Le 18 février 2010, le procureur de la Cour d’appel de Pau interroge Mixel Berhocoirigoin sur ses revenus. Il risque jusqu’à un an de prison et 15.000€ d’amende pour prétendre créer une Chambre d’agriculture alternative. La réponse est aussi simple qu’une poignée d’euros, quelques centaines, même pas le SMIC. Et les secondes qui suivent marquent déjà, dans le frémissement des robes, l’hésitation des rouages dorés de la justice. Les partisans, nombreux, réunis à quelques mètres de là, d’anciens ministres, des députés européens, une flopée de personnalités, d’intellectuels, de médias, la cour des grands jours, tout le tralala et ce salaire qui dit juste le labeur du paysan. Il faut bien ces quelques secondes à un tribunal pour soupçonner que dans le monde de Mixel, ce n’est pas le plus gros tracteur qui va le plus loin. Mais il serait injuste de moquer aujourd’hui la justice paloise, d’autant que le jugement, comme chacun le sait, fut en faveur d’Euskal Herriko laborantza ganbara. Car au fond, dans l’interstice de ce procès comme dans ce temps éternel, depuis que Mixel nous a quittés ce samedi 8 mai, un matin où des centaines de marcheurs en faveur de la paix gravissaient symboliquement les sommets basques, les images se bousculent à notre lorio ou à la porte de ce journal dont il était un rédacteur indéfectible et avisé, dans la nécessité, toujours brûlante, d’expliquer. Et dans cet enterrement, aux allures de pastorale, on ne savait plus très bien qui pleurer ni applaudir, du compagnon, du bâtisseur, du militant, du syndicaliste, du faiseur de paix, du meneur de batailles ou de cette foule sans laquelle il n’aurait pas marché d’un pas aussi déterminé. A travers la vingtaine de témoignages qu’Enbata publie aujourd’hui, c’est une cohérence qui finalement apparaît, celle d’un homme pétri de convictions, une force tranquille qui avance pas à pas. Celle d’un paysan de Gamarthe qui, s’il n’a pas eu le temps de finir la moisson, à 69 ans, a creusé un sillon profond et rectiligne bien au-delà de sa terre.