
Les personnes qui choisissent de ne plus manger de viande le font souvent en raison des nombreux impacts néfastes de sa production industrielle. Mais même dans l’hypothèse d’une production entièrement en agriculture paysanne, la baisse de la consommation de viande et le prix de celle-ci restent des questions à débattre.
« Vegan ou viandard », c’est le titre d’un article paru dans le numéro d’Enbata d’août dernier. Il est sain que les sujets de société comme la question de la place de la viande dans notre alimentation soient débattus entre acteurs différents et je salue la démarche des paysans producteurs qui cherchent à mieux comprendre les évolutions de modes d’alimentation et de visions du monde. Ayant cessé de manger de la viande depuis l’âge de 20 ans, je souhaitais compléter la réflexion à partir de ma propre expérience.
Parmi les personnes ayant fait le choix de ne pas manger de viande, les végans antispécistes qui placent tout animal sur le même plan qu’un être humain sont un profil parmi d’autres. Leurs militant·e·s ont le mérite de mettre en lumière la question de la souffrance animale. Pourtant, ce serait pour moi autant une erreur d’en faire le portrait type de la personne végétarienne que de considérer que tous les producteurs de viande font de l’élevage intensif en batterie.
En effet, beaucoup décident de ne plus manger de viande non pas parce que les agneaux, c’est trop trop mignon, mais pour des raisons politiques et écologiques. La question de la santé aussi prend de plus en plus de place. Les études démontrent largement les effets délétères d’une surconsommation de viande. Que l’on peut vivre longtemps et en forme sans en consommer n’est plus à prouver.
J’ai cessé de manger de la viande suite à un séjour d’un an aux Etats-Unis après mon bac.
J’y ai expérimenté la malbouffe, j’y ai été témoin des inégalités sociales, et j’y ai appris, grâce à une camarade de classe bien informée, que les steaks de mes hamburgers étaient en grande partie responsables de la déforestation de l’Amazonie. Arrêter de manger de la viande a été mon premier acte d’adulte, une prise de position forte pour affirmer à moi-même et aux autres que je refusais ce système.
Presque 35 ans après, c’est un acte que je continue de poser encore et encore et qui reste dérangeant, même s’il est moins radical que le véganisme. La production industrielle de viande est un pilier du capitalisme et de l’exploitation du vivant. Après tout, ce sont bien dans les abattoirs de Chicago qu’ont été développés pour la première fois les systèmes de travail à la chaîne qui ont inspiré le fordisme[1] . Les animaux ont cessé d’y être considérés comme des êtres dotés de sens et de conscience pour n’être que des produits. Les fermes usines encouragées par la loi Duplomb en sont les dignes héritières.
La production industrielle de viande est aussi un symbole de l’accaparement des ressources, les trois-quarts des surfaces agricoles étant dédiés à l’alimentation animale alors que l’on nourrit beaucoup plus de personnes avec des protéines végétales qu’animales.
Elle est un élément clé du réchauffement climatique lié aux gaz à effet de serre, 12% du total des émissions liées aux activités humaines[2], selon la FAO.
La production industrielle de viande est un symbole de l’accaparement des ressources, les trois-quarts des surfaces agricoles étant dédiés à l’alimentation animale alors que l’on nourrit beaucoup plus de personnes avec des protéines végétales qu’animales.
Je ne mange pas de viande parce que trop de gens en mangent trop. C’est un choix difficile à assumer socialement, notamment au Pays Basque. Mais chaque personne qui le fait provoque un effet miroir et incite son entourage à interroger sa propre consommation.
On me rétorquera que je ne parle ici que de l’agriculture industrielle et que l’agriculture paysanne est beaucoup plus vertueuse. Il est vrai que les élevages de vaches ou de moutons en faible densité sur des prairies naturelles pourraient avoir la capacité de stocker du carbone et donc d’avoir un impact climatique positif. Mais ce mode d’élevage représenterait entre 1% à 5% de la consommation française de viande de bœuf [3].
Personnellement, je n’estime pas que toute la population devrait cesser de manger de la viande. Mais plutôt qu’elle doit être considérée comme un aliment rare et de valeur – y compris au niveau du prix –, parce que les animaux dont elle est issue ont été élevés dans des conditions positives pour l’environnement, que leur bien-être a été pris en compte au maximum, et que les paysans et paysannes ont été correctement rémunérés. Je ne mange pas de viande parce que je considère qu’il faudrait globalement manger 20 fois moins de viande infiniment mieux produite à un prix peut-être 20 fois plus élevé.
Paradoxalement, il me semble que tous les producteurs de viande de qualité devraient militer pour cette réduction drastique de la consommation, la seule manière de se démarquer des acteurs de l’industrie. Lorsque les militant·e·s de Bizi! travaillent pour la végétalisation des menus de cantine par exemple[4], c’est toute la filière qui devrait les soutenir.
[1] Du dépeçage à l’assemblage, l’invention du travail à la chaîne à Chicago et à Detroit, revue Gérer et comprendre • septembre 2003
[2] https://www.fao.org « Un nouveau rapport de la FAO trace la voie vers une réduction des émissions dues à l’élevage »
[3] Le Monde – 23 juin 2025, « Fromage ou viande : lequel est le moins nocif pour la planète ? »
[4] Voir dans le rapport de Bizi! « Des petits pas, loin des promesses et de l’urgence », chapitre « Agir pour une agriculture et une alimentation bio et locale ».
