Quand la foule est sentimentale

“Cette chanson de l’immense Mikel Laboa incarne tout notre engagement d’abertzale de gauche. C’est un hymne en euskara à notre humanisme.” Cliquer sur l’image pour voir l’Extrait de l’émission “La politique à table” sur LCP.

Les émotions ont une puissance politique : elles peuvent être des leviers pour générer force collective et transformation sociale.

L’image de Peio Dufau sur le plateau TV de LCP ému aux larmes en entendant la chanson “Martxa baten lehen notak” de Mikel Laboa, révèle une vérité simple : une émotion brute peut toucher davantage que cent discours parfaitement maîtrisés. Comme par contagion, l’émotion se transmet, et avec elle le message.

La viralité de cette vidéo illustre aussi comment un sentiment individuel peut devenir collectif. Là où l’intime rencontre le politique, la frontière devient poreuse : ce que vivent les métiers méprisés, les minorités ou les territoires oubliés finit toujours par irriguer la société.

Dans un climat de polarisation où le dialogue se rompt, l’émotion peut devenir un langage commun. Le mouvement abertzale, encore discret sur ce terrain, pourrait en faire un moteur de cohésion et d’action, à condition que son expression reste authentique.

Quand les affects refoulés menacent la démocratie

Les affects humains orientent nos décisions, et la politique en est le réceptacle naturel et collectif. Bien souvent, ce sont les émotions qui guident les choix électoraux. Derrière l’extrême droite, certains votent par conviction, mais beaucoup sont animés par des émotions légitimes : sentiment d’humiliation, colère face au mépris, peur du déclassement, désir de reconnaissance. Les mépriser, c’est les voir se durcir ; les reconnaître, c’est ouvrir un espace de réponse démocratique.

Le vote de colère, comme celui pour Trump,
montre que les raisons de ce choix qui semble incompréhensible
sont en réalité profondément enracinées
dans des affects collectifs savamment entretenus.

Une part importante de la politique consiste à attiser les émotions et la ferveur. Aristote, puis Cicéron et Quintilien, connaissaient déjà l’efficacité du pathos (l’émotion) face au logos (la logique) et l’ethos (l’image) pour convaincre un auditoire. L’Histoire montre qu’on peut soulever des foules en suscitant la colère, en provoquant la peur ou en instrumentalisant l’humiliation pour conquérir et conserver le pouvoir. Le vote de colère, comme celui pour Trump, montre que les raisons de ce choix qui semble incompréhensible sont en réalité profondément enracinées dans des affects collectifs savamment entretenus.

Les émotions comme force collective

Mais les émotions étant des combustibles pour l’action, sont capables de produire un élan de transformation positif. Une étude norvégienne, publiée en 2023 par Ajit Niranjan dans The Guardian, montre que les militants écologistes sont majoritairement animés par la colère face à la destruction de l’environnement et à l’inaction des pouvoirs publics. L’étude précise également que : la colère, plus que tout, pousse à l’action collective ; l’espoir seul est insuffisant : c’est l’action qui produit souvent l’espoir, plus que l’inverse ; les émotions doivent être reconnues et validées pour être transformées en énergie constructive. Ce qui induit le courage, c’est la colère que provoque le fait de se trouver dans une situation menaçante qui ne peut plus durer. C’est l’espoir qui oriente le mouvement dans une action qui entraînera des conséquences heureuses.

Quand nos blessures façonnent le collectif

Nos émotions naissent à l’intersection de nos expériences personnelles et de notre environnement : ce que nous vivons façonne ce que nous ressentons, et ce que nous ressentons influence la société. Ce va-et-vient fait que nos ressentis personnels peuvent résonner dans le collectif et influencer la vie démocratique. Selon le médecin Gabor Maté, l’exposition à un style parental autoritaire accroît le risque de soutenir l’autoritarisme à l’âge adulte, surtout chez les hommes n’ayant pas bénéficié d’une psychothérapie. Une piste pour comprendre le masculinisme galopant chez les jeunes hommes en manque de repères ?

Gabor Maté nous rappelle que connaître nos blessures et nos émotions n’est pas seulement un exercice intime : c’est aussi un levier pour éviter d’être prisonniers de nos automatismes, et pour participer consciemment à une société plus harmonieuse. Et lorsque ces affects se confrontent à des crises collectives, le fragile équilibre démocratique se révèle.

Vivre en temps de krisis nerveuse

Chez les Grecs, krisis désignait l’acmé d’une maladie, ce moment crucial où tout peut basculer, mais aussi un instant de décision, de hiérarchisation des valeurs. Appliquée à la démocratie, krisis est l’instant où nos repères s’effondrent et où chacun doit improviser des valeurs provisoires.

C’est précisément ce que nous vivons aujourd’hui. Confrontés aux inégalités criantes, au réchauffement climatique, aux conflits et aux ruptures technologiques, nous cherchons des points d’appui. Et ce sont souvent nos émotions qui prennent le relais. Les refouler nourrit le cynisme et le désengagement ; assumées, elles nous rassemblent et nous mettent en mouvement.

Et si, comme Peio sur un plateau télé, nous acceptions que l’émotion brute nous guide parfois davantage que les discours ? C’est souvent là, dans cette sincérité, que naît la force collective capable de traverser les crises et de dépasser les étiquettes politiques.

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