C’est drôle. J’habite en ville et en bordure d’une route habituellement très passante. Et là, depuis bientôt 15 jours, j’entends le silence. Lui-même, dérangé de plus en plus par des espèces de petits cris émanant de volatiles que d’aucuns s’escriment à appeler gazouillis. C’est insupportable cette résurgence de la biodiversité ! Ah oui, ça fait drôle ! Il y a aussi de temps en temps des véhicules souvent à 4 roues, parfois à 2, qui déchirent cette plénitude. C’est bizarre d’avoir construit de si grandes infrastructures pour si peu de passage ! En plus, ces idiots ne sont souvent qu’un dans leur tacot. Bon, cette crise sanitaire puis économique et sociale aura eu au moins un mérite d’ordre culturel, c’est de porter à la connaissance du monde l’existence d’un animal : le pangolin. Celui-ci, menacé d’extinction, serait responsable de la transmission du nouveau coronavirus à l’homme. Voilà qui ne va pas arranger ses affaires. Bilan officiel en France ce jour : près de 20.000 patients hospitalisés dont 4.632 en réanimation. Et 7132 ont pu rentrer chez eux. Le nombre de décès est de 2.606. C’est peu ? C’est beaucoup ? C’est exponentiel ? C’est inquiétant ? Entre un sentiment fort d’angoisse et celui de réfuter le caractère dangereux de ce virus, tout le monde s’interroge.
Connardovirus
A ce stade, il vous serait peut-être préférable d’aller au cœur du sujet, en prenant quelques minutes pour parcourir l’un des nombreux textes de divers spécialistes traitant de cette nouvelle pandémie(2). Je vous en propose deux, assez complets et dans deux registres différents, avant éventuellement de poursuivre la lecture de mes élucubrations. Il y a, pour commencer, celui d’un épidémiologiste suisse, Jean-Dominique Michel, qui brosse un panorama à la fois médical, sociétal, économique et politique(3). Le premier mérite de ce tapuscrit est que depuis sa rédaction —le 18 mars 2020— il est sans cesse actualisé. Frappé, me semble-t-il, au coin du bon sens, l’efficience de son contenu sera jugée à l’aune de la sortie de crise. Il y indique notamment qu’il s’agit “d’une épidémie banale. Le terme peut choquer quand il y a des morts, et à fortiori dans la crise sanitaire et la dramaturgie collective hallucinée que nous vivons”. Ne vous y trompez pas : c’est un conducteur certes, qui parfois fleure bon le brûlot, mais symptomatiquement équilibré, pédagogue et optimiste. Plus centré sur l’hôpital public, à lire aussi impérativement l’excellent dossier de Télérama “Mon hôpital va craquer”.(4)
Haro sur le baudet !
Du coup, dans ce confinement presque total, une partie de la population mondiale vit un énorme chamboulement. Et avec moins de dureté pour les classes favorisées… Comme à chaque grande crise mondiale, les travers humains se cristallisent : dénonciations anonymes comme au bon vieux temps de l’occupation nazie, remise en cause du droit de travail, tentative de traçage numérique, égoïsmes, achats déraisonnés, ostracisation, violences familiales accrues… In fine, nous sommes tous cons ! Il faut dire que l’Etat n’est pas en reste, pris de cours par cette crise : la Santé a été “marchandisée”. Pas d’argent pour les retraites ou les hôpitaux, mais plus de 300 milliards débloqués aujourd’hui ! Il n’a jamais manqué de flics, de LBD et de lacrymos pour taper sur les gilets jaunes —et aujourd’hui encore dans les contrôles de confinement— mais vraiment peu de masques, gants et dépistages ! Les moins que rien (caissières, routiers, “petits” personnels soignants et autres ASH, réparateurs, éboueurs, agriculteurs, fonctionnaires des collectivités, enseignants, électriciens, chercheurs, chauffeurs, travailleurs et bénévoles sociaux, pompiers, …) sont maintenant devenus, crise aidant, les plus que tout.
Quoi d’neuf docteur ?
Et le pire est devant nous. Le constat est imparable : taux de mortalité du Covid-19 en France 5% pour 5.000 lits en réanimation contre 0,5% en Allemagne pour 25.000 lits. Pompon, quand l’hôpital public (comme celui de Bayonne) lance un appel aux dons de matériel de première nécessité ! Le débat sur les modalités de traitement face au Covid-19 est âpre : des voix de plus en plus nombreuses —dont celle en tout premier lieu du professeur Didier Raoult— demandent un dépistage généralisé de la population et un confinement en fonction du statut sérologique, à l’instar de la Corée du Sud, Taiwan… L’expert en santé publique, J.D. Michel précise “qu’en l’absence de dépistage systématique de la population, nous n’avons aucune donnée fiable à laquelle référer les données dont nous disposons (rapport entre nombre de cas déclarés et décès)”. En parallèle à ces tests, la question des premiers traitements par la chloroquine associée à un antibiotique fait rage. Et le professeur Raoult de rajouter : “Il y a une urgence sanitaire et l’on sait guérir la maladie avec un médicament que l’on connaît parfaitement. Il faut savoir où l’on place les priorités”. Sur le plan économique, le confinement généralisé aboutit en cette fin mars à un arrêt de 35% de l’activité en France, avec 2 millions de salarié.e.s en chômage partiel rémunéré.e.s à 70% du salaire brut.
Et l’après ?
La colère gronde et l’après-confinement risque d’être explosif. D’autant que le grand risque, c’est qu’il y ait des phases de rebonds. En clair, que le virus fasse le tour du monde en moins de 80 jours, quand tout le monde aura baissé un peu la garde. Justement, à quoi peut-on s’attendre après un tel chambardement ? De la part des politiques de santé ? Des populations ? Quels changements de culture ? Un accélérateur de la transition numérique ? Conserverons-nous pendant longtemps cette distanciation sociale entre nous ? Irons-nous vers moins d’individualisme et plus de solidarité ? Un élan vers plus de civisme ? Un plus grand accompagnement des personnes fragiles ? Un nouveau rapport à la vie, à la mort ? Un rebond de mysticisme accréditant la parole de Malraux : “Le XXIe siècle sera mystique ou ne sera pas” ? Une plus grande prise de conscience de la fragilité de la biodiversité et de la prégnance dramatique de l’homme sur elle ? Nos enfants auront-ils perdu un peu rapidement de leur innocence ? Allons nous aller vers une plus grande remise en cause de la façon dont nous produisons, consommons, nous déplaçons ? Un rejet du capitalisme ultra libéral ? Heuuuuu ! Faudrait pas pousser amatxi dans les orties !(5)
(1) www.youtube.com/watch?v=3S4d0JkwYmQ
(2) http://jdmichel.blog.tdg.ch/archive/2020/03/18/covid-19-fin-de-partie-305096.html
(3) Milesker Jean Seb et Iban pour le lien !
(4) Télérama n°3662 du 21 au 27 mars 2020. Juliette Bénabent.
(5) De Coline Serreau, actrice, réalisatrice et scénariste : “Cette épidémie, si l’on a l’intelligence d’en analyser l’origine et la manière de la contrer par la prévention plutôt que par un seul vaccin, pourrait faire comprendre aux politiques et surtout aux populations que seuls une alimentation et un environnement sains permettront de se défendre efficacement et à long terme contre les virus”.