage des besoins sociaux des citoyens ? Tous ceux que le glissement continu des sociétés européennes vers la droite dure préoccupe auraient tout lieu de se réjouir si le 18 septembre le million de signatures en faveur de Yes Scotland faisait boule de neige pour assurer la victoire du oui.
Quelle que soit l’issue du scrutin, la façon tout à fait paisible et civilisée dont le référendum a été convenu et organisé entre Londres et Edimbourg est une belle leçon de démocratie. Elle est l’expression d’une maturité politique dont Français et Espagnols feraient bien de s’inspirer dans leur relation aux peuples qui aspirent à l’autodétermination.
*Dans son débat télévisé avec Darling, Salmond a lancé sous forme de boutade qu’il y avait plus de pandas géants en Ecosse (deux au zoo d’Edimbourg) que de parlementaires conservateurs écossais à Westminster (un seul).