Jean-Marc Abadie interviewe Pantxika Urruty qui sera l’errejent de la Pastorale Bayonnaise Katalina de Erauso. “Des centaines de personnes ont découvert pour la première fois une pastorale en juin 2014 à Bayonne. Depuis, beaucoup d’entre elles ont aussi assisté en 2014 ou en 2015 à des pastorales en Soule. Et à coup sûr, ce sera le cas encore cette année avec celle de Pitrau à Tardets.”
Comme toute pastorale, monter une entreprise de spectacle comme cela, c’est un gros chantier ?
Oui, au départ il y a la création d’une association, de groupes de travail (finances, logistique, l’alimentaire pour les tiap, les personnes responsables, le choix des deux errejent : Maitena Lapeyre s’occupe spécialement de la chorégraphie des femmes Turcs et moi je prends en charge les jeux de scène. C’est lourd mais c’est passionnant. Le président, Jean-Marie Etxart, est quelqu’un qui sait gérer, organiser et manager une équipe. Et çà, c’est super et rassurant !
Comment cette idée a t-elle germé ?
Maité Berrogain a écrit cette pastorale en 2008 et on me l’a proposée à Larrau en 2013. Et là on me la raconte en cinq phrases. L’histoire est extraordinaire et elle m’a plus tout de suite. Justement, il y a cinq siècles, cette femme basque qui se transforme en homme, s’engage dans l’armée espagnole, coloniale qui plus est, fait allégeance au roi, va trucider des indiens en Amérique du sud… Bonjour l’exemple ! Un sujet, c’est un personnage comme tout être humain qui est ombre et lumière. Il a des ennemis notamment des indiens du Chili —elle parle de rivière de sang— et cela peut paraître paradoxal pour nous aujourd’hui et pour nos valeurs. Comme lorsqu’une pastorale a mis en scène Napoléon. Après, on traite ces événements de façon très particulière. C’est aux spectateurs de découvrir tout cela.
C’est une pastorale féminine ?
Oui, les faits sont là. Il y a cette histoire peu commune de cette femme, et puis l’écrivaine, les deux errejent, Sophie Larrandaburu aux chants. Et pourtant nous ne portons pas Katalina comme un étendard de la cause lesbienne. C’est une histoire finalement moderne. Même le Pape de l’époque l’autorise à vivre en homme ! L’homosexualité est sous-jacente même si je pense qu’elle n’était pas lesbienne. Elle a été certes emportée par un amour d’une femme mais lorsqu’on lui propose de se marier à trois reprises, elle dit non en fuyant. D’ailleurs elle fuit tout le temps : du couvent, vers l’Amérique, car elle a besoin de garder secret qu’elle a un corps de femme. En tout cas, elle est restée vierge.
Et on pouvait très facilement la prendre pour un homme car elle avait un visage disgracieux ?
Oui, d’ailleurs, elle a raconté à un noble italien qu’elle se posait un emplâtre pour “s’assécher”, afin que disparaisse tout signe de féminité. Jusqu’aux règles. On dit que c’était très violent, qu’elle a eu très très mal et que d’un coup la douleur est partie. Elle s’est auto-transformée sans traitement médical.
On pourrait parler de transsexualité ?
C’est difficile à dire. En tout cas elle était guidée par son souhait de vivre dans un environnement d’hommes féroces. Il fallait qu’elle disparaisse dans ce milieu d’hommes, qu’elle leur ressemble même dans tous leurs comportements jusqu’à jouer aux cartes, combattre en duel, avoir le goût des armes… C’est finalement assez antinomique avec une recherche de liberté dans un milieu paradoxalement très fermé ! Une sorte de prison morale.
Dans la pastorale souletine, les codes sont assez rigides finalement. Certain(e)s ont pu même reprocher à la famille Achiary de ne pas avoir assez osé et innové dans Gerezien denbora (1)…
Beñat est un artiste et on pouvait penser qu’il aurait chamboulé les codes. On attendait beaucoup de lui dans cette perspective. Et ce qu’il a fait était superbe, magnifique. Pour nous, personne ne s’attend à de grands bouleversements. Moi j’ai complètement envie de respecter les codes. Même si les puristes pourront être surpris à quelques moments. Il y a une âme, une identité comme à chaque pastorale.
Comment s’est fait le choix des participant(e)s ?
Dés le départ, j’ai voulu reproduire le même contexte qu’en Soule. S’est présenté qui voulait. On a reçu tout le monde. On les a fait bouger, chanter, manier le makil. Puis on leur a donné un rôle. Début janvier, la liste était close. Jusqu’aux figurants qui ont une place très importante. On est pas loin d’une ambiance de village. D’ailleurs il y a à peu près chez les acteurs 70 % de Souletin(e)s d’origine. En ne prenant pas en compte la trentaine de danseurs d’Azpeitia et Azkoitia.
Deux pastorales conçues à Bayonne deux ans de suite, c’est beaucoup pour des souletins parfois très fiers de leur spécificité et de leur attachement à la pastorale made in Xiberua ?
Mais des centaines de personnes ont découvert pour la première fois une pastorale en juin 2014 à Bayonne. Nous on renvoie l’idée que, depuis, beaucoup d’entre elles ont aussi assisté en 2014 ou en 2015 à des pastorales en Soule. Et à coup sûr, ce sera le cas encore cette année avec celle de Pitrau à Tardets.
Quelle est la question que je n’ai pas posée et qui aurait mérité de l’être ? !
Je suis en train de vivre une expérience extraordinaire !
Pourquoi cette pastorale est-elle une grande expérience pour vous ?
Cela m’est tombé dessus sans y penser. Pourquoi l’errejent ne serait-elle pas une femme? Ou plutôt deux femmes ? Quand j’ai pris cette fonction, j’ai observé. Notamment Jean Fabien Lechardoy en Soule ou Beñat et Julen Achiary à Bayonne. Puis j’ai été voir certaines personnes en Soule comme Jean-Pierre Errecalt. Je me demandais comment accompagner autant d’acteurs et d’actrices. J’ai beaucoup travaillé, je venais dès 17 h quand on avait rendez-vous à 19 h 30, je me remémorais tout. Je voulais être sûre de moi dans ce que je proposais. Tout le monde devait voir que je savais où j’allais, dans la manière de faire faire aux acteurs les jeux de scène. Je me sens très bien et les gens écoutent ! Du coup, tout le monde est bien ! Le plus gros du travail a été fait au moment où j’étais en activité professionnelle. Je n’ai pas particulièrement de stress car j’ai confiance en tout le monde. Les acteurs, les couturières, tous les responsables…
(1) Superbe pastorale écrite par Itxaro Borda sur la lutte des forges de l’Adour jouée en 2014 à Bayonne et Itxassou puis en 2015 au théâtre de Barrakaldo. DVD disponible auprès de l’association Ezkandrai et le magasin Elkar à Bayonne.